La mémoire des barriques

11 mars 2009

La logique est son métier. Dans la région depuis 17 ans, Claude de Jouvancourt fait profession d’ingénierie informatique. Sa société IRS*, basée à St-Bonnet-sur-Gironde, s’est spécialisée dans la création de logiciels spécifiques aux vins et spiritueux et notamment au Cognac. Après la conception d’un premier produit Jock’ tourné vers la gestion commerciale des bouteilles, C. de Jouvancourt met la dernière main à Jock’ chai de vieillissement, dédié à la traçabilité des eaux-de-vie de Cognac.

« Le Paysan Vigneron » – Qu’entend-on par traçabilité ?

photo_20.jpgClaude de Jouvancourt – La traçabilité a un rôle de mémoire. Il s’agit de décrire le trajet d’un produit depuis sa naissance jusqu’à sa mise à la consommation. Par où le produit est-il passé, en quels lieux et par quels stades ? En termes de facilité, d’automatisme et de confort, l’informatique est complètement dans son rôle. Selon les phases de production de la filière vins et spiritueux, différents outils existent sur le marché. Une première phase concerne la gestion parcellaire, c’est-à-dire la provenance originelle du produit ; une deuxième phase vise tout le processus de surveillance et de contrôle de la vinification et de l’élevage des vins ; une troisième phase s’intéresse à l’assemblage, la fabrication et l’élaboration du produit fini et une quatrième étape embrasse l’emballage et la commercialisation. Notre société distribue un produit global qui prend en charge la gestion parcellaire, la vinification et l’élevage des vins jusqu’à la mise en bouteille. Ce produit, extrêmement riche, permet de connaître l’historique des cuves, de tous les contenants. Il intègre les pièces comptables, les pièces douanières et tout ce qui est traçabilité, HACCP, formulaires réglementaires. Ce logiciel – Vœ Développement – fonctionne depuis quatre ans et nous avons participé à sa conception. Il s’adresse à de grosses structures, de type caves coopératives ou caves particulières importantes. Par ailleurs, nous terminons l’étude d’un logiciel qui se rapporte à la traçabilité des eaux-de-vie de Cognac au sortir de l’alambic, c’est-à-dire au chai de vieillissement. Cet outil a été pensé pour des structures moyennes, à des fins de gestion interne.

« Le Paysan Vigneron » – Pourquoi développer un logiciel spécifique au Cognac ?

C. de J. – Les produits existant sur le marché sont généralement plus orientés vers le vin. Le Cognac a son propre langage (l’AP), des barèmes particuliers à l’alcool (barèmes de jaugeage…), des méthodes et des règles de gestion différentes. Bien sûr, on peut toujours dire que les comptes d’âges ressemblent aux millésimes mais le Cognac conserve une originalité indéniable, ne serait-ce que par la technique du déclassement. C’est pour cela que nous avons décidé de développer un produit propre au Cognac.

« Le Paysan Vigneron » – On insiste beaucoup aujourd’hui sur l’importance de la preuve. Pouvoir prouver l’origine du produit.

C. de J. – Je dirais que la preuve est presque accessoire au système de traçabilité, une conséquence plus qu’un objectif. Avant tout, un système de traces est un système de gestion des flux. Le plus gros problème consiste à identifier des lots, où que l’on soit dans l’échelle d’évolution du produit. Le lot se définit par un certain niveau d’homogénéité. A partir de quel moment peut-on dire que quelques barriques forment un lot ? Parce qu’elles ont vécu la même chose, parce qu’elles sont constituées des mêmes éléments identifiants ? Tirent-elles leur homogénéité de leur date de fabrication (la campagne) ou bien de caractéristiques gustatives, analytiques ? Notre métier va consister à anticiper ce que la profession attend d’un lot. A partir d’un numéro de lot, on doit pouvoir raconter la vie d’une eau-de-vie. Chaque stade de fabrication est enregistré : ouillage, coupe, assemblage… A toutes les fois, on se posera la question de savoir si cette intervention a changé la nature du produit. Car dès lors qu’il y a changement de nature du produit (le Cognac servant à l’élaboration du Pineau par exemple), il y a changement d’identifiant et donc rupture de la traçabilité. De même le mélange de deux lots va former un nouveau lot. La gestion des flux répond à des lois bien précises et l’informatique convient très bien à ce genre de pratique. Par sa puissance de calcul, elle permet de suivre et surtout d’être capable de reproduire un processus de fabrication. Ceci est extrêmement important.

« Le Paysan Vigneron » – La traçabilité s’arrête-t-elle au contenu ?

