Deux armes pour lutter contre les effets de la pourriture grise

14 mars 2009

La perte de couleur dans les vins rouges ou rosés est un phénomène qui se rencontre fréquemment notamment lorsque le raisin a subi une attaque de Botrytis cinerea. Ce problème est lié en grande partie à des phénomènes d’oxydation qui entraînent une insolubilisation de la matière colorante et une évolution de la couleur rouge violacée vers des teintes orangées.

Un des moyens les plus efficaces de protéger le moût contre l’oxydation est bien sûr de sulfiter. Mais lorsque les conditions sanitaires ne sont pas parfaites, et c’est souvent le cas, le moût est riche en composés cétoniques, le SO2 a donc tendance à se combiner fortement. Pour être efficaces, les doses de SO2 doivent donc être élevées pour obtenir une proportion de SO2 libre suffisante.

Or la tendance est à la réduction des doses de SO2. Nous avons donc jugé utile de nous intéresser au rôle de certains produits tels que les enzymes et les tanins qui permettraient également de lutter efficacement contre les phénomènes d’oxydation. Nous avons mené un certain nombre d’essais lors des vendanges 2002, particulièrement propices au développement de la pourriture.

Pour traiter l’oxydation, nous disposons de produits à base de caséine et de PVPP (Polycase ou Polypresse). Ces produits sont très efficaces en traitant le problème par élimination alors que les tanins et les enzymes peuvent permettre de participer de manière préventive à la bonne qualité du vin : maintien voire renforcement de la couleur et de la structure du vin.

Intérêt des tanins lors de la vinification de vendanges botrytisées, objectifs de l’expérimentation

La laccase, oxydase secrétée par Botrytis cinerea, étant une protéine, on peut penser qu’elle pourra réagir avec les tanins et ainsi sera inactivée. Les tanins sont des composés antioxydants utilisés dans de nom-breux secteurs autres que l’œnologie (céréales, corps gras, huile, ciment…). Par ailleurs, Martin Vialatte œnologie dispose, dans le domaine des tanins, d’une longue expertise, et a mis en évidence à plusieurs reprises l’intérêt des tanins appliqués en vinification pour protéger la matière colorante des vins rouges.

Une bibliographie abondante traite du rôle antioxydant des tanins (Masquelier, Bourzeix, Ribéreau Gayon, Vercateren, Cuvelier, Teissedre).

Les expérimentations menées se sont portées sur l’intérêt des tanins dans la protection contre l’oxydation des moûts issus de raisins botrytisés.

Sur certaines modalités, les apports de tanins ont été faits en synergie avec les enzymes d’extraction, riches en activités complémentaires. Ceux-ci facilitent la libération des polyphénols de la pellicule de la baie de raisin.

Notre objectif était de vérifier si ces tanins de raisins, ainsi libérés, pouvaient jouer un rôle, au même titre que les tanins œnologiques exogènes sur la protection de la matière colorante.

En parallèle, nous nous sommes attachés à valider la qualité organoleptique des vins traités car l’apport d’enzyme sur vendange botrytisée ne fait classiquement pas l’unanimité. Certains craignent d’extraire des composés risquant de nuire à la qualité du vin.

Protocole expérimental

L’objectif de ces expérimentations était de déterminer l’effet des tanins et des enzymes d’extraction sur une vendange botrytisée et de déterminer s’il existe une synergie entre ces deux produits.

Matériel

Les essais ont été menés à la Chambre d’agriculture de la Gironde. Ils ont été réalisés sur une vendange issue du cépage merlot de la région de Bordeaux, millésime 2002, en cuves thermorégulées de 1 hl. Deux degrés d’attaque par Botrytis cinerea estimés visuellement ont été étudiés : 30 % et 10 % de baies atteintes. La vendange a été sulfitée à une dose de 5 g/hl, ce qui est une dose habituelle pour la région. La durée de macération a été fixée à 15 jours.

