Le cheval de bataille de la restructuration

19 mars 2009

1028_11.jpegLe syndicat présidé par Jean-Louis Brillet n’en démord pas. Il fait de l’arrachage (ou de la reconversion) de 8 à 10 000 ha un préalable au passage à un régime d’affectation des ha. Le dernier « coup de collier » qui permettrait à la région délimitée de trouver son équilibre « une bonne fois pour toutes ». Invité à l’AG du syndicat le 27 octobre, Antony Zonta était « attendu au tournant ». N’avait-il pas posé le curseur de l’arrachage à 3 000 ha dans son rapport. Le chargé de mission s’est dit à la fois humble dans son approche, pragmatique dans ses objectifs et ouvert à la discussion. « Il n’y a pas de proposition fermée. »

Après sa constitution en décembre 2002, le SVBC (Syndicat des viticulteurs bouilleurs de cru du Cognac pour la défense de l’AOC Cognac) a donc tenu sa première assemblée générale le 27 octobre dernier, salle de la Salamandre à Cognac. Une centaine de viticulteurs y étaient présents peut-être un peu plus. J.-L. Brillet a annoncé que son syndicat comptait 360 membres, représentant un potentiel de surfaces d’environ 10 000 ha. « En moyenne, il s’agit d’exploitations d’une trentaine d’ha, employant de la main-d’œuvre et qui vivent essentiellement du Cognac. Pour elles, l’avenir passe par le Cognac. C’est donc très important, une question de survie. » Le président du SVBC a présenté comme une reconnaissance syndicale le fait que deux de ses membres siègent à la nouvelle assemblée plénière du BNIC (Olivier Louvet et Jérôme Guérin) et que d’autres participent aux commissions du BNIC. De même, il s’est félicité que Bernard Guionnet occupe le poste de chef de famille de la viticulture. « Nous l’avions souhaité. » Comme il a laissé entendre que le syndicat n’était pas étranger aux 7 de pur ha de cette campagne. « Nous nous sommes battus pour les obtenir et ils furent finalement acceptés. Ils ne présentent aucun risque puisque les débouchés existent. Ils pourront permettre de conforter un peu le revenu tiré de la récolte 2003. » Mais après le chapitre des satisfecit est venu celui des revendications.

Promouvoir la restructuration

Et la principale revendication exprimée par le SVBC consiste à ce que la région arrache (et/ou reconvertisse) 8 à 10 000 ha de vignes. Pourquoi manifester un tel activisme en sens ? « Nous devons profiter des deux ou trois ans qui nous restent avant le changement de régime pour nous mettre “d’aplomb”, repartir sur des bases solides. Or, poursuit J.-L. Brillet, l’actualisation du projet d’avenir viticole, réalisée en octobre 2002 faisait déjà ressortir 7 500 ha sans véritable débouché. L’actualisation opérée en septembre 2003 table sur 8 600 ha excédentaires. Qui plus est, ce travail très intéressant, met en exergue un revenu non équilibré (charges supérieures aux recettes) sur les vignes servant à produire les vins de table, les vins de base, les jus de raisin. Que se passera-t-il en cas d’affectation ? A l’évidence, les viticulteurs affecteront massivement au Cognac, ce qui nous vaudra un rendement de 6 ou de 5 hl AP/ha au Cognac. Cela, nous le refusons ! Nous avons besoin d’une QNV supérieure à 8 pour équilibrer nos comptes. » Pour le SVBC la solution consiste donc à « dégraisser » cette surface de 8 à 10 000 ha, « pesante pour tous les viticulteurs, dans tous les crus. Gagnons plus d’argent sur moins d’ha. » « C’est le fameux assainissement de 15 % dont on parlait en début de plan » énonce J.-L. Brillet. Ce dernier explique que s’il ne réfute pas les principes du Plan d’adaptation – régime type INAO, affectation des ha – il en conteste les chiffres, tels qu’ils apparaissent dans le rapport Zonta. « Nous privilégions le raisonnement économique. Nous mettons en face des ha, des volumes et des prix, et nous faisons les comptes. Nous ne pouvons pas laisser dire qu’une restructuration de 3 000 ha sera suffisante pour garantir la rentabilité des exploitations, comme nous ne pouvons leurrer les gens en leur laissant croire qu’un ha de vin de table ou de jus de raisin, même à 180 hl vol., pourra leur apporter une viabilité. Ce n’est pas honnête. Après, il reviendra à chacun de se déterminer sur l’affectation de son vignoble, en tout cas qu’il le fasse en toute connaissance de cause. On n’affecte pas pour affecter. Il faut avoir du revenu derrière ! »

