L’offensive communicante du Syndicat

10 mars 2009

La formation globalement opposée au projet porté par le SGV a organisé le mardi 20 mars une table ronde pour « débattre de l’avenir de la région » mais aussi – et c’est de bonne guerre – faire entendre ses arguments. Une initiative « coup-de-poing » présentée comme un événement qui, au final, a permis à des messages de passer, sur la scène comme dans la salle.
svbc_1.jpgMessage de bienvenue sur l’écran, atmosphère électrique dans les travées de la Salamandre. A 17 h 30, ce mardi 20 mars, un léger climat d’excitation flottait sur les nombreuses têtes chenues qui avaient pris place un peu avant l’heure et les plus jeunes qui arrivaient par grappes. Etait-ce le public plus éclectique qu’à l’ordinaire ? Etait-ce la présence d’une poignée de fringants quadras ressemblant plus à des banquiers qu’à des viticulteurs ? Ou l’effet de l’animateur chevronné qui grimpait sur scène ? Bref, l’heure était piquante. Et somme toute, la réunion tint ses promesses. Pas de lassitude, un rythme soutenu, une impeccable présentation « power point » dopée par les commentaires de deux jeunes intervenants, une parole savamment distribuée, un débat d’où l’esprit de polémique fut la plupart du temps absent (à une ou deux entorses près). Un travail de pros. Et l’information dans tout cela ? Comme toujours, il resta pas mal de cadavres dans le placard mais quelques-uns parvinrent tout de même à sortir, au détour d’une question, d’une réaction de la salle, d’un coup de gueule ou d’une verte réplique. Si, parmi les 250 auditeurs, une partie était manifestement acquise aux thèses du syndicat, une autre était véritablement venue s’informer. Elle est repartie sinon rassérénée, du moins lestée d’un éclairage supplémentaire.

svbc_2.jpgEn avant-propos, Christophe Véral a remercié tous les intervenants qui avaient accepté de participer à la table ronde et tout particulièrement Jean-Bernard de Larquier, président du SGV. « Nous avons conçu cette table ronde dans un souci d’impartialité. Quelles que soient les convictions des uns et des autres, le respect est de mise. » Cette précaution oratoire méritait d’être dite et elle le fut. Ce qui n’empêcha pas le discours syndical du SVBC de revenir dans la foulée : « Nous avons envie de devenir acteur de notre futur. Nous ne laisserons personne décider à notre place. La question est trop lourde de conséquence pour les générations à venir. » S’en est suivie une première partie descriptive – qui décide, qui organise ? – avec une présentation rapide des différents organismes : ministère de l’Agriculture, DRAF, DDAF, INAO, BNIC, VINIFLHOR…Curieusement manquait à cette liste l’Europe. Mais il paraît que l’omission n’était pas été totalement innocente, question d’ouvrir le débat. Bien vu. Des contributeurs comme Florent Morillon, de la DDAF, chargé de mission pour le Plan d’avenir viticole, Jean-François Bertran de Balanda, directeur de la délégation régionale ONIFLHOR, en ont profité pour faire un bref rappel historique du rapport Zonta et restitué l’impact de l’UE dans les décisions régionales. « En 2000, après une longue négociation avec Bruxelles, le ministère de l’Agriculture a obtenu la prorogation de la distillation de retrait de l’article 28 en contrepartie de l’assurance apportée par la région de réfléchir à un nouveau système de gestion. En 2002, Antony Zonta a conduit une réflexion avec les professionnels, tous les professionnels, d’où en est sorti un rapport de synthèse qui a fait l’objet d’un gros travail de validation juridique. En octobre 2005, le ministre est venu en Charentes pour prendre le pouls de l’ensemble des acteurs. Il est revenu en 2006 pour écouter à nouveau les avis des uns et des autres et il a pris sa décision. » J.-B. de Larquier a rebondi sur ces propos : « Effectivement, ce plan est en discussion depuis de nombreuses années. Après de longs débats, il a fait l’objet d’un accord unanime de l’interprofession, c’est-à-dire de tous les acteurs régionaux. Non seulement ce plan me semble de nature à préserver l’avenir mais encore il fut acté parce que les autres solutions n’apportaient pas de garantie juridique suffisante. En tant que responsable, je ne m’associerais jamais à un système qui ne présente pas tous les gages de sécurité juridique. » Pour Christophe Véral, l’heure de la contradiction avait sonné. « A l’époque du rapport Zonta, 60 % du vignoble étaient destinés au Cognac. Aujourd’hui, ce pourcentage est passé à 97 %. Le rapport Zonta n’est plus en adéquation avec le marché du Cognac. Notre leitmotiv à nous, c’est de nous battre pour le Cognac. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Quand tu dis, Jean-Bernard, que la décision résulte d’un vote unanime de l’interprofession, n’oublions pas que la famille viticole se compose de quinze membres du SGV et de deux membres du SVBC. » Invité à la table ronde, un représentant du Modef a contesté le côté inéluctable de la suppression des distillations européennes. « Pourquoi changer de système ? Par une résolution du 19 janvier 2007, le Parlement européen se déclare opposé à l’abolition de certaines mesures de distillation. » Un peu plus tard, il évoqua la mise en réserve d’hectares en trop dans une réserve nationale des droits de plantation. A l’occasion de transactions, ils pourraient être gelés momentanément et ressortir quand le marché du Cognac en aurait besoin. » oreille distraite de la salle que le discours n’accrocha pas. Appelé à témoigner au titre de la filière vin, Hervé Pogliani expliqua ce qui, pour lui, faisait sens. « Actuellement notre problème à nous, opérateurs vin, réside dans un déficit d’approvisionnement. Il y a 5-6 ans, nous collections 2 millions d’hl vol. de vins. A l’époque, c’est ce que le Cognac nous laissait. Sur la récolte 2006, le marché régional des vins de table avoisinera 60 000 hl vol., par un phénomène de vases communicants tout à fait compréhensible. Cependant, ne peut-il pas y avoir une place pour des vins, ne serait-ce que pour aider la viticulture à passer une nouvelle crise ? A travers la réglementation, nous cherchons à obtenir les mêmes règles du jeu que nos concurrents directs italiens ou espagnols. C’est-à-dire pouvoir produire entre 200 et 250 hl/ha, afin de dégager une rentabilité sur les ha autres. Est-ce le système d’affectation parcellaire ou un autre qui nous permettra de nous battre avec les mêmes armes que nos concurrents ? »

