Taxes pineau : La victoire en suspens

23 janvier 2012

En fait, il s’agit d’une vraie victoire, éclatante même. Les taxes Pineau baissent de 20 % au 1er janvier 2012. Une réussite totale, à mettre au crédit de presque trente ans d’un combat fiscal pugnace, inventif et courageux, incarné par un homme, Christian Baudry. Mais oui, la victoire reste en suspens car un autre défi attend le Pineau : que le gain fiscal décroché de haute lutte reste dans la filière, afin de conforter la marge des metteurs en marché, producteurs ou négociants. En jeu, la visibilité du Pineau, les moyens de communiquer et, pour tout dire, son avenir.

 

 

p13.jpgUn Christian Baudry ému aux larmes. Voilà bien une image inhabituelle. Pendant 25 ans de combat fiscal, l’homme n’a pas flanché. Avec constance et ténacité, il a fait le siège des bureaux de Bercy (ministère du Budget), de la rue de Varenne (ministère de l’Agriculture) ou de Bruxelles. Il a alerté, houspillé, poussé à avancer les élus de tous bords, conseillers généraux, députés, sénateurs, ministres, futurs ministres, anciens ministres… Il s’est révélé un lobbyiste hors pair, doté d’un sens aigu de la négociation. « Ne jamais négocier en position de faiblesse » était et reste son viatique. Et puis, devant l’hommage rendu par ses pairs – le « triple ban » demandé par Jean-Bernard de Larquier aux producteurs de Pineau lors de la réunion de Pons – Christian Baudry a laissé tomber l’armure (qu’il n’a pas bien épaisse). Derrière les lunettes, les yeux se sont embués. Après presque trente ans de combat fiscal, la fiscalité des produits intermédiaires, dont le Pineau, va baisser enfin de 20 %. Les taxes sur les vins de liqueur, de 226,51 € l’hl vol., sont passées au 1er janvier 2012 à 180 € l’hl vol. Sur une bouteille de 75 cl, cela représente un gain fiscal de 40 c TTC. L’objectif de départ est atteint : que la catégorie des produits dits « intermédiaires » – intermédiaires entre le vin et les boissons spiritueuses – soit effectivement taxée à « mi-droit ». Ramené à l’alcool pur dans la bouteille, c’est le cas. Depuis le 1er janvier 2012, le Pineau et les autres vins de liqueur acquittent une fiscalité de 11 € par litre d’AP, soit environ 48 % de la fiscalité des spiritueux. Au niveau régional, la baisse des taxes engendre une économie de 3,5 millions d’€.

Le jeudi 8 décembre, une réunion organisée à Pons a rassemblé les producteurs de Pineau. Cette rencontre avait quelque chose d’emblématique. D’abord parce qu’elle s’est tenue à Pons, une des citadelles de Charente-Maritime, terre d’élection du Pineau, où les élus ont su fortement se mobiliser pour le produit régional. Ensuite, parce que dans cette salle des fêtes de Pons un peu désuète, la famille du Pineau s’est retrouvée au coude à coude, solidaire et chaleureuse. Des gens que l’on ne voit pas souvent étaient présents. A la fois pour fêter la victoire du Pineau mais aussi pour décider quelle suite à donner à la grève des droits ; et savoir quoi faire de la cagnotte fiscale amassée au fil des ans ? Questions un peu symboliques certes mais que le Syndicat des producteurs a tenu à poser. Et ça, c’était bien dans la manière du Pineau. Faire les choses comme elles doivent être faites, avec considération. C’est peut-être cette manière-là qui a valu au combat fiscal d’avoir le souffle suffisamment long pour durer toutes ces années et, au final, s’avérer gagnant.

La bataille des droits

Cette bataille des droits, Christian Baudry, viticulteur à Saint-Hilaire-de-Villefranche, l’a incarnée. On peut même dire qu’il l’a portée, avec l’appui de quelques vaillants comparses. Un Antoine Cuzange, de la famille du négoce, s’est révélé un compagnon de lutte particulièrement habile et pugnace, par sa parfaite connaissance des arcanes de la fiscalité des spiritueux. Des personnes comme Jean Brillet, Jacques Caillet, Bernard Lucquiaud, apportèrent de la profondeur au combat fiscal. Le Pineau coulait dans leurs veines. Aujourd’hui, la relève est assurée par Jean-Marie Baillif, président du Syndicat des producteurs, Jean-Bernard de Larquier, président du Comité, hommes de conviction et de verbe, ce qui ne gâte rien.

