Nicholas Faith ou le cognac sprituel

12 novembre 2010

Auteur d’un livre de référence sur le Cognac*, Nicholas Faith a reçu, lors de la dernière « Part des Anges », un « Cognac award » qui récompense un compagnonnage de trente ans avec le produit et ceux qui l’élaborent. Nick Faith ou l’itinéraire d’un journaliste-écrivain qui a su écouter le monde du Cognac et en parler avec esprit. Un « passeur » qui a beaucoup servi la cause Cognac.

faith.jpgNicholas Faith – Comme toujours c’est une affaire de hasard et de rencontres qui débute, dans mon cas, par un chassé-croisé entre Bordeaux et Cognac. En 1974, je passe des vacances en Charentes, chez des amis, importateurs du Cognac Courvoisier. Mon ami nous entraîne, en famille, dîner dans un grand château bordelais où j’entends parler pour la première fois de l’affaire Cruse. Quelle histoire, surtout pour le journaliste financier que je suis (Nicholas Faith travaille à l’époque au Financial Times de Londres – NDLR). J’ai tout de suite eu envie d’en savoir plus et quatre ans plus tard, en 1978, sortait le Winemasters of Bordeaux, un livre sur les vins de Bordeaux que j’avais rédigé en anglais. Très impliqué à Bordeaux, j’ai d’ailleurs consacré un autre livre au château Margaux. Mais en 1983, l’une de mes amis bordelais vient travailler ici, à Cognac, chez Hennessy. Lors d’un dîner, il m’offre un très bon Cognac – peut-être ai-je un peu trop bu – et je lui demande s’il existe un livre sur le Cognac. Un seul me répond-il. Il est en anglais et, je dois dire, pas vraiment extra. « Je vais en écrire un ! » De retour à Londres, je suis allé voir l’éditeur Fabour, qui possédait une collection de livres sur les produits de la vigne et du vin. « Banco ! ». C’est ainsi qu’en 1986 paraissait mon livre sur le Cognac, un livre illustré, pas très bien d’ailleurs. C’est aussi simple que ça.

« L.P.V. » – Vous n’en resterez pas là ?

N.F. – Non, après, j’ai fait un livre de poche sur le Cognac et autres brandies, intitulé Classic Brandy. Car si le Cognac est de loin le meilleur et le plus important des brandies, il fait tout de même partie d’une race, d’une tribu, d’un peuple. Dans la foulée, on m’a confié la responsabilité d’International Wine Challenge, un concours dédié aux vins puis d’un Challenge sur les alcools. Comme j’avais écrit un livre sur le Cognac, on pensait que « l’ami Nicholas serait capable de le faire ». Les débuts furent plutôt désastreux. Le Challenge sur les alcools réunissait tous les spiritueux, Vodka, Whisky, Rhum, Cognac, Armagnac… Les Cognaçais étaient nettement moins enthousiastes que les gens du Whisky. C’est d’ailleurs typique des Français. Ils émettent toujours des doutes sur l’impartialité des concours. Et puis ça c’est arrangé. En 2004-2005 est sortie la seconde édition de mon livre sur le Cognac. L’ouvrage a reçu un très bon accueil et j’ai remporté le prix André-Simon, la récompense la plus importante en matière d’ouvrages sur les vins et spiritueux. Mais ce qui m’a peut-être fait le plus plaisir, c’est que ce prix soit décerné pour la première fois à une réédition. C’était extraordinaire pour moi.

« L.P.V. » – Comment, de journaliste financier, devient-on un spécialiste du Cognac ?