modification des décrets d’appellation

Un point apparemment sensible fut soulevé quand affleura le sujet de la modification des décrets d’appellation de 1936 et 1938. Rappelons que cette modification se justifie par l’introduction du système d’affectation parcellaire et, avec lui, la gestion des vignes Cognac par l’INAO. D’où la nécessité d’un « toilettage » sur les conditions de production notamment. Furent appelés à s’exprimer Jean-Marc Girardeau et Bernard Gauthier. Le premier, ancien juriste du BNIC, actuel secrétaire général de la maison Camus, capta l’intérêt de la salle quand il avoua son inquiétude. « Ce n’est pas une question de défiance envers les personnes chargées du dossier mais ce texte constitue en quelque sorte notre patrimoine depuis plus de 70 ans. Toute la jurisprudence s’inspire de lui. Quels que soient les pays, quelles que soient les appellations, un décret d’AOC a une fonction prééminente, celle de protection et, très partiellement, une fonction d’organisation économique. Le décret Cognac représente notre carte d’identité commune. C’est pour cela que les options prises m’inquiètent. Je les trouve en grande partie inadéquates. » Propos dans la lignée desquels s’est inscrit Bernard Gauthier, ancien président du CRINAO, viticulteur à Malaville. « Si le décret avait été si mauvais, depuis 70 ans, cela ce serait su. Pour faire un produit de qualité comme le Cognac, nous n’avons pas eu besoin de modifier les conditions de production. Depuis le départ, les interprofessions du Cognac et du Champagne furent aux avant-postes de la défense des appellations. Le Bureau national du Cognac a toujours montré ce dont il était capable en la matière. Faisons très attention à ne pas laisser partir cet outil de défense en le remettant entre les mains des fonctionnaires de l’INAO. Quelle que soit leur efficacité, c’est toujours un peu différent. S’il nous faut modifier les décrets de 36 et 38, prenons garde. Soyons très vigilants ! »