Produits testés

– Enzymes X et Dépectil Extragarde FCE sont des enzymes d’extraction (pectinases à activités complémentaires)

– VitanilVR : tanin de québracho.

Modalités

Les traitements sont les suivants :

Pour la vendange à 30 % de pourriture

– 2 témoins non traités (duplicata)

– Enzyme X : 2 g/hl à l’encuvage

– Dépectil Extragarde FCE : 2 g/hl à l’encuvage

– Vitanil VR : 30 g/hl à l’encuvage et 30 g/hl à mi FA.

– Dépectil Extragarde FCE : 2 g/hl + Vitanil VR 20 g/hl

Pour la vendange à 10 % de pourriture

– 2 témoins non traités (duplicata)

– Enzyme X : 2 g/hl à l’encuvage

– Dépectil Extragarde FCE : 2 g/hl à l’encuvage

– Vitanil VR : 20 g/hl à l’encuvage

– Dépectil Extragarde FCE : 2 g/hl + Vitanil VR 20 g/hl

Les deux produits sont ajoutés à l’encuvage en une seule fois. La modalité Viatanil VR 30 g/hl à l’encuvage + 30 g/hl à mi FA a été choisie pour déterminer si un surdosage en tanin pouvait avoir plus d’efficacité sur une vendange très pourrie. Pour attester de la reproductibilité de la méthode, le témoin non traité est doublé.

Analyses effectuées

– Analyses physico-chimiques classiques

– Analyses de la composition phénolique :

Intensité Colorante Modifiée (ICM) = DO 420 + DO 520 + DO 620

– Teinte = DO 420/DO520

– Indice de Polyphénols Totaux (IPT) : DO 280

– Indice de pouvoir tannant (De Freitas, 1995) (ou « indice BSA ») : il rend compte de l’astringence d’un vin : plus la valeur augmente, plus le vin est astringent.

– Indices de Glories : extractibilté des anthocyanes (EA %) : plus la valeur est basse, plus les anthocyanes sont extractibles ; maturité des pépins : plus la valeur est basse, plus les pépins sont mûrs.

Résultats

figure_1.jpgRésultats des essais sur les raisins botrytisés à 30 %

Caractérisation de la matière première

L’état de la vendange n’a pas permis de déterminer les indices de maturité

Déroulement des fermentations

Malgré l’importante attaque de pourriture, les fermentations alcooliques et malolactiques se sont déroulées dans de bonnes conditions. La fermentation alcoolique a duré 7 jours. La fermentation malolactique a duré 18 jours. Il n’y a pas eu de différences significatives entre les modalités.

Analyse des vins en fin de FML

figure_2.jpgAprès fermentation malolactique, les paramètres classiques sont relativement homogènes. Par contre, la composition phénolique et la couleur montrent clairement deux groupes bien distincts (figures 1 et 2) : un groupe comprenant les témoins, l’enzyme X, Dépectil Extragarde FCE et Vitanil VR ; l’autre groupe est constitué uniquement de la modalité « synergie enzymes + tanins ».

Cette dernière modalité présente un IPT, un taux d’anthocyanes et une intensité colorante nettement supérieurs à l’autre groupe, la teinte est significativement plus faible indiquant que ce vin aura une couleur plus rouge violacée. Cette modalité (synergie enzyme/tanin) est donc la plus satisfaisante dans cet essai.

Les lots traités avec tanins et enzymes sont peu différents les uns des autres et présentent une structure tannique plus élevée que les témoins. Ceci laisse penser que l’apport d’enzymes se traduit par une extraction accrue des tanins endogènes. La modalité « synergie enzymes/tanins » possède un IPT très élevé alors que le pouvoir tannant est identique aux autres modalités. Cette contradiction apparente se traduira, à la dégustation, par un vin de caractère à la fois plus structuré et rond. De façon générale, les échantillons traités seront plus structurés que les témoins.