En 1991, le 25 septembre exactement, Christian Baudry fonda la CNVLAOC (Confédération nationale des producteurs de vins de liqueur AOC). Jusqu’à ce jour, il en est le président. La création de la CNVLAOC fut tout sauf anecdotique. Aux yeux des ministères, le combat des taxes acquit d’un coup un relief supplémentaire. Il fut légitimé en quelque sorte. Ce n’était plus un produit isolé qui se défendait mais toute une catégorie. Floc en tête, les produits intermédiaires (Macvin du Jura, Pommeau de Normandie…) manifestèrent une fidélité sans faille, dans l’épisode des grèves ou des actions en justice. Depuis des années, peu de réunions Pineau se tiennent en Charentes sans un représentant du Floc. Le 8 décembre dernier, Michel Maestrojuan, membre de l’interprofession du Floc, était présent à Pons. Il a dit quelques mots. Comme l’avait fait Corinne Lacoste-Bayernes, la présidente du Syndicat des producteurs de Floc, à Archiac en janvier 2010, lors du déclenchement de la dernière grève des taxes. Corinne Lacoste a succédé à Alain Lalanne, lui-même défenseur « historique » des Vins de liqueur AOC aux côtés de Christian Baudry.

« C’est votre argent »

« C’est votre argent. Il n’est pas question qu’on le redonne sans votre accord. » La CNVLAOC a consulté les adhérents du syndicat sur la suite à donner au mouvement de grève et surtout sur le devenir des sommes bloquées. Sans surprise, les producteurs de Pineau ont voté l’arrêt de la grève au 31 décembre 2011 ainsi que la restitution des taxes aux Douanes. « Ce n’est pas tous les jours qu’un vote engage 20 millions d’€ » s’est amusé Christian Baudry. En fait, la somme exacte est plus proche des 18,5 millions. Ceci dit, elle représente un beau pactole, fruit de l’addition de deux grèves des taxes : celle de 2001-2004, interrompue en 2004 mais sans déblocage des sommes, et celle entamée début 2010. Pour les rares producteurs qui auraient pratiqué la rétention des droits à leurs corps défendant, sans passer par la CNVLAOC, Christian Baudry leur a recommandé de se rapprocher au plus vite du syndicat. « Quand nous réglerons les sommes aux Douanes, l’objectif est d’arriver à “zéro bavure”. Nous rendrons une situation propre. Nous n’en serons que plus forts. » Pour ceux qui jouèrent collectif, l’idée a eu un peu de mal à passer. « D’accord mais pas question que les francs-tireurs profitent de la remise de 9 €. » Car, grâce aux intérêts produits par les sommes placées, la Confédération des vins de liqueur a pris en charge 9 €/hl vol. sur les droits dus en 2010 et 2011. Conséquence ! les producteurs ont acquitté des accises de 214,5 € l’hl vol. au lieu du taux plein de 223,50 €. Sur ces 214 €, 169 € restèrent bloqués sur les comptes de la confédération et 45 € furent versés à l’Etat (fiscalité plancher des produits intermédiaires au niveau européen). Pour solde des 669 comptes qu’elle avait mandat de représenter, la Confédération des vins de liqueur s’apprête à faire un chèque de 18,25 millions d’€ à Bercy. « L’Etat peut nous dire merci, s’est exclamé sur un mode plaisant Ch. Baudry. S’il avait perçu cet argent, il ne l’aurait plus ! »

Gérer la baisse des droits

p14.jpgL’Etat recouvre ses taxes et le Pineau, lui, doit très vite apprendre à gérer la baisse des droits, sous peine de voir son pactole s’évaporer. Pas de trêve donc pour les vins de liqueur. Il leur faut transformer l’essai, dans l’heure. « Nous pensions pouvoir souffler un peu. Ce n’est pas le cas » a commenté Jean-Marie Baillif qui, comme ses collègues, s’est bien gardé de tout triomphalisme dans cette affaire des taxes. Depuis pas mal de temps déjà, le président du Syndicat des producteurs de Pineau se projette dans « l’après taxes », avec la conscience aiguë que la prochaine étape ne sera pas plus simple à négocier que la précédente. Et qu’elle sera tout aussi déterminante. Résumé par Christian Baudry, l’enjeu paraît simple : « La diminution de la fiscalité doit rester dans la filière. » Certes, mais pourquoi faire ? « Pour que les deux parties en tirent profit, la production et les négociants qui souhaitent améliorer leur marge. » Derrière, ce qui est réellement visé, c’est la promotion, la capacité, pour le Pineau, de communiquer sur les marchés. La filière et notamment les producteurs considèrent la promotion comme vitale. « Aujourd’hui, sans communication, la durée de vie d’un produit est comptée » a noté J.-M. Baillif. Auparavant, le Pineau profitait d’une aide à la promotion, destinée à compenser un niveau de taxe excessif. Aujourd’hui, ce courant est définitivement tari. « Ce million d’€, nous ne l’aurons plus » a souligné opportunément un opérateur. Par ailleurs, la CVO publicité a été diminuée de presque moitié voilà 5 ou 6 ans, à une époque où il fallait « resserrer les boulons ». Le négoce avait été en pointe sur le sujet.