Récompenser l’effort

Le président du SVBC revient sur l’une de ses convictions profondes : il faut « récompenser » ceux qui ont fait l’effort de la restructuration. Comment ? En leur apportant l’assurance d’un rendement Cognac suffisant, que le syndicat situe à au moins 8,9 hl AP/ha (en système de séparation des ha). « Nous avons trois ans pour essayer de rétablir cette justice. » Jean-Louis Brillet cite son propre cas. « J’ai montré l’exemple en reconvertissant 17 % de mon vignoble. Sur 35 ha de vignes, 6 ha sont des vignes rouges. J’ai participé à l’assainissement et j’espère bien en profiter avec un rendement Cognac d’au moins 9 de pur à l’ha. Si tel n’était pas le cas, faudra-t-il qu’un jour des gens comme moi demandent à être réintégrés dans leurs droits Cognac ? » Et dans le droit fil de son raisonnement, il soulève le problème récurrent de la sortie du Plan. « Le rapport Zonta ne dit rien des droits en portefeuilles issus des arrachages temporaires effectués dans le Plan. Si d’ici 2006 l’on ne fait pas un geste, si l’on n’aide pas à conclure par une prime à l’arrachage définitif, 2 927 ha vont se replanter car les gens ne voudront pas perdre leurs droits de replantation. » « Si on laisse les choses en l’état, promet le président du SVBC, la course aux ha va s’installer. Ce sont les gros qui gagneront et il n’y aura plus 7 000 viticulteurs mais peut-être seulement 4 000. »

Que propose le syndicat ? Un arrachage « volontaire et solidaire – et non obligatoire pour cause de régime libéral –, quels que soient le cru et le département. » Et quand il entend dire que « l’arrachage, ça ne marche pas », sa réponse tombe, en deux temps : les primes ne sont pas suffisamment incitatives et les viticulteurs ont besoin de garantie. Côté incitation, c’est une prime d’arrachage de 15 000 euros/ha qu’il faut pour tout viticulteur, quel que soit son âge ou l’état de sa vigne. Côté garantie, elle doit passer par une QNV d’exploitation, « au moins le temps que durera la QNV et après la QNV, il y aura autre chose » ! Mais où trouver le financement ? Le président du SVBC parle bien d’un fonds qui pourrait réunir viticulteurs, négociants, Etat, Europe… Mais pour J.-L. Brillet il est clair que l’argument choc tient au pactole fiscal du Cognac. « Aujourd’hui, la taxation du Cognac rapporte 61 millions d’euros par an à la France. Un arrachage de 10 000 ha à 15 000 e coûterait 150 millions d’euros. La région autofinancerait son arrachage en deux ans et demi. » « Car, poursuit-il, on ne parle pas d’un arrachage massif. Sur 76 000 ha, 8 000 ce n’est pas énorme. Des régions arrachent 10 000 ha tous les ans. Pour nous, il s’agit du petit coup de pouce qui permettra de trouver un débouché sur chaque ha. » « Avec le SGV, on se rejoindra sur tout le reste, promet J.-L. Brillet mais la restructuration, c’est vraiment notre cheval de bataille, sur lequel on compte bien enfoncer le clou. »

Le SVBC projette de lancer prochainement une enquête auprès des 7 000 viticulteurs pour leur expliquer son projet et recueillir leurs avis sur les propositions incitatives d’arrachage. « Beaucoup de gens sont prêts à se priver de 15 % des surfaces à conditions d’avoir des garanties de revenu », estime-t-on au SVBC.