Qualité organoleptique des vins

Deux dégustations ont été effectuées par un jury de 28 dégustateurs professionnels de la région de Bordeaux. Les vins ont été dégustés selon un protocole qui élimine les effets d’ordre des échantillons ainsi que l’effet d’un échantillon sur l’appréciation du suivant. Les résultats des dégustations sont traités par différentes méthodes statistiques dont l’analyse en composantes principales (ACP) qui permet de dégager les grandes tendances dans les différences sensorielles perçues. Le groupe précédemment identifié est plutôt caractérisé par : teinte élevée et caractère végétal.

Au contraire, la modalité « synergie Dépectil Extragarde FCE + Vitanil VR » est caractérisée par les variables suivantes : intensité colorante, qualité aromatique en bouche, qualité et quantité de tanins, équilibre, fruité, qualité globale et qualité au nez.

Ce vin présente une belle couleur, plus d’intensité aromatique et plus de structure.

fig3.jpgCes caractéristiques organoleptiques sont matérialisées dans le profil aromatique (figure 3) où l’on voit très nettement la supériorité de la modalité Dépectil Extragarde FCE + Vitanil VR.

Conclusion de cette dégustation

La modalité tanisée et enzymée présente une qualité globale nettement supérieure aux autres modalités sur tous les aspects visuels olfactifs et gustatifs.

Les différences entre les témoins et les autres modalités sont faibles. L’utilisation du tanin à forte dose n’a pas donné de résultats intéressant dans ce cas.

Résultats des essais sur les raisins bothrytisés à 10 %

figure_4.jpgCaractérisation de la matière première

L’analyse des raisins révèle une faible concentration en anthocyanes (534 mg/l) et en tanins (IPT = 45).

L’extractibilité des anthocyanes est bonne (EA % = 51) mais les pépins manquent de maturité (maturité des pépins = 52 %).

Déroulement des fermentations

Les fermentations alcooliques se sont déroulées sans problème en 7 jours, sans différence significative entre les différentes modalités. De même, nous ne notons pas de différence dans le déroulement des fermentations malolactiques qui ont duré 18 jours.

Analyses des vins en fin de FML

Après fermentation malolactique, les paramètres classiques sont relativement homogènes.

Par contre, la composition phénolique et la couleur présentent des différences intéressantes.

figure_5.jpgLa figure 4 montre que l’indice de polyphénols totaux (IPT) et le taux d’anthocyanes sont significativement supérieurs pour tous les lots traités. Ces paramètres indiquent que les vins traités sont plus riches en tanins et potentiellement plus colorés.

Les bons résultats sur la couleur des vins sont confirmés par la figure 5 qui représente l’intensité colorante (IC) et la teinte.

La figure 5 montre très clairement que les témoins ont une IC faible (6) mais surtout une teinte très élevée pour des vins jeunes (entre 1,24 et 1,29). Ce dernier critère indique que ces vins témoins vont être d’une couleur tirant vers l’orangé et de faible intensité.

A l’inverse, les vins traités présentent une IC élevée et une teinte faible (entre 0,7 et 0,8) ce qui est plus proche des valeurs habituellement rencontrées sur des vins jeunes.

Conclusion de ces analyses

figure_6.jpgTout d’abord, nous pouvons constater que les analyses de la composition phénolique des deux témoins sont très proches, ce qui prouve que la méthode de vinification est reproductible et nous pouvons avoir confiance dans les résultats. Ensuite, nous constatons une très nette différence entre les témoins et le groupe des lots traités. Les témoins présentent une structure tannique plus faible, une couleur plus orangée que rouge qui est la caractéristique des vins oxydés. Les lots traités avec tanins ou enzymes sont peu différents les uns des autres et présentent une structure tannique plus élevée que les témoins et une couleur rouge soutenue digne d’un vin jeune issu d’une vendange saine.