N.F. – Quand j’ai commencé à écrire, que ce soit sur le vin ou sur le Cognac, je ne me suis pas posé en dégustateur patenté mais en journaliste. Pour moi, un journaliste est celui qui cherche toujours la nouveauté et qui accepte que d’autres connaissent plus de choses que lui. Par tradition, je ne suis pas « autoritaire ». J’écoute et j’accepte d’avoir tort. Je vois trop de dégustateurs-journalistes qui n’écoutent pas ce qu’on leur dit. Personnellement, je ne connais peut-être pas grand-chose au Cognac mais je me dis que mes lecteurs en savent encore moins. C’est cette attitude d’ouverture et d’humilité qu’il faut garder. Ce sont les clés de mon succès, si tant est que l’on puisse parler de succès. Chaque rencontre m’enrichit. Encore hier, j’ai appris de nouvelles choses sur le Cognac. Par ailleurs, j’ai toujours souhaité écrire des livres à dimension économique, sociale, humaine, qui parlent autant des gens et des familles que de géologie, distillation, maturation ou type de bois. Si beaucoup d’auteurs écrivent sur le vin, très peu écrivent sur le Cognac et encore moins prennent le temps d’aller rencontrer les producteurs. C’est ce qui m’est arrivé à Bordeaux et à Cognac. Je fus le premier à parler aux vignerons et aux maîtres de chai et pas seulement déguster les vins. Vous savez, notre métier de journaliste est très facile. Il suffit de poser une question et ensuite de rester silencieux. Notre interlocuteur se livre spontanément. J’ai appris cela d’un grand type de la télé, un as de l’interview.

« L.P.V. » – Avez-vous reçu un bon accueil à Cognac ?

N.F. – C’est moins difficile ici qu’à Bordeaux. Les Charentais ne sont pas aussi snobs que les Bordelais. En outre, je connaissais des importateurs en Angleterre. J’étais tout de même bien introduit.

« L.P.V. » – Vers quels Cognacs vous porte votre goût ?

N.F. – Bien sûr, j’ai mes préférences mais vraiment, il faut être un peu Français et donc (sourire) un peu vulgaire – pardonnez cette impertinence au vieil Anglais que je suis – pour dire d’une femme « elle est très belle mais je ne la trouve pas très sexy. » Le goût est affaire éminemment personnelle. C’est ce que je déteste chez Parker que de vouloir imposer son goût à lui. Tous les autres Anglo-Saxons dégustateurs et amateurs de vin sont contre ce genre d’attitude. Plus sérieusement, je dois vous dire que je n’aime pas ce snobisme actuel autour du vieillissement. Il sévit sur les Tawny Portos comme sur les Cognacs. Il est assez rare qu’une très vieille chose, chez les hommes comme parmi les spiritueux, recèle des miracles. J’ai participé à une dégustation de très vieux Cognacs chez un propriétaire : huit sur quinze étaient ridicules, marqués par trop de bois. Pour moi, un Cognac atteint sa quintessence entre 35 et 45 ans, quand on y trouve toujours du fruit et que s’exprime le rancio. Si je suis fier d’une chose, c’est d’avoir participé à la description et à la mise en lumière de ce fameux rancio. Il m’évoque un type de cake anglais bien particulier, le Rich fruit cake, avec ces candid fruits – comment dites-vous en français – fruits confits, noix, amande, etc. C’est riche et ça, c’est le rancio. J’aime vraiment beaucoup cette combinaison, cet équilibre entre le bois et le fruit, en sachant que le bois ne doit jamais l’emporter. J’ai l’honneur d’être invité tous les ans au concours des eaux-de-vie de Segonzac. Quelle tristesse de voir de belles eaux-de-vie abîmées du fait d’être restées trop longtemps dans des barriques de papa ou de grand-papa. Je sais bien que le vieillissement fait vendre. Qu’il est plus facile d’obtenir un prix élevé pour un produit très vieux, pour un Tawny Porto de 40 ans d’âge ou un Napoléon. Mais quel dommage quand le fruit est parti. Cette mode du vieillissement est ridicule. Un ami, véritable expert en vieux Cognacs, m’a confié qu’il refusait 9 échantillons sur 10. C’est pour cela qu’il ne faut jamais acheter de vieux Cognacs aux ventes aux enchères. Cela dit, j’ai dégusté dans une maison un Cognac de 1906 toujours en pleine forme. Mais c’est exceptionnel, rarissime.

« L.P.V. » – Que vous a appris la fréquentation des maîtres de chai ?`

N.F. – Sourire – Qu’il faut accepter que des personnes que l’on trouve insupportables fassent de bonnes choses. C’est ça le plus difficile à admettre. Heureusement que les gens que j’aime le mieux à Cognac font aussi de belles choses. D’ailleurs, c’est peut-être parce qu’ils font de belles choses qu’ils sont mes amis.