Controverse sur les 3 000 ha

1028_12.jpegLe syndicat avait convié à sa première assemblée générale deux invités de marques : Jean-Pierre Lacarrière, président du BNIC et Antony Zonta, chargé de mission et auteur du rapport qui porte son nom. Implicitement interpellé sur le chiffre des 3 000 ha de restructuration – proposé dans son rapport – ce dernier n’a pas éludé le débat. Il a d’abord rappelé le contexte dans lequel s’exerçait sa mission. « J’interviens “à dire d’expert” et un expert peut se tromper. J’accepte tout à fait d’en débattre. Par ailleurs, je ne me suis pas arrogé le droit d’écrire sur la région – c’eut été d’une très grande prétention de ma part – mais il y existe toujours un contentieux entre la France et la Commission de Bruxelles sur l’interprétation de la double fin et le ministère de l’Agriculture m’a demandé d’expertiser pour savoir s’il n’y avait pas d’autre solution que la double fin. Par chance, je n’ai pas eu à inventer quoi que ce soit mais à reprendre le dispositif valider par le BNIC – le Plan d’avenir viticole – en vérifiant la faisabilité du projet. » A. Zonta a indiqué qu’il avait travaillé à partir des chiffres qu’on lui avait fournis, par exemple un vignoble Cognac calibré à 55 000 ha à 8 de pur ha. « Bien sûr, si on change les curseurs pour raisonner à 9 de pur ha, les besoins de restructuration risquent d’être plus importants. J’admets que les chiffres ne soient pas coulés dans le bronze mais il faut bien se situer dans une pers-pective validée à un moment donné. » Sur le chiffre de 3 000 ha de restructuration recommandé dans son rapport, il constate « que ce chiffre est effectivement très loin des chiffres cités par la SVBC ». Pourtant, il le justifie de deux manières. D’abord par son statut de fonctionnaire qui l’oblige à respecter le cadre posé par l’Etat. Et le contrat de Plan Etat-Région ne prévoit de financement que pour 3 000 ha. Un premier principe de réalité. Ensuite, il revendique un certain pragmatisme. « Engageons-nous d’abord sur 3 000 ha d’arrachage et voyons si ça marche. Bien sûr, s’il devait s’arracher 4 000 ou 5 000 ha en un temps record, il faudrait réviser les batteries mais je ne pense pas que ce soit le cas. » Enfin, Antony Zonta a signalé qu’il avait parlé à beaucoup de gens, au SGV, à des professionnels de tous bords et aussi à des gens de Charente-Maritime, « pour qui l’arrachage est un sujet tabou » et que tout le monde ne partageait pas l’avis du SVBC en matière d’arrachage. Manifestement soucieux d’apaiser le débat, le chargé de mission a dit avoir souhaité émettre « un projet raisonné et raisonnable ». « Pourquoi 3 000 ha ? Parce que cela nous semblait une variable d’ajustement assez proche de la réalité. Mais encore une fois, il ne s’agit pas d’une proposition fermée. J’accepte la contradiction. Je ne suis qu’un expert et un expert peut se tromper. » En conclusion, A. Zonta a tenu à souligner qu’en l’absence d’un nouveau dispositif, la disparition de la double fin – à son sens largement programmée – équivaudrait à une zone de non-droit, autrement dit à la liberté totale. « Dans les cinquante entretiens que j’ai eus, personne n’a dit vouloir la liberté totale, à l’exception d’une personne. Une règle du jeu semble toujours préférable. Repartiriez-vous ce soir tranquille en voiture en sachant que le code de la route n’existe plus ? » A. Zonta a répondu à quelques questions de la salle dont une portant sur le devenir de la QNV d’exploitation. Sa réponse fut nette. « Dans le nouveau dispositif, la QNV n’existera plus. Là où l’on parlerait quantités normalement vinifiées, on parlera rendement. » Un autre viticulteur s’est demandé si à la fin du Plan, il allait être obligé de replanter. « Moi je n’oblige à rien du tout. Par contre tout contrat a une fin, un dispositif ne peut pas durer éternellement. C’est comme pour les OMC. » Jean-Louis Brillet a quant à lui souhaité que son syndicat soit associé plus étroitement aux discussions. « Nous représentons une belle force d’action pour que vive cette région de Cognac. On ne doit pas nous négliger. »

Jean-Pierre Lacarrière

Un soutien appuyé au rapport Zonta

Invité à conclure la réunion du SVBC, le président du BNIC a
d’abord donné quitus à Jean-Louis Brillet qui avait appelé « à ne pas crier victoire » malgré des ventes en hausse. J.-P. Lacarrière a lui aussi engagé à la prudence. « Si les sorties de Cognac progressent de 6 à 7 %, le dollar est faible et le billet vert sert à facturer une bonne partie de nos ventes dans le monde. Deux ou trois bonnes années ne doivent pas nous laisser à penser que tout est gagné. » Ceci étant dit, il a souhaité apporter son appui « absolu et total » au rapport de M. Zonta. « Pour deux raisons » a-t-il précisé. La première tient « à ce que M. Zonta a pris pour socle de son rapport les propositions faites par l’ensemble des professionnels et que sa mission a consisté à vérifier leur faisabilité juridique » La seconde « c’est que l’on a l’absolue nécessité de préparer la suite du Plan d’adaptation né en 1998 pour 8 ans et qui s’achèvera avec la récolte 2005 ». « La double fin est à l’agonie, a-t-il dit, et nous n’aurons pas trop des deux ou trois ans qui nous restent pour nous poser la question de l’après article 28. Le rapport de M. Zonta permet de nous y préparer. » Sur le dossier « chaud » de la restructuration, le président du BN ne s’est pas prononcé directement, ne souhaitant sans doute pas lancer la polémique et compliquer les choses. En d’autres temps, on sait qu’il avait dit « qu’entre 3 000 ha et 8 000 ha, la vérité se situait sans doute entre les deux » et qu’il fallait faire preuve dans ce domaine comme en toute chose de beaucoup de pragmatisme » « Il y a l’idéal et le possible. Inutile de se bloquer sur des chiffres. Il faut simplement que la restructuration démarre et 3 000 ha peuvent constituer un premier objectif. » Là où il fut moins attendu, c’est lorsqu’il a parlé du « curseur des prix » au sujet de l’étude économique réalisée par un groupe de travail restreint du BN (actualisation 2003 du Plan d’avenir viticole). « Quand on se livre à des simulations de revenu, a-t-il dit, deux curseurs agissent, celui des volumes mais aussi celui des prix, à la hausse comme à la baisse. Pour émettre différentes hypothèses, on ne peut pas jouer sur le seul curseur des volumes en occultant celui des prix. » En rappelant ainsi qu’il ne fallait pas oublier les prix, le président du BN a sans doute voulu signifier qu’il représentait les deux branches de la filière, viticulture et négoce. Des prix qui, dans la réalité, progressent un peu, au nom d’une certaine tension de marché.

 Projet d’avenir viticole – Actualisation 2003

Comparatif de revenus : la viticulture défend une approche différente

Tous les ans depuis 2000 ou 2001, un groupe informel du BNIC se penche sur l’actualisation chiffré du projet d’avenir viticole. Dans une relative indifférence il faut bien l’avouer ou, en tout cas, sans susciter de réactions particulières. Crispation cette année où l’apparente tentation de certains de vouloir faire « parler les chiffres » conduit à se poser des questions sur la manière de compter.

Philippe Boujut, président du SGV, s’étonne en premier lieu que la viticulture n’ait pas été plus associée à ce travail d’actualisation. En second lieu, il conteste les pré-conclusions auxquelles aboutissent les simulations. « Aux yeux de certains dit-il, les jus de raisin, les vins de table ne sont pas considérés comme des productions viables. Or ces débouchés existent et ils apportent un chiffre d’affaires certain dans la région. Les supprimer serait faire un cadeau à des régions viticoles hors de France et reviendrait pratiquement à remettre en cause le postulat de base du Plan d’avenir viticole qui consiste à jouer sur la séparation des vignobles et sur les rendements différenciés pour redonner une rentabilité aux exploitations. » Vous avez dit exploitations ! Voilà bien où le bât blesse. Là où la viticulture entend raisonner exploitation type, le groupe informel du BNIC raisonne ha par ha. « C’est toujours le même vieux débat, relève Philippe Boujut. Il n’est pas très compliqué de démontrer qu’un ha Cognac est plus rentable qu’un ha vin de table ou un ha jus de raisin. Mais croyez-vous que les 76 000 ha de la région délimitée se résument à l’addition d’hectares indépendants les uns des autres ? Nous ne travaillons pas sur des ha mais sur des exploitations, qui utilisent le même matériel pour cultiver 15 ou 20 ha et qui préféreront toujours conserver des débouchés vin de table ou jus de raisin plutôt que de les laisser partir. C’est vrai qu’un ha de jus de raisin dégagera toujours moins d’argent qu’un ha de Cognac, mais l’association des deux permettra de faire vivre une exploitation. L’autre grosse erreur commise par les tenants de l’étude consiste à considérer qu’augmenter la production d’un ha cognac revient à augmenter sa commercialisation (l’actualisation fait apparaître un besoin de QNV Cognac de 8,9 hl AP/ha – NDLR). C’est peut-être vrai pour une toute petite minorité de gens mais, en règle générale, cela libère des ha pour produire des vins de table ou des jus de raisin. A meilleure preuve, même si l’on peut aujourd’hui distiller 500 000 hl AP de Cognac, on n’en produit toujours que 390 000. Enfin c’est se tromper de perspective que de comparer les revenus obtenus sous un régime d’affectation avec ceux tirés d’un régime double fin. Aujourd’hui, il faut comparer les revenus issus d’un régime d’affectation avec ceux qui découleraient de l’application d’un régime général vins de table à 90 hl vol/ha. »

Au BNIC, si on parle « d’adoucir » l’étude avant de la présenter aux professionnels, on ne renonce pas pour autant à l’axiome de base, qui consiste à raisonner l’équilibre économique d’un ha pris isolément, « même si une exploitation représente une somme d’ha ». « Dans l’absolu, dit-on, si un ha perd de l’argent, il s’équilibrera au détriment du Cognac. Le Cognac a-t-il à supporter le déficit engendré par d’autres productions ? C’est une question d’interprétation, tout dépend de quel côté de la lorgnette on se place. »

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