La Sarl Barit-Laurichesse met en œuvre depuis de nombreuses années une taille en fiançailles tardive sur 15 à 20 ha et cette pratique a démontré tout son intérêt en 2017. Le vignoble de 104 ha s’étend sur une diversité de situations géographiques, des pleins coteaux considérés comme non gélifs (30 ha), des zones de mi-coteaux (50 ha) et des bas de vallées très sensibles au gel (25 ha). Bernard, Laurent et Philippe Laurichesse considèrent, que, 60 % de leur propriété est potentiellement sensible au gel de printemps avec un risque accru dans les secteurs bas. Leur vécu est riche d’enseignements sur le plan agronomique, en terme économique et au niveau des contraintes d’organisation du travail.
L’élément déclencheur de la démarche de taille en fiançailles du vignoble Laurichesse a été la gelée de 1991. À l’époque l’ensemble des travaux de taille était souvent terminé tout début mars. Au moment du gel, le 21 avril, l’état de la végétation très avancé (les contres bourgeons sortis) avait fortement amplifié les effets du puissant coup e froid. L’espoir d’une ressortie de bourgeons fructifères avait été donc été limité et le niveau de rendement de la propriété n’avait pas dépassé 4,5 hl d’AP / ha. B Laurichesse et ses frères avaient observé l’intérêt de la taille en fiançailles chez un de leur voisin. Dans les parcelles les plus exposées au gel, ce viticulteur avait préservé 70 à 80 % du potentiel de production. Un tel constat les a convaincus de pratiquer de façon systématique la taille en fiançailles dans les zones les plus sensibles.
Des rendements de 80 à 90 hl/ha dans les vignes fiancées
En 2017 les 15 ha de vignes « fiancées » ont atteint des niveaux de rendements moyens de 80 à 90 hl/ha alors que des parcelles situées dans les mêmes zones et taillées normalement ont produit péniblement 40 hl/ha. Dans les vignes partiellement gelées de mi-coteaux, la production moyenne se situait autour 60 hl/ha. Le caractère précoce du millésime et le beau temps durant l’été n’ont pas entraîné de retard de maturité des raisins. Cette pratique de taille en deux temps avec une seconde intervention de finition tardive provoque un net retard de la sortie des bourgeons principaux (et secondaires) situés dans la fourche des ceps qui sont fructifères. Le