Le soin apporté à l’établissement et à la taille des jeunes plants de vignes semble avoir une incidence directe à la fois sur leur réceptivité aux maladies du bois et sur leur longévité. Des travaux de recherches ont mis en évidence l’importance du rôle des blessures liées aux plaies de taille dans la propagation de l’eutypiose, de l’esca et du BDA. Limiter le nombre de plaies de taille et porter une attention constante à la circulation de la sève durant les quinze premières années de la vie d’une souche contribuent à améliorer la pérennité des vignes.
Les dégâts occasionnés par les maladies du bois au cours des dernières années augmentent régulièrement au point d’en arriver à pénaliser le niveau de production de certaines parcelles. En parcourant la région délimitée, tous les observateurs avisés sont frappés par le taux élevé de pieds absents ou improductifs dans des parcelles jeunes et âgées. Les pertes de production sont beaucoup plus perceptibles dans les vignes à faible densité de plantations dont la proportion est largement majoritaire dans la région de Cognac. Bien qu’aucune étude fine n’ait été réalisée, un certain nombre de techniciens et de viticulteurs considèrent qu’aujourd’hui une parcelle d’ugni blanc sur trois est dans l’incapacité de produire chaque année plus de 10 hl d’AP/ha. Comment en est-on arrivé à une telle situation dans une région historiquement réputée pour son savoir-faire au niveau de la conduite du vignoble ? La baisse de productivité actuelle est la conséquence de la déprise économique de la période 1993-2005 durant laquelle « le capital » souches n’a pu être suffisamment entretenu.
Le standard vignes larges et hautes fragilisé par la déprise économique 1993-2005
Le standard de vignes larges, hautes palissées ou pas qui s’est naturellement imposé en trois décennies par souci de rentabilité économique ne montre-t-il pas ses limites ? Le fait d’avoir seulement 2 000 à 2 300 ceps productifs par hectare (et parfois moins) transforme chaque souche en « un athlète de haut niveau » quand il faut produire plus de 11 hl d’AP/ha. C’est possible dans la mesure où toutes les souches sont « en pleine forme ». Or, actuellement, personne ne peut nier que la proportion de ceps pleinement productifs diminue nettement dans toutes les parcelles de vignes, les jeunes et les plus âgées. Les vignes larges à faible densité ont démontré tout leur intérêt pendant la délicate période 1994-2004 où la survie de nombreuses propriétés était liée à leur capacité à réduire les coûts de production. Tailler, cultiver, traiter, vendanger 2 300 ceps/ha au lieu de 3 500 à 4 000 a permis de réduire fortement les charges (surtout la main-d’œuvre) dans une époque où le rendement Cognac se situait entre 6 et 7 hl d’AP/ha. Faute de débouchés valorisants, l’équilibre économique reposait uniquement sur une stratégie permanente de réduction des coûts de production. Ce n’est donc pas un hasard si les itinéraires culturaux raisonnés à l’économie se sont mis en place. Cela s’est concrétisé par une remise en cause de tous les postes de charges, les plus superflus comme les plus fondamentaux.
Moins de pieds à l’hectare permettait de conduire les vignes « à minima »
Les viticulteurs ont sciemment amputé la pérennité de leurs vignes pour faire face à la détérioration durable du contexte. Le vignoble a été conduit « à minima » en jouant sur tous les maillons clés, les apports de fumures et de chélates, l’allongement de la durée de vie des parcelles déjà fatiguées des années 60 et 70, l’arrêt du remplacement des manquants, des pratiques de taille de plus en plus rapides et mutilantes, un entretien des sols sommaire… Cela ne servait à rien d’investir au vignoble pour produire des hl qui ne pouvaient pas être vendus ou correctement valorisés. Les résultats comptables et financiers cautionnaient toutes ces méthodes de culture, même si ces stratégies commençaient à engendrer au bout de quelques années une baisse de productivité. Personne ne s’est soucié de ces baisses de rendement puisque les débouchés Cognac de nombreuses propriétés se situaient entre 4 et 6 hl d’AP/ha. Les vignes larges ont donc permis à beaucoup de propriétés de tenir pendant cette période de « vache maigre ». Relancer la productivité de beaucoup de parcelles est aujourd’hui devenu le sujet de préoccupation majeur de beaucoup de propriétés. Cela va nécessiter des moyens financiers et humains conséquents pendant la décennie à venir.
Des pertes de rendement et 120 000 hl d’AP perdus en 2011
La diminution de la productivité des parcelles a été amplifiée par l’impact des dégâts des maladies du bois qui sont devenus beaucoup plus perceptibles depuis l’arrêt des traitements à l’arsénite de soude. Le dénombrement des pieds improductifs (morts, récemment entreplantés ou recépés) associé aux conséquences de l’expression des symptômes sur les souches ont permis à l’équipe de la Station Viticole du BNIC d’estimer la perte de récolte depuis 2002.
