Atteint de jeunisme, le Modef ? Xavier Compain s’en défend. C’est pourtant bien sur une nouvelle attitude, plus en phase avec les valeurs contemporaines d’ouverture et de compréhension « globale » des problèmes, qu’il fonde sa démarche, à commencer par un discours qui se veut exempt de tabous. « Pour beaucoup, dit-il, le Modef, c’est le syndicat des cocos, des vieux et des arriérés. Cela tombe mal. J’ai 36 ans et les trois vice-présidents du comité de direction ont entre 40 et 42 ans ; c’est pas sûr que nous soyons ni cocos ni arriérés. »
Eleveur de vaches allaitantes dans les Côtes-d’Armor, X. Compain commence sa formation par un BPA, enchaîne avec un BTA pour finir en fac de droit où il décroche un Deug. Adhérent du Modef en 1989 « parce qu’il est allergique aux injustices et qu’à l’époque l’élevage bovin se trouve en pleine crise », il est très vite repéré par l’échelon national. Membre du comité directeur du Bureau national depuis 1994, il est nommé secrétaire général adjoint en 2002 et secrétaire général lors du dernier congrès national du Modef, les 19 et 20 février dernier à Chantemerle-les-Blés, dans la Drôme. Ce congrès « du renouveau » n’a rien d’improvisé. Il est le fruit d’une réflexion d’un an, nourrie par un groupe de travail qui a constitué l’équipe – secrétaire général, trésorier, vice-présidents – et planché sur un texte d’orientation qui a valeur de programme. Les adhérents le votent à l’unanimité, y compris le volet financier. « Il y avait une vraie attente de nos copains et collègues paysans. Ils avaient besoin de repères, à la fois idéologiques mais aussi en hommes. » Pour autant, le Modef fait-il table rase du passé ? « Abso-lument pas. Notre organisation garde sa primauté à la lutte syndicale. Le Modef n’aurai pas son originalité s’il n’était pas un syndicat de lutte. Simplement, nos anciens, pris dans le tourbillon du siècle, ont donné la priorité au mouvement de défense, à la gestion des conflits, au juridique. Ils avaient raison. Un syndicat doit faire tout cela. Mais aujourd’hui, je pense que les paysans attendent davantage de nous que nous menions une lutte dans l’unité. Vous remarquerez que je ne parle pas de luttes unitaires. Nous ne sommes pas dans la fusion-absorption avec les autres syndicats. Par contre, trouver des convergences avec eux sur des points bien précis, oui, nous y sommes favorables. Nous ne sommes pas trop de cinq formations (*) pour arriver à trouver des solutions aux problèmes. Je pense que la FNSEA est un syndicat comme les autres et ceux qui prétendent qu’elle incarne les positions du ministère de l’Agriculture ont tort. Il faut parfois remettre les pendules à l’heure, sans langue de bois. Historiquement, c’est vrai qu’il y a toujours eu deux courants de pensées, un courant d’idées majoritaire qui se focalisait autour de la FNSEA et un courant d’idées plus progressiste, porté par le Modef. Ensuite, la vie des hommes a fait qu’il y a eu des scissions au sein de la FNSEA, d’abord la Confédération paysanne dans les années 80 puis la Coordination rurale en 1992. Ce n’est faire injure à personne que de dire que les deux grands courants de pensée du début se croisent aujourd’hui et que chaque syndicat porte en son sein des sensibilités différentes. »
Les rapports du syndicaT au politique
Parmi les idées-forces véhiculées par Xavier Compain et son équipe, il y a le rapport « du syndicat au politique ». « J’ai appelé l’ensemble de mes collègues à être très très politiques, relève le président du Modef. Je pense effectivement qu’un syndicat doit se montrer très politique face aux élus. Par contre, il n’a pas à se montrer partisan. » Quelle différence établir entre ces deux notions, politique et partisan ? Pour illustrer son propos, X. Compain cite trois exemples, la PAC, la politique des retraites, les calamités agricoles. Sur la PAC, le secrétaire général du Modef se dit prêt à accompagner le ministre Hervé Gaymard « dans le non français au projet Fischler », non pas tout seul mais avec les quatre autres organisations syndicales. Il l’a d’ailleurs dit de vive voix au ministre. Pour le reste, le syndicat se montre beaucoup plus critique à l’égard de la politique ministérielle. Sans vouloir faire du « Zola », les paysans font partie selon lui des « laissés-pour-compte » de la nation. « Comment tenir les retraites quand il y a un actif pour cinq retraités, une installation pour quatre départs. Même chose pour les calamités. Au lieu de concéder des prêts court terme aux sinistrés, il vaudrait mieux pouvoir réaliser un report total d’échéances ainsi que des prêts à taux zéro, pris en charge par l’Etat. »