C. de J. – Non bien sûr. Elle déborde sur le contenant, c’est-à-dire à la barrique ou au fût dans le domaine du vieillissement. Quand est-ce qu’une barrique a été mise en service, hors service, quel type de traitement a-t-elle supporté ? Ce savoir devient fondamental dans une perspective de sécurité alimentaire.

« Le Paysan Vigneron » – La traçabilité, c’est de la mémoire.

C. de J. – Oui mais pas seulement. La traçabilité doit faire partie d’une démarche de structuration positive de l’entreprise. Il y a deux choses à l’intérieur d’un système de traces : la trace elle-même et puis la recherche de qualité. Ces deux fonctions ne vont pas forcément de pair. Il faut les mettre en place. Si je crée un poste informatique pour saisir l’information et que cette personne ne gagne pas en qualité de travail ou de résultat, ce sera dommage. Valoriser la personne dans un système de traçabilité, c’est quelque chose qui s’étudie. Quelque part, l’informatique représente une forme de délégation et oblige à structurer l’information. Il faut former les gens à travailler avec un peu plus de rigueur mais, en même temps, ces personnes sont débarrassées de l’effort de mémoire et peuvent reprendre le temps gagné pour faire autre chose. Autant que possible, la machine doit se charger des choses bêtes. Les choses intéressantes, celles qui permettent d’apprendre, restent l’apanage des hommes.

« Le Paysan Vigneron » – Quelles peuvent être ces tâches valorisantes ?

C. de J. – Je pense par exemple à la structuration de l’information pour déboucher sur la bonne information, l’information utile. Savoir quel lot peut restituer tel goût ou telle qualité suppose d’avoir alimenté dès le départ les mots clés que permettront une recherche sélective. A l’expérience, l’on s’aperçoit que l’information doit être à la fois très structurée, pour permettre une recherche du type « Tri-Catalogue » et la plus ouverte possible.

« Le Paysan Vigneron » – Pourrait-on concevoir un système de traçabilité sans informatique ?

Il y a quelques années peut-être mais plus maintenant. La quantité d’informations à manipuler est bien trop importante pour se dispenser de la puissance de stockage de l’ordinateur. Et puis le cerveau humain n’est pas fiable du tout. Nous sommes obligés de faire confiance à la machine.

« Le Paysan Vigneron » – Justement, les opérateurs craignent parfois que l’outil informatique les dépossède de leur savoir-faire.

C. de J. – Je sais. Ils ont peur qu’on copie leur technique. C’est dommage. L’informatique recèle des systèmes de protection de toutes sortes et de très haut niveau, comme des solutions d’encryptage des données, des mots de passe, etc.

« Le Paysan Vigneron » – Est-ce-qu’un système de trace coûte cher ?

C. de J. – Ce qui coûte le plus cher, c’est la mise à jour des informations, et non le système en lui-même. Ne nous le cachons pas. Faire vivre l’information a un coût. Il convient de déterminer où se situe le gain. S’informatiser juste pour acquérir de la mémoire, c’est un peu limité. L’idéal consiste à ce que le système informatique apporte un « plus » en terme d’organisation, de structuration et de confort.

« Le Paysan Vigneron » – Comment définiriez-vous la norme HACCP ?

C. de J. – Je dirais que c’est la supervision des points critiques dans la vie d’un produit. L’HACCP intervient dans le domaine de la santé, de la protection sanitaire du consommateur et correspond à un protocole européen. La certification qualité (Iso…) répond aussi à des règles propres. « J’écris ce que je dis et je fais ce que j’écris. » Elle vise un impératif qualité de l’entreprise à l’égard de sa clientèle, dans tous les domaines d’activité. Les deux fonctionnent souvent de pair, l’HACCP s’intégrant dans un processus de certification qualité. Aux différents stades, nous essayons de prendre en compte ces processus qualité. Ce n’est jamais facile. Il convient de ne pas aller trop loin dans la recherche de la sécurité tout en anticipant assez sur les besoins. En résumé, ne pas imposer de contrôles tout en offrant un optimum de sécurité ; anticiper sans gêner… Il n’est jamais simple de trouver le bon niveau d’évaluation. Tout dépend de l’organisation de l’entreprise.

« Le Paysan Vigneron » – L’informatique est-elle normative ?

C. de J. – En informatique, il n’y a pas de normes, il y a des standards. Une marque peut imposer un standard (par exemple le standard Microsoft ou le standard Epson) mais les normes relèvent des institutions. Il faut bien comprendre que la normalisation est dangereuse dans un métier où l’on est obligé de tenir compte de la qualité à tout moment. Notre rôle de concepteur de logiciel va consister à rester vigilant et critique vis-à-vis des tentatives de normalisation. Il faut ouvrir sans cesse des fenêtres. Dans la pratique, je ne fais même que cela.