« L.P.V. » – Depuis le temps que vous « hantez » la région, distinguez-vous des facteurs de progrès.

faith_durand.jpgN.F. – De nombreux, oui. Tout d’abord dans les vins. Le tournant, me semble-t-il, a été pris en 1989, année désastreuse s’il en fut ou plus exactement « too much », démesurée en tout. Derrière, une prise de conscience a émergé, qu’il fallait s’occuper des raisins, matériau de base du Cognac. Très courageusement, les viticulteurs ont également réduit leur vignoble suite à la crise, redessinant ainsi une carte du Cognac me semble-t-il plus conforme aux canons qualitatifs du Cognac. Enfin, le fait que la Chine devienne un marché dominant a changé la donne. On ne produit pas du VSOP ou un XO comme on produit du VS. C’est d’ailleurs assez symptomatique de constater que le seul produit étranger protégé par les Chinois – sur 700 produits locaux protégés – soit le Cognac. Très intelligents, les Chinois ne voulaient pas que leurs compatriotes boivent de la m… Cet accord absolument déterminant est à mettre au crédit du Bureau national du Cognac. C’est lui qui l’a fait. Un autre élément me saute aux yeux, c’est que les Cognaçais sont en train de constituer une véritable communauté. Hier soir, à La Part des Anges, vous avez pu constater la présence de presque tous les chefs de maisons. Quelque chose d’impensable encore il y a peu. Le jeune Jérôme Durand a compris l’importance qu’il y avait à forger cette communauté. L’édition 2010 de La Part des Anges a réuni 650 personnes. C’est un maximum. L’événement va devenir exclusif, c’est-à-dire désirable. Pour moi, c’est un bon signe. Comme le festival Blues Passions est bon pour le Cognac. Cette musique est une musique démocratique, rassembleuse, qui fait écho chez les jeunes. Et les jeunes sont très utiles au Cognac.

« L.P.V. » – Quelle curiosité vous inspire le Cognac aujourd’hui ?

N.F. – Certes j’ai toujours envie de voir mes amis, ceux qui ont fait le Cognac et continue de le faire. Mais je suis un journaliste. Et le plus important, pour un journaliste, c’est de découvrir des choses « vierges », des nouveautés. J’ai été content hier soir, lors de la vente aux enchères, de voir émerger des Borderies, des Fins Bois. Lors de mon prochain déplacement, je compte bien rencontrer les gens de chez Martell. Je ne connais pas la nouvelle génération. Oui, pour moi, c’est très important d’aller chez Martell.

« L.P.V. » – Les portes de toutes les maisons vous sont ouvertes ?

N.F. – Autrefois j’ai eu des problèmes avec quelques maisons mais aujourd’hui, oui, toutes les portes me sont ouvertes. Mon seul regret, c’est de ne pas venir plus souvent à Cognac. Heureusement, beaucoup de Cognaçais se déplacent à Londres, où j’ai le plaisir de les voir.

Les Cognac awards 2010
Mettre à l’honneur, distinguer, récompenser… C’est tout cela que charrie le terme « Award », tiré de l’Amérique et de ses célèbres Grammy Awards dédiés à la musique. Aujourd’hui, des « Awards » se déclinent partout dans le monde.
Les Cognac awards récompensent ceux et celles qui participent activement au rayonnement du Cognac à travers le monde.
− « L’International Cognac writer » a été décerné à Jörg Zipprick pour son livre Die Welt des Cognacs, premier ouvrage dédié au Cognac en langue allemande depuis 25 ans.
− « L’International Cognac Personnalité » a été remis à Flavien Desoblin, un jeune Français, pour avoir mis le Cognac à l’honneur dans son élégante « Brandy Library » à New York.
− « Le Lifetime Achievement Award » a couronné Nicholas Faith pour sa connaissance et sa passion hors du commun pour le Cognac et les Cognaçais. Son livre, Le Cognac, publié en 2004, reste une œuvre de référence.
(Source : Service Marketing & communication du BNIC)

 

 

 

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