La modalité « synergie enzymes/tanins » a donné un bon résultat puisque, pour cette modalité, nous enregistrons un pouvoir tannant supérieur de 20 % par rapport aux modalités traitées avec tanins seuls ou enzyme seuls et supérieur de 35 % par rapport aux témoins (figure 6). Ceci laisse penser que l’apport d’enzymes se traduit par une extraction accrue des tannins endogènes. On note ainsi un réel effet synergique entre les tannins et les enzymes, qui fait que le vin issu de cette modalité est plus structuré (sans être nécessairement plus coloré).

figure_7.jpgSi l’on regarde l’évolution de la couleur des vins au cours de leur conservation entre la fin de la FML et la mise en bouteille, on constate là aussi l’intérêt du traitement avec les enzymes et les tanins : les témoins perdent une quantité de couleur très importante (entre 20 et 24 %) alors que la couleur dans les vins traités reste stable (figure 7).

Au cours des 10 mois suivants, en bouteille, l’intensité colorante des témoins a continué de décroître alors que la couleur des vins traités n’a pas évolué.

On peut donc dire que, dans ce cas, l’apport de tanin et/ou d’enzyme a permis de stabiliser la matière colorante.

Qualité organoleptique des vins

figure_8.jpgLes vins ont été dégustés selon le même protocole que précédemment. L’observation visuelle des verres est édifiante quant à la différence de couleur entre les témoins et les échantillons traités (figure 8) ; les témoins sont complètement oxydés alors que les échantillons traités ont une couleur tout à fait convenable.

Le traitement statistique des dégustations donne les résultats suivants :

– Les témoins sont caractérisés par : nuance et défaut.

– L’ensemble des modalités traitées est caractérisé par les prescripteurs suivants : intensité colorante, qualité aromatique en bouche, qualité et quantité de tanins, équilibre, fruité, qualité globale et qualité au nez.

Ces caractéristiques organoleptiques sont matérialisées dans le profil aromatique (figure 9) où l’on voit très nettement les témoins jugés à un niveau inférieur aux échantillons traités. En conclusion de cette dégustation les modalités traitées ont été nettement préférées. Elles sont jugées de manière quasiment identique. Elles sont préférées au niveau de la couleur, de l’arôme, de l’équilibre et de la structure en bouche.

Ainsi contrairement aux idées reçues, l’utilisation raisonnée d’enzymes sur vendanges botrytisées ne nuit pas du tout à la qualité organoleptique des vins.

L’échantillon traité avec Dépectil Extragarde FCE semble même présenter des caractéristiques plus intéressantes au niveau descriptif bien que les dégustateurs ne la fassent pas ressortir dans les préférences globales.

Conclusions générales

Tout d’abord, ces expérimentations confirment la difficulté à déterminer visuellement l’effet de Botrytis cinerea sur les phénomènes d’oxydation du moût et du vin. La vendange ayant 10 % de baies atteintes a été moins sensible à l’oxydation. Ensuite ces essais montrent très clairement l’effet des tanins et des enzymes d’extraction sur la protection de la vendange vis-à-vis des oxydations. Lorsque la vendange est sensible à l’oxydation (10 % de baies atteintes), Vitanil VR, Dépectil Extragarde FCE et l’utilisation en synergie des deux simultanément ont été d’une grande efficacité. La protection contre l’oxydation des moûts a été la même quelles que soient les modalités. Lorsque la vendange est moins sensible à l’oxydation (30 % de baies atteintes), la « synergie Vitanil VR et Dépectil Extragarde FCE » a permis d’obtenir un vin de meilleure qualité tant sur le plan de la couleur que sur le plan organoleptique.

Nous confirmons donc l’intérêt des tanins pour l’élaboration des vins rouges et notamment lors de vendange altérée. Et contrairement aux craintes que certains peuvent avoir, l’emploi d’enzymes d’extraction sur vendange pourrie, non seulement n’est pas néfaste, mais présente un intérêt certain et notamment en synergie avec le tanin.

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