les conséquences de l’affectation

Avec le 3e thème de la soirée – intitulé « les conséquences finales de la seule voie imposée, l’affectation parcellaire » – les organisateurs de la table ronde commencèrent à « taper dans le dur ». Parmi le public, certains n’étaient sans doute venus que pour cette partie. Chiffres du BN à l’appui, la démonstration fut rapidement troussée : aujourd’hui, la viticulture charentaise n’atteint pas le seuil de rentabilité de 6 585 € de l’ha et elle l’atteindra encore moins en système d’affectation. Premier à s’exprimer, Olivier Louvet, l’un des piliers du SVBC, déplora « que, dans cette réforme, l’on ne s’occupe pas tellement du revenu des viticulteurs mais que l’on s’évertue surtout à faire rentrer un système dans les tuyaux, à charge svcb_1_opt.jpegpour les viticulteurs de se débrouiller ». « Le côté gênant dans tout cela, poursuivit-il, c’est que le système d’affectation va nous faire perdre de la souplesse alors que de la souplesse – retenez bien ce terme – il en faudrait plutôt trois fois qu’une. » Pour lui, pas de doute, la souplesse doit provenir du vignoble « qui permettra de s’adapter le plus possible au produit Cognac ». Question téléguidée ou pas, un viticulteur s’est levé pour demander si la solution ne passerait pas par un quota d’exploitation ? « A l’intérieur d’un plafond limite de production Cognac préalablement fixé, on nous laisserait faire ce que l’on veut, arracher nos vignes ou les conserver, comme ce qui a pu se passer avec la QNV d’exploitation du Plan Guionnet-Sabouraud. On ne peut pas nous obliger à cultiver des ha à perte pour faire des jus de raisins ! » Au nom du SGV, Bernard Laurichesse a défendu l’affectation. « L’affectation, ça marche ! a-t-il soutenu. Le volume supplémentaire accordé aux ha Cognac pour compenser la perte des jus de raisin permettra de libérer des surfaces qui pourront aller aux vins ou au jus de raisin. Le système d’affectation nous aidera à structurer les autres débouchés et à dynamiser notre viticulture. Dès la première année d’application, une simulation prouve que les chiffres d’affaires seraient pratiquement similaires d’un système à l’autre. Ne diabolisons pas les choses. Soyons audacieux, comportons-nous en personnes responsables. Naturellement, si nous nous montrons irresponsables, cela ne fonctionnera pas, mais comme tout système. »

Vous avez dit « responsable », « solidaire » ! En Charentes, c’est un fait, ces termes ressemblent presque à des gros mots. Ils suscitent en vrac sourires narquois, ironie, scepticisme. Ils font passer ceux qui les tiennent pour de francs naïfs ou de gentils demeurés. C’est ainsi que la grosse caisse des « vrais réalistes » a donné de la voix, parfois sur le mode un peu poisseux de la connivence. « Bernard, peut-être affecteras-tu quelques ha à autre chose qu’au Cognac parce que tu fais partie du syndicat. Mais tu sais bien que tout le monde dans cette région va tout affecter au Cognac. Automatiquement, l’année suivante, la QNV va chuter, entraînant la hausse du prix des comptes jeunes. Dans les deux ans, les ventes de VS se casseront la figure et la crise sera de nouveau là. Ne nous engageons pas sans réfléchir dans ce système. » Applaudissements de la salle. Quelqu’un qui plaidait pour la « valeur ajoutée » attachée à une meilleure définition des vignes Cognac s’est attiré la réplique suivante : « A 6 de pur, elle sera où ta valeur ajoutée ! » L’expression des réactions « tripales » se poursuivit, en un long exutoire. « Cela me fait mal au ventre de voir que nos chiffres d’affaires s’améliorent et que l’on va tout fiche par terre en pensant que les gens se montreront solidaires. Mais non ! Ce sera le chacun pour soi et on en reprendra pour dix ans ! » « Si les viticulteurs étaient raisonnables, cela se saurait ! » s’est exclamé un autre qui lui aussi a convoqué le spectre des dix prochaines années de crise. Un témoignage pourtant apporta un contrepoint à ces réactions éruptives. Ce fut celui de Jean-Marie Ordonneau, expert-comptable, associé du cabinet ACL. Il a d’abord cautionné le montant des coûts de production, de 5 700 € de l’ha. « A 200 € près, nous nous retrouvons tous sur ce chiffre, experts-comptables, centres d’économie rurale. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un seuil de rentabilité et que le viticulteur, en couvrant ce chiffre, n’a pas encore gagné d’argent. N’oublions pas non plus qu’en dix ans, dans cette région, les gains de productivité ont allégé les charges de 10 à 15 %, une performance assez unique qui ne se renouvellera pas. Nous sommes au taquet. Les coûts de production ne descendront pas et, vraisemblablement, ils monteront même un peu, sous le coup des obligations réglementaires. Sans faire de surenchère, il ne me paraîtrait pas scandaleux qu’un viticulteur, en vendant du vin Cognac, puisse dégager un chiffre d’affaires de 6 500 € par ha, ce qui lui laisserait une marge de rentabilité de 10 à 15 %. Je comprends que l’on s’oppose sur des systèmes d’organisation mais a-t-on suffisamment réfléchi aux modèles qui permettraient d’obtenir un chiffre d’affaires de 6 500 € de l’ha ? Evidemment, au cours de ces deux dernières campagnes, le Cognac va mieux mais il faut absolument avoir en tête un modèle pérenne pour les viticulteurs d’aujourd’hui et ceux de demain. » Applaudissements nourris de l’auditoire, signe qu’en déplaçant le raisonnement, l’intervenant avait peut-être touché du doigt les vrais enjeux. La salle ne s’y est pas trompée.