Un « New deal » se dessine donc pour le Pineau. Sur le terreau de la baisse des taxes, son « modèle économique » doit être revu. « Il est impératif que les metteurs en marché – tous les metteurs en marché, négociants comme opérateurs de la production – maintiennent ou augmentent leurs tarifs » a plaidé avec force Jean-Marie Baillif. Quand le président du syndicat du Pineau parle de maintien, il vise ceux qui vendent TTC, droits compris. Quant à l’augmentation des prix, elle concerne ceux qui vendent hors taxes, hors droits. L’idée, c’est d’éviter que les distributeurs aient la tentation de confisquer la baisse des droits. Et même si quelques-uns, parmi les plus vertueux, avaient l’intention de rétrocéder la baisse des droits au consommateur, par une baisse du prix de vente, serait-ce tellement une bonne chose ? « Cela risquerait de déstabiliser une filière qui, aujourd’hui, est à l’équilibre » répondent d’une même voix Jean-Marie Baillif et Jean-Bernard de Larquier. « Nous devons être cohérents ». « On ne s’est pas bagarré pendant presque trente ans pour faire cadeau de ces 40 centimes à la grande distribution. Ce serait un véritable reniement » a tonné de manière préventive et solennelle Christian Baudry. « Si les metteurs en marché ne sont pas capables de conserver la manne fiscale pour financer la publicité, ça se saura. Il faudrait alors se poser la question de savoir s’il ne conviendrait pas de transférer la charge publicitaire sur la production et faire monter de 40 centimes les prix à la production ! » Cela étant, le Syndicat des producteurs ne souhaite pas faire de procès d’intention. Il dit faire confiance au sens de la responsabilité individuelle et collective des opérateurs. « De toute façon, nous n’avons ni le pouvoir ni la volonté de nous transformer en gendarme a confirmé J.-M. Baillif. Que chacun agisse en son âme et conscience. Par contre, si certains pensent s’en sortir en baissant leur tarif, ils ont tort. Il se trouvera toujours quelqu’un pour baisser davantage qu’eux. »

Ces réflexions suggèrent que la partie n’est pas gagnée d’avance. Un opérateur l’a avoué : « Je n’augmenterai mes tarifs que lorsque tout le monde augmentera les siens. » La crainte de vendre moins en étant plus cher… C’est à lever ce tabou des prix de vente que le Syndicat des producteurs va consacrer ses réunions de secteur. « Un chantier important s’ouvre à nous. Venez nombreux exprimer vos besoins, vos attentes, vos désirs. Soyez force de propositions. C’est l’avenir de notre filière qui va se jouer durant les prochains mois. »

Rétrospective
1983 – Première grève des taxes.
1984 – Aides Susini et première enveloppe « promotion ».
1992 – Harmonisation européenne des accises (niveau de taxation sans changement mais exprimée au volume et non plus en alcool pur).
1993 – Deuxième mouvement de rétention des droits.
1994 – Fin de la grève et accord avec le Gouvernement pour poser une « question préjudicielle » à la Cour de justice de Luxembourg. Actions devant les tribunaux, jusque dans les années 2002-2003.
1994 – Enveloppe globale de 144 millions d’€ débloquée par l’Etat pour la promotion des VDL, répartie sur 5 ans.
2002 – Relance d’un 3e mouvement de grève des taxes.
2004 – Fin de la grève mais conservation des accises.
2005 – Mise en place d’un plan d’aide de 12 millions d’€, dont 9,5 millions pour le Pineau.
Janvier 2010 – Reprise de la grève des taxes, pour la 4e fois.
Novembre 2011 – Les VDL AOC obtiennent une baisse de leurs taxes de 20 %.
Décembre 2011 – Fin de la grève des droits et restitution des sommes.

 

 

A lire aussi

L’appel à l’aide de l’US Cognac Rugby

L’appel à l’aide de l’US Cognac Rugby

C'est un constat qui a fait le tour des médias, sportifs ou non: l'US Cognac va très mal. Malgré les efforts de Jean-Charles Vicard pour tenter de redresser la barre, le club se retrouve dans une difficile situation financière.  La direction a de fait décidé d'envoyer...

error: Ce contenu est protégé