Les résultats de ces travaux confirment une augmentation régulière des pertes de rendement qui atteignent le niveau de 16,5 % en 2010. L’évolution des nuisances des maladies du bois n’a cessé de s’amplifier depuis 10 ans, d’où les inquiétudes pour la pérennité du vignoble. Le mode d’action de l’arsénite de soude ne faisait que bloquer temporairement l’activité des champignons. Le « mal » n’était en quelque sorte que contenu mais pas du tout éradiqué. Des pertes de rendement de l’ordre de 15 % représentent, sur le potentiel de production 2011, un volume de vin de 1 282 000 hl et 120 000 hl d’AP qui n’ont pas été produits et distillés. L’impact des maladies du bois sur la productivité du vignoble de Cognac est donc devenu préoccupant. Actuellement, aucun moyen de lutte curatif n’existe même si la relance récente des recherches représente un gage d’espoir pour l’avenir. Les chercheurs ne cachent pas que le dossier maladie du bois est complexe à aborder. Envisager la lutte en s’appuyant uniquement sur un traitement chimique, dont l’efficacité serait comparable à l’arsénite de soude, est improbable même à moyen terme.
Tailler en évitant es grosses blessures est un gage de pérennité pour les jeunes troncs
Tailler en ayant le souci de limiter l’impact des grosses blessures
La vigne est une liane qui, lorsqu’elle n’est pas taillée, se développe en s’éloignant rapidement de la base des troncs. Elle peut pousser sur plusieurs dizaines de mètres de longueur. Des vignes abandonnées peuvent devenir de véritables arbustes. Naturellement, c’est toujours le développement des bourgeons les plus éloignés du tronc (le phénomène d’acrotonie) qui est favorisé et des bois de taille très longs pénalisent le débourrement des bourgeons de la base. La réalisation de la taille est donc une intervention indispensable pour favoriser deux types d’objectifs à court et moyen terme : la production de raisins de l’année suivante et la pérennité de la souche dans le temps. L’établissement des ceps de vigne dans chaque région viticole correspond à des pratiques de conduite généralement adaptées à chaque cépage et au type de production. Les trois enjeux majeurs de la taille sont d’arriver à concilier la production de raisins de l’année à venir, la taille des deux millésimes futurs et la pérennité à long terme des souches. Tailler est une intervention capitale qui ne s’apprend pas en quelques semaines. Tailler, c’est construire l’avenir d’une souche, d’une parcelle et celle d’une propriété. Cela nécessite de véritables connaissances sur le « végétal ». L’observation des conséquences d’une mauvaise taille est souvent le moyen le plus pédagogique de comprendre l’intérêt des bons gestes et de certains principes essentiels. Néanmoins, les enjeux économiques ont tendance à faire passer au second plan les aspects de technicité de la taille. La recherche d’une productivité accrue au moment de la taille incite souvent les équipes de tailleurs à ne pas prendre le temps de construire la pérennité des troncs dans les jeunes vignes. Le tronc d’une souche est en quelque sorte constitué d’un réseau de « tuyauteries » dont la fonctionnalité est capitale vis-à-vis de la circulation de la sève entre les racines et les parties aériennes. Les moyens de coupe puissants dont disposent les tailleurs aujourd’hui sont en mesure de provoquer parfois des blessures importantes, ce qui à la fois crée une voie d’entrée pour les champignons responsables de l’esca et de l’eutypiose et perturbe la circulation de la sève.
Protéger le réseau de « tuyauteries » des jeunes troncs
Des coupes trop rases abîment les vaisseaux de circulation de sève
La réalisation de grosses blessures suite à une coupe de sarments très rase (souvent jugée propre) au moment de l’établissement des pieds peut « abîmer » de façon irrémédiable les « tuyauteries » où circule la sève et créer des voies d’entrée privilégiées pour les maladies du bois. Quand la coupe d’un sécateur vient à rentrer dans le vieux bois, les vaisseaux conducteurs de la sève et le cambium sont altérés. Cela provoque la formation d’un cône de bois mort dont le dessèchement se développe dans le cœur du tronc. La présence de bois mort dans le cœur de jeunes souches (de 3 à 5 ans) gêne fortement la circulation de la sève à court et long terme. Des troncs de jeunes ceps présentant plusieurs cônes de dessèchement n’auront jamais une alimentation en sève pleinement fonctionnelle. La présence de bois mort les rend aussi plus réceptifs aux maladies du bois.
Les coupes trop rases sur les jeunes troncs (et les bras de ceps) ont des conséquences irréversibles. Quelques coups de sécateurs trop agressifs en deuxième, troisième et quatrième feuilles sont en mesure de réduire l’espérance de vie des souches de 5 à 10 ans.
Les réactions de cicatrisation des plaies ne constituent pas une barrière suffisante
Les grosses plaies font des cônes de bois mort profonds
Laisser une longueur suffisante aux cônes de dépérissement
Former les jeunes plants en taillant le moins possible en hiver
La taille Guyot Poussard avec son courson en dessous de la latte toujours prisée
La mise en œuvre de la taille durant les quinze premières années de la vie d’une souche est en mesure d’amplifier ou de minimiser le développement des maladies du bois. La taille à partir de la quatrième année construit la vie du cep pendant les décennies qui suivent. Le choix d’une méthode de taille qui limite les grosses blessures reste fondamental. Les notions ayant trait à la circulation de la sève et au respect des courants de sève sont fondamentales pour la pérennité des souches avec la montée en puissance des maladies du bois. Si la méthode de taille Guyot Poussard connaît actuellement un regain d’intérêt dans tous les vignobles français, ce n’est pas un hasard. Les techniciens viticoles des Charentes, de Bourgogne, du Val de Loire, du Bordelais, du Midi, du Sud- Ouest justifient son intérêt en considérant que c’est un moyen préventif de limiter à la fois la production de bois mort et les voies d’entrée pour les champignons responsables de l’eutypiose, de l’esca et du BDA.
Le principe de la taille Guyot Poussard repose sur le positionnement du courson qui doit toujours se trouver en dessous de la latte. Lors de la taille chaque hiver, l’élimination des lattes engendre des plaies de taille qui se retrouvent toutes sur le dessus du cep. Ainsi, la circulation de la sève entre la base de la souche et les parties aériennes s’effectue plus facilement sans qu’aucun cône de bois mort ne vienne la perturber.
Le premier bourgeon du courson doit toujours être situé en dessous
Il ne faut pas hésiter parfois à laisser un courson plus long en éborgnant le premier bourgeon situé dessus. Au fil des années, ce principe de taille permet de réaliser les principales plaies de taille toujours sur le dessus du cep et de laisser le dessous sans blessure. Si, lors du développement du courson, la deuxième branche est trop faible pour être utilisée en latte, deux solutions peuvent être envisagées. Ne laisser qu’un courson en utilisant la première branche ou conserver uniquement une latte plus courte sans courson en prenant le soin d’avoir un premier œil situé en dessous. Le fait d’arquer le sarment favorise le développement des bourgeons situés dans la partie ascendante de la latte. En Charentes, où il peut arriver que la charge de bourgeons sur les lattes soit importante, la taille en arcure sur le principe Poussard (avec deux coursons situés en dessous) a démontré son intérêt depuis longtemps. Un mauvais développement de la première branche du courson ou sa destruction accidentelle (par le vent ou lors du palissage) ne doit pas remettre en cause l’objectif de la taille Poussard.
L’égourmandage est complémentaire à la taille
La taille en hiver des jeunes plants et aussi des ceps adultes est toujours plus compliquée quand l’ébourgeonnage n’a pas été réalisé de manière sérieuse. L’intervention en vert d’ébourgeonnage est en fait un travail complémentaire à la taille dont beaucoup de viticulteurs sous-estiment l’importance. Dans notre région où le cépage ugni blanc émet beaucoup moins de repousses que du colombard, du merlot, du sauvignon, l’égourmandage n’est pas toujours intégré systématiquement dans le calendrier des travaux. L’égourmandage s’effectue, en général, courant mai dans l’objectif d’éliminer les repousses inutiles et gênantes sur les troncs et les bras, d’équilibrer la charge d’inflorescences (des jeunes vignes ou de cépages qualitatifs comme le colombard, le merlot…) de préserver l’équilibre de vigueur et de préparer la taille. La suppression d’une jeune pousse ne cause pas ou peu de dégâts quand elle est réalisée tôt. A l’inverse, plus la saison s’avance, plus les branches durcissent et plus leur arrachement provoque des blessures sur la souche. L’idéal est d’intervenir quand les pousses mesurent entre 15 et 25 cm. Dans les plantations de première, deuxième et troisième feuilles, l’élimination des branches indésirables est toujours préférable à de multiples coupes de sécateurs en hiver. Dans les vignes de plus de 15 ans, la présence de certains sarments peut s’avérer précieuse pour la taille de l’année suivante. Leur situation sur un côté de ceps ou à la base d’un bras peut permettre de rajeunir un côté de souche déjà un peu chétif. La présence d’une repousse sur le tronc peut aussi laisser envisager de recéper une tête de souche haute dont la taille devient difficile. La réussite de l’ébourgeonnage est souvent conditionnée à une période d’intervention courte, surtout si la pousse des vignes est active. L’égourmandage est une intervention qui nécessite des compétences pour être en mesure de conserver les pousses intéressantes pour la pérennité des souches. Les personnes les plus qualifiées pour réaliser ce travail sont les tailleurs qui ont tout de suite le coup d’œil pour garder la repousse qui fera un beau courson…
Bibliographie :
– Station Viticole du BNIC.
– Communication sur les conduites de la vigne de Christophe Valtaud, responsable viticulture durable Martell Mumm Perrier-Jouët.
– Guide pratique de la taille Guyot réalisé par la SICAVAC.