Plus chahutée fut la contribution de Philippe Sabouraud. Ce dernier se livra à une charge contre le comité permanent du BNIC, « composé de gens au demeurant dynamiques, ouverts et entrepreneurs mais qui, une fois franchis le seuil de l’interprofession, se voient affligés d’une toile d’araignée sur la tête et qui, collectivement, deviennent minables ». « Le résultat de l’interprofession sur dix ans ? Une QNV à 6 de pur pendant 7 ans, des chiffres d’affaire insuffisants, la perte de 2 500 exploitants, la transformation de l’exploitation familiale en exploitation de la famille, introduisant une distorsion de concurrence entre les structures. Un échec économique ! » « A ce train, on ne risque pas de délocaliser » a-t-il raillé avant de rappeler qu’il avait démissionné du comité permanent pour ne pas être « complice » de tels agissements. Ramené au thème du débat par le « modérateur », le viticulteur de Mérignac a indiqué qu’en économie il existait un système clé : « Pour que les prix montent, il faut que le potentiel de production soit un peu inférieur aux besoins et, quand je dis cela, je ne parle pas de la capacité de production qui, elle, doit alimenter le marché. »

La diatribe de l’orateur ne pouvait rester lettre morte. Jean-Luc Lassoudière lui a répondu que si la région avait écouté ses calculs cartésiens, elle aurait arraché 30 000 ha. « Où en serait-on à présent ? » Mais la réaction la plus violente vint de Jean-Bernard de Larquier. Pourtant, les choses avaient commencé assez benoîtement. Appelé avec d’autres à s’exprimer en fin de réunion comme « grand témoin », le président du SGV assura que les positions n’étaient pas fermées. « Nous allons continuer d’échanger. » De même il salua l’intervention de B. Gauthier en faveur de la défense de l’appellation. « Je n’en attendais pas moins de lui. » Pourtant le ton monta crescendo quand il annonça très clairement qu’il ne serait pas le professionnel qui cautionnerait une structure juridique intenable. Et éclata carrément pour fustiger celui qui avait démissionné du comité permanent. « Pour moi, le courage syndical consiste à assumer ses décisions, en les respectant et non en les bafouant comme vous l’avez fait en ne respectant pas la QNV. Il y a des tribunaux pour cela. » Ouah ! Silence dans les rangs. Sur sa lancée, le syndicaliste indiqua « que si le négoce pouvait aujourd’hui engranger des bénéfices, c’était aussi grâce à la viticulture qui s’était saignée aux quatre veines pour porter le stock quand le Cognac marchait mal. Il faudra que cette vérité soit entendue. » En toute fin de réunion, Bernard Gauthier fit passer un message subliminal sur « les vins destinés au Cognac qui, dans un système INAO, pourraient être considérés comme autre chose que des vins de bouche et s’attireraient donc un traitement à part ». Peut-être était-ce pour répondre à la question posée en toute dernière minute par une jeune femme : « Le SVBC peut-il nous dire quel est son projet ? »

En conclusion, Christophe Véral a demandé de la souplesse et de la réactivité pour ceux qui voulaient vivre de leur produit encore longtemps. « Le combat ne fait que commencer. » A la sortie, le SVBC distribuait des tacts réclamant un référendum « afin que chaque viticulteur ou entité qui cotise au BNIC puisse choisir son avenir et non le subir ».

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