La coopérative Syntéane a mis en œuvre une approche très sérieuse et de plus en plus professionnelle pour gérer l’activité des approvisionnements viticoles. En effet, l’entreprise, qui détient une part de marché dominante en Charente-Maritime, aborde la sélection de la gamme de produits phytosanitaires destinée à la protection du vignoble en ayant une démarche complètement sécurisée vis-à-vis de l’efficacité, de l’arrivée des contraintes réglementaires et des nouvelles attentes de la filière vins et eaux-de-vie. Or, la prise en compte de toutes ces nouvelles exigences a eu deux conséquences majeures, une forte contraction des gammes de produits « vignes » limitant considérablement les marges de manœuvre sur le plan technique et un apport d’informations très complètes sur tous les aspects environnementaux liés à l’utilisation des produits phytosanitaires.
La gestion des approvisionnements des intrants pour l’agriculture et la viticulture au sein de la coopérative Syntéane représente un secteur d’activité important dont l’évolution était jusqu’à maintenant complètement en phase avec les aspects agronomiques et le contexte économique des différentes filières de production. L’évolution des attentes de mise en marché des productions engendrait une adaptation des méthodes culturales en permettant aux producteurs de choisir des itinéraires techniques susceptibles d’assurer la bonne rentabilité de leurs exploitations. Le contexte économique de plus en plus dur et incertain a obligé les agriculteurs à améliorer leur compétitivité et à gérer l’utilisation de leurs intrants avec parcimonie. Cette tendance s’est accentuée depuis quelques années, avec une volonté politique de durcir les réglementations d’utilisation des produits phytosanitaires qui s’est concrètement matérialisée au niveau de la filière de commercialisation et de distribution par l’introduction de démarches de traçabilité et d’HACCP. L’arrivée de ce nouveau volet plus réglementaire de la gestion des intrants correspond à une demande formulée par les consommateurs et la société civile dont le fondement est pleinement justifié sur un certain nombre d’aspects. Cette évolution profonde provoque un changement de fond sur les méthodes d’application des produits phytosanitaires par les viticulteurs dont le rôle d’applicateur rentre dans « une ère plus professionnelle ».
Une concentration d’entreprises et de gammes préoccupante à moyen terme
Les distributeurs sont aussi totalement impliqués dans cette évolution de par leur statut de fournisseurs susceptibles d’apporter des conseils d’utilisation et d’assurer le stockage des produits phytosanitaires. Sur ce dernier volet, la construction d’entrepôts aux normes pour stocker des produits dangereux représente un investissement financier conséquent et on peut penser que, à court et moyen terme, les approches de livraison et de transport des produits phytosanitaires vont aussi évoluer. Le discours de Jean-Philippe Gard, le chef produits phytosanitaires de Syntéane, intègre complètement cette évolution conjointe des métiers de viticulteur et de distributeur. De par sa fonction au sein de la coopérative, il est chargé des relations avec l’ensemble des sociétés phytosanitaires et son expérience depuis une dizaine d’années confirme bien le changement de fond des conditions d’utilisation des produits phytosanitaires : « L’évolution des conditions de marché des productions agricoles a eu des répercussions importantes auprès des fournisseurs et on a assisté à une très forte concentration des sociétés phytosanitaires. Au début des années 1990, il existait 25 à 30 sociétés dont une dizaine était des opérateurs majeurs susceptibles de proposer des gammes complètes sur l’ensemble des cultures. Aujourd’hui, il ne reste que 15 acteurs dont seulement 5 ou 6 sont en mesure de couvrir toutes les exigences, et l’offre est encore plus réduite sur le créneau viticole. Cette concentration n’est bien sûr pas propice à la capacité d’innovation et les relations entre les firmes et les distributeurs s’en trouvent aussi modifiées. Les gammes de produits se sont considérablement réduites et pour une entreprise comme Syntéane, la gestion des achats de produits phytosanitaires est devenue à la fois plus simple et plus complexe. En effet, il existe deux philosophies de distribution, soit privilégier la carte des démarches économiques à court terme, soit miser sur l’innovation et investir dans une stratégie globale et cohérente avec la filière. Nous nous positionnons sur ce deuxième créneau, ce qui nous oblige à faire preuve d’un professionnalisme accru vis-à-vis des agriculteurs et des viticulteurs, et cela constitue indéniablement pour nos équipes un élément positif. »
Le cumul des aspects réglementaires fragilise les itinéraires techniques
Le potentiel de marché des intrants phytosanitaires en France et toutes cultures confondues reste le plus important d’Europe, mais la plupart des sociétés considèrent qu’il devient plus difficile à travailler compte tenu de la complexité du cadre réglementaire. Les témoignages anonymes de plusieurs responsables de firmes confirment cette affirmation en expliquant la chose suivante : « Dans l’Europe des 15, la France a toujours représenté le marché phare mais l’arrivée récente de 10 nouveaux pays modifie cette réalité. Le potentiel de développement dans certains pays des PECO est porteur d’espoirs et dans l’Europe des 25, le marché français restera toujours le plus important. » La concentration des gammes de produits phytosanitaires n’est pas un phénomène nouveau et il est la conséquence de divers éléments, un nombre réduit de sociétés, l’obligation de faire réhomologuer un certain nombre de matières actives anciennes, la récente réglementation sur les mélanges et d’autres contraintes plus régionales comme les conformités spécifiques aux eaux-de-vie. M. Bernard Jaulin, le responsable du service technique et expérimentations de Syntéane, considère que depuis trois à quatre ans, le phénomène des réductions de gammes de produits phytosanitaires est devenu nettement perceptible : « En grande culture, le retrait du marché d’un certain nombre de produits a posé moins de problèmes car d’une part les innovations ont permis d’en limiter considérablement les conséquences et d’autre part le complexe parasitaire est plus facile à maîtriser. Le potentiel de marché de cultures comme le maïs ou le blé est beaucoup plus important que celui de cultures spécialisées comme la vigne où des effets régions obligent à avoir des approches spécifiques. Le spectre de parasitisme en viticulture est beaucoup plus large et les besoins en terme d’approches de protection sont aussi plus diversifiés. Au cours d’une saison, les viticulteurs doivent protéger leur vignoble contre la nécrose bactérienne, l’excoriose, le black-rot, l’oïdium, le mildiou, parfois le botrytis, les vers de la grappe et plus ponctuellement les acariens. Les efforts de lutte raisonnée ont permis d’optimiser la gestion des programmes de traitements et de pérenniser dans le moyen terme l’emploi de produits intéressants. L’alternance des différentes familles de produits constitue désormais un axe technique souhaitable pour toutes les spécialités ayant des modes d’action unisite et l’introduction de la réglementation sur les mélanges suscite des inquiétudes sur ce sujet. A titre d’exemple sur des maladies majeures comme le mildiou et l’oïdium, le retrait ou le classement de certaines matières actives occasionne des difficultés pour alterner les différentes familles de fongicides unisite. Cela peut conduire à une sur-utilisation de quelques spécialités, ce qui, à moyen terme, accentue les risques de montée en puissance des phénomènes de résistance engendrant une baisse d’efficacité. L’autre aspect qu’il ne faut pas négliger concerne celui du coût des programmes de protection qui, du fait de la disparition de produits de base à spectre d’action unique au profit de produits plus polyvalents, vont accuser une hausse significative. »
Des référencements de produits « sécurisés »
La dimension d’une entreprise comme Syntéane, qui assure l’approvisionnement en vigne de 30 % des surfaces en Charente-Maritime, ne laisse pas de place à l’amateurisme au niveau de la construction des gammes de produits de traitements. J.-Ph. Gard considère que le référencement des produits doit tenir compte des impératifs techniques, des aspects réglementaires et des nouvelles attentes de la filière de production : « Aujourd’hui, une entreprise comme Syntéane doit faire preuve de plus en plus de professionnalisme pour construire les gammes de produits et satisfaire les nouvelles attentes formulées par les viticulteurs. Le choix d’un produit de traitement s’inscrit aujourd’hui dans une démarche complètement sécurisée qui englobe les aspects d’efficacité, les notions de classement pour les mélanges et de nouvelles contraintes liées aux exigences administratives et à la mise en œuvre des démarches HACCP. Par exemple, nous ne pouvons pas commercialiser un fongicide ou un insecticide qui ne soit pas conforme aux approches de recherches des résidus dans les eaux-de-vie du BNIC. La publication annuelle des listes verts chaque année par l’interprofession du Cognac représente un élément supplémentaire dont nous devons tenir compte dans la construction des gammes. Par ailleurs, les viticulteurs qui se sont engagés dans des démarches de traçabilité et HACCP sont demandeurs des fiches de sécurité pour chaque produit utilisé. La coopérative doit donc être en mesure de fournir tous ces éléments aux producteurs et cela peut concerner 30 à 50 spécialités commerciales par an pour une exploitation mixte vigne/grande culture. Le travail pour rendre disponible tous les ans l’édition de 500 à 800 pages de fiches de sécurité par exploitation représente une charge administrative lourde pour une entreprise comme Syntéane qui travaille pour plusieurs milliers d’agriculteurs. L’autre sujet d’inquiétude pour le métier de distributeur est directement lié à la contraction des gammes de produits phytosanitaires en vigne. En effet, nous avons toujours eu le souci de construire des programmes de traitements solides sur le plan technique et aussi attractifs sur le plan économique. Or, la disparition d’un certain nombre de produits majeurs à spectre unique limite nos marges de manœuvre sur le plan de la diversité des itinéraires techniques. L’intégration de produits polyvalents est devenue presque incontournable, compte tenu du souhait des utilisateurs de limiter leur nombre d’interventions durant les mois de juin et juillet, et cela va renchérir les coûts de protection. Cette situation risque aussi d’avoir comme conséquence de standardiser les gammes de produits chez les différents distributeurs et donc d’accentuer le climat de concurrence. Je crains donc que la conjonction de tous ces éléments pénalise l’établissement d’un dialogue de confiance entre les techniciens de notre entreprise et les viticulteurs, alors que l’apport de services complémentaires pour satisfaire les nouvelles exigences le rendrait indispensable. Les délais de réentrée dans les parcelles constituent aussi une nouvelle contrainte qui va concerner prioritairement les viticulteurs et notre mission de distributeur sera aussi de tenir à disposition des adhérents ces informations. Indéniablement, toutes ces évolutions, dont on ne peut pas contester le fondement, vont nécessiter une approche de la distribution des produits phytosanitaires plus réglementaire, plus technique et plus lourde à gérer sur le plan financier. »
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