« Le Paysan Vigneron » – Avez-vous du mal à obtenir de l’administration les renseignements sur les pièces à fournir, les obligations réglementaires…

C. de J. – Non. Les administrations de contrôle de la filière Cognac se montrent très coopératives et ne manifestent aucune réticence à nous fournir les informations dont nous avons besoins. Nous avons toujours reçu un très bon accueil de leur part.

« Le Paysan Vigneron » – Ecrire un logiciel suppose de bien connaître le métier auquel on s’attaque.

C. de J. – L’intégration des fondamentaux d’un métier est la partie la plus délicate, la plus riche et la plus créative aussi de notre activité. Le reste n’est que de la mécanique, faisant appel aux sciences de l’automatisme. Pour l’analyste que je suis, le mot métier revêt en fait deux sens, un sens commun et un sens plus large, celui de modèle ou de « paradigme ». En informatique, il est d’usage de considérer qu’un métier hérite toujours d’autres métiers, qui n’ont généralement rien à voir avec lui mais posent les mêmes types de problèmes. C’est ce que l’on appelle les « technologies d’héritage ». Ma philosophie me pousse à toujours concevoir le niveau un peu au-dessus du métier que je suis censé décrire et, pour cela, je m’inspire d’un métier « père ». Par exemple, le produit Jock’ tourné vers la gestion commerciale des bouteilles a tiré sa substance générale du métier de commerçant. Je ne vous révélerais pas le métier « père » du logiciel sur les chais de vieillissement. Il n’a rien à voir avec le domaine des spiritueux. Et bien sûr, à côté de cette acception large du mot métier, cohabite la version habituelle, celle de « connaissance d’un métier ». Pour en parler, je ne citerais qu’un exemple : l’écart entre la terminologie légale et la terminologie du quotidien. Lors de l’écriture d’un logiciel, nous devons intégrer les deux, nous n’avons pas le choix. Ainsi, tout une part du développement tient à la validation de notre travail par les professionnels. Reste ensuite à faire appel à notre propre vécu. Dans notre fonction d’analyste, nous avons beaucoup de chance : plus on possède d’expérience, meilleur l’on est.

« Le Paysan Vigneron » – Comment se détermine la facilité d’utilisation d’un logiciel ?

C. de J. – Par sa simplicité rédactionnelle. Mais quelquefois cette simplicité est l’aboutissement d’une très grande complexité. L’écriture d’un logiciel doit toujours être sous-tendue par la volonté de simplifier.

(*) IRS pour Infos Réactive Solutions. Société spécialisée dans la « conception, éditions, distribution de solutions en informatique de gestion ». Elle est basée à Saint-Bonnet-sur-Gironde. Tél. 05 46 86 06 56.

Pineau des Charentes

Un retour à l’identique des eaux-de-vie servant au mutage

Dans le décret d’appellation « Pineau des Charentes », il est dit que le Cognac servant au mutage doit provenir de la même exploitation que le moût. Or, environ 15 % des producteurs de Pineau font distiller à façon leurs eaux-de-vie, en sachant qu’une tolérance s’applique dans la région pour un retour à l’équivalent et non à l’identique des eaux-de-vie distillées par des bouilleurs de profession. Lors d’une réunion à Paris il y a un an et demi, le problème a été soulevé par les services de la Répression des fraudes. Pour le régler, l’Administration n’était pas hostile à une modification du décret d’appellation, afin d’exonérer le Pineau de l’obligation de garantir la traçabilité de ses eaux-de-vie. Le texte aurait par exemple pu se contenter de consigner « qu’un même volume d’eau-de-vie devait être produit sur l’exploitation » sans plus de procès. Le syndicat des producteurs de Pineau n’a pas souhaité suivre l’Administration dans son argumentaire, préférant garder le privilège de pouvoir dire que le Pineau « était élaboré à partir de raisins provenant de l’exploitation et de rien d’autre ». Reste à le prouver. Pour ce faire, le Syndicat des producteurs de Pineau et son président Jean-Bernard de Larquier privilégient la piste du cahier des charges, signé avec les bouilleurs de profession qui le voudront. Dans la pratique, cela ne semble pas irréalisable. Il est en effet assez rare que les producteurs de Pineau ne fassent distiller que les volumes nécessaires au mutage des moûts à Pineau. Dans ces conditions, des eaux-de-vie « pures de tout mélange » peuvent être obtenues après les deux premiers tours de chauffe. Des solutions techniques qui ne demanderaient qu’à être couchées sur le papier. « Au syndicat, nous en sommes aujourd’hui à la résolution des problèmes avant que ceux-ci ne deviennent de vrais problèmes » souligne J.B. de Larquier.

 

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