Afrique subsaharienne – Régime foncier

20 novembre 2013

En 2013, qui a la main sur le régime foncier en Afrique subsaharienne (Afrique de l’Ouest francophone) ? Encore aujourd’hui, deux modes de fonctionnement cohabitent : pratiques traditionnelles (système coutumier) et loi « moderne ». D’où une pluralité des instances d’arbitrage – chefs coutumier, préfets, techniciens de projets – qui, en cas de concurrence des acteurs, peut introduire une vulnérabilité juridique, source de dysfonctionnements.

p33.jpglobalement, encore maintenant les principes gouvernant l’accès à la terre et donc aux ressources restent de type coutumier en Afrique de l’Ouest. C’est l’autorité coutumière traditionnelle – le chef de terre – qui détient la légitimité pour instaurer les modes de régulation du sol. Cette légitimité, il la tient de l’antériorité d’installation de son lignage (fondateur de la communauté villageoise) et d’une alliance « magico-religieuse passée avec les génies du lieu », liée à la religion animiste. Le chef de terre conserve une forme de contrôle qui se traduit par le pouvoir d’installer d’autres groupes lignagers (d’autres familles) sur une portion de brousse, en réalisant les rites nécessaires au défrichage. Si le chef de terre est le garant du droit d’appropriation collective, son droit se fractionne en autant de droits lignagers, gérés par les chefs de lignage. Conséquence : le territoire du village se trouve réparti entre les différents lignages fondateurs (familles). Chaque chef de famille se charge de la gestion du domaine foncier familial, de l’arbitrage des conflits interne portant sur les limites des champs… Les familles ainsi installées disposent de « maîtrises foncières » (en terme de patrimoine foncier familial et de droits de culture transmissibles), dont elles peuvent elles-mêmes déléguer les droits à des « étrangers », sous forme de prêts à court terme, voire diverses formes de location ou de métayage.

Le fruit de négociations

Pour les auteurs qui se sont intéressés au sujet, « la distribution de droits ressort donc à la fois du socio-politique (histoire du village et de la région) et des rapports sociaux familiaux (position sociale au sein de la famille). Loin d’être l’application d’une série de normes précises, les droits détenus par les individus sont le fruit de négociations, arbitrées par les autorités foncières traditionnelles. Autrement dit, le chef de terre est le garant du droit d’appropriation
collective.

Le droit coutumier est de nature « procédurale » et non codifié. Ce qui est défini, ce ne sont pas les droits de chacun mais les procédures par lesquelles on peut avoir accès aux ressources.

Avec les Etats, coloniaux puis indépendants, se sont greffés de nouveaux systèmes fonciers, pouvant aller jusqu’à la nationalisation de la terre. Ce qui revenait à abolir formellement le système coutumier. Mais, en réalité, l’accès au foncier a continué et continue toujours d’être régulé par le système coutumier (chefs de terres, lignages…). Les législations foncières sont peu ou pas appliquées. Pour autant elles n’ont pas disparu. Elles continuent d’exister. Et quand l’opportunité s’en fait sentir, certains groupes dits « puissants » – membres de la classe politico-administrative, certaines élites locales… – n’hésitent pas à s’en revendiquer. Ainsi dans les aménagements hydro-agricoles, il n’est pas rare de voir des terres affectées à des fonctionnaires, des domaines attribués aux élites politiques. Ce mode de fonctionnement profite de la pluralité des instances d’arbitrage (chefs coutumiers, préfets qui changent vite de poste, techniciens de projets) sans parler d’interférence des politiques. Des avis contradictoires et fluctuants introduisent une vulnérabilité juridique, source de dysfonctionnement.

Des règles traditionnelles brouillées

p34a.jpgMais le seul « clientélisme » des acteurs extérieurs n’explique pas tout. Au sein même des communautés villageoises, se dessinent une tendance à marginaliser l’autorité du chef de terre, à remettre en cause le principe du contrôle collectif des terres. Entre les membres d’un même lignage, la lutte pour l’appropriation des terres peut se révéler féroce, car tous veulent mettre en valeur les meilleures terres. La pression démographique entraîne une augmentation des surfaces cultivées et donc une diminution du « stock » de terres disponibles. La dislocation des lignages, l’émergence de chef de famille détenteurs réels du pouvoir foncier, brouillent les règles traditionnelles de contrôle du foncier.

En cas de litige, l’administration locale est prompte à accorder des droits à ceux qui ont investi visiblement sur les parcelles, et ce quelle que soit l’histoire foncière de celles-ci.

Par ailleurs, toujours de la part des acteurs locaux, se développent des pratiques de location « marchande » des terres, y compris de la part des chefs de terre. Apparaissent aussi des ventes de terres contre paiement en argent, avec la possibilité, pour l’acheteur de borner le terrain, d’y planter des arbres et d’obtenir un titre de propriété « moderne » (certificat de cession, procès-verbal de palabre).

La pression foncière, qui s’exerce aussi en Afrique, incite de plus en plus à une individualisation des droits. Bonne ou mauvaise chose pour la préservation de sols et la lutte contre la désertification ? La question est complexe.

p34b.jpgA la fois la dimension communautaire du système coutumier – la terre est cultivée par le lignage mais n’appartient à personne en particulier – semble bien se prêter à des projets collectifs. Au plan juridique, le droit coutumier autorise une grande souplesse puisqu’il se négocie auprès des autorités traditionnelles sur la base de quelques principes partagés. Par contre, il prévoit certains interdits, comme de planter en brousse, pour maintenir dans la durée la fluidité d’accès à la terre (absence de marquage des possessions individuelles). A l’égard des pratiques locales africaines, peut-on parler d’un système flexible ou, au contraire, d’un monde paysan verrouillé dans ses coutumes et ses prérogatives et donc incapable de progrès ? Par expérience, l’agriculture occidentale sait que la privatisation à tous crins du régime foncier n’est pas gage d’adaptabilité. Dans les sociétés traditionnelles, il y a certainement des compromis à trouver, des pratiques « métisses », « hybrides » à inventer entre droit traditionnel et loi « moderne ». A coup sûr, le changement est déjà enclenché.

Sources :
Philippe Lavigne Delvile, anthropologue à l’IRD (Institut de recherche pour le développement) à Montpellier. Travail d’expertise collective sur la question foncière en Afrique subsaharienne rurale, actes du colloque CNASEA/AFDI/FNSAFER.
Jean-Pierre Jacob, anthropologue, IRD. « Le statut de la terre : un problème encore important au Burkina Faso ».
Mahamdou Zongo (sociologue, université de Ouagadougou).
Paul Mathieu (Université de Louvain-la-Neuve, spécialiste des questions foncières) – « Transactions foncières marchandes dans l’ouest du Burkina Faso : vulnérabilité, conflits, sécurisation, insécurisation ».

 

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