Si le Modef revendique quelque chose, c’est bien d’avoir été le premier à défendre, voilà 40 ans, des prix rémunérateurs pour les paysans. « Notre essor s’est construit là-dessus. Nous avons eu le tort d’avoir raison trop tôt. » Aujourd’hui, le syndicat a le sentiment d’être rejoint par les autres formations, dans leur lutte pour un encadrement des marges de la grande distribution par exemple. « Ce n’est pas une affaire de chapelles. Nous sommes contents que la FNSEA en fasse un de ses combats. Espérons qu’un grand bloc d’opposition puisse se construire. Si l’on peut faire un bout de route ensemble… De toute manière, le Modef ne lâchera jamais sur les prix. » Et de déplorer que, dans le cadre de la PAC, « pas un mot, pas une phrase, pas une ligne, pas une idée fassent référence à la rémunération du travail, alors que la politique agricole est européenne à 80 %. » Cette rémunération du travail, pour le syndicat, elle semble devoir tourner en gros autour du SMIG, sans doute rééchelonné aux environs de 8 000-9 000 F par UTH (unité de travailleur humain) pour tenir compte de la dimension d’entreprise. « Et ceci ne constitue peut-être qu’un minimum, je n’ai pas peur de le dire » souligne le secrétaire général du Modef qui précise qu’un paysan sur deux ne percevrait que le SMIG et qu’un tiers répondrait aux critères du RMI. « Soyons sérieux, cette situation n’est pas tenable alors que pour ces gens-là, le BTA constitue le socle de référence. Ce n’est tout de même pas rien le BTA ! » « Dans la PAC aujourd’hui, renchérit le secrétaire général du Modef, il n’existe que des contingents par Etats, par départements mais très mal répartis entre les exploitants. Nous voulons une plus juste répartition des volumes. Comment ? En pesant sur les outils qui existent, en nous appuyant sur les clés de répartition là où il y en a, comme les CDOA. » Personne ne sera surpris d’apprendre que le Modef préfère « voir conforter plusieurs petites exploitations de 50 ha plutôt que d’installer un gars sur 200 ha. » Ceci étant, le syndicat se veut moins dogmatique que pragmatique en la matière. Il reconnaît volontiers que des réalités différentes existent en France et que 700 ha en montagne ne valent pas 700 ha en plaine. « Tout ceci s’apprécie à l’épreuve des faits. »
Le « syndicat des petits et moyens paysans de progrès »
Le Modef, qui compte 20 000 adhérents au plan national, se définit lui-même comme le « syndicat des petits et moyens paysans de progrès ». Il se dit encore syndicat « progressiste », en phase avec une mouvance internationaliste, dans l’esprit des luttes des paysans sans terre du Brésil. Solidaire des « peuples qui luttent pour le simple droit de se nourrir », il ne rejette pas le terme de mouvement des « exploitants familiaux » dont on l’a souvent qualifié. « C’est vrai que nous privilégions un outil de travail familial, par opposition à une agriculture dite “industrielle” même si aujourd’hui, tout cela est un peu plus compliqué. » En tout cas, l’agriculture hautement « capitalistique », où l’argent est roi, n’est pas pour lui. La mondialisation et l’ultralibéralisme non plus. « Quand le paysan n’est plus le patron, il le paie cash. » « Imaginez qu’entre 1 000 et 10 000 exploitations pourraient suffire à nourrir la France. » Le vocable « paysan », il le fait sien, pour signifier le rapport de l’homme à la terre, par rapport à l’agro-manager, à l’agro-businessman qui fait un boulot qui n’est pas le nôtre. Il est plus intéressé par la récolte des primes que par la récolte tout court. » Les paysans du Modef disent leur volonté de discuter avec les partis progressistes, pas seulement de gauche mais aussi les partis républicains et démocrates. « Effectivement, on ne jouera pas avec les Lepénistes ou les fascistes. » Reçus à Matignon et au ministère de l’Agriculture, des rendez-vous ont été pris avec les différentes formations politiques, PS, PC, UDF, UMP.
« Il faut que l’on s’occupe de ce qui nous regarde. » La contestation radicale est une chose, la participation une autre et le Modef nouveau a bien envie d’avoir voix au chapitre. « Ce fut une idée-force du congrès. Les paysans doivent être patrons chez eux, dans leurs structures. Pour ce faire, ils doivent reprendre les outils en mains. Les élections MSA sont en 2004, les élections Chambres en 2007. » Le Modef veut se montrer conquérant. Exit le syndicat clandestin, qui s’apparenterait plus à un groupuscule. Cette volonté nationale va-t-elle irradier dans toutes les fédérations départementales ? « Certaines sont plus en avance que d’au-tres. Mais elles ont un vécu des luttes différent, des dirigeants qui ne se ressemblent pas. Et tant mieux. Le syndicat n’est pas monolithique. L’échelon national doit tenir compte de ces différentes sensibilités. L’uniformisation m’embêterait » souligne le secrétaire général qui rappelle dans la foulée que toutes les fédérations départementales ont voté le rapport d’orientation. « Elles ont adhéré à nos réflexions. »
Si le Modef reconnaît avoir peut-être souffert d’être « un peu timoré, un peu dogmatique », il affiche aujourd’hui sa volonté de changement. Parole de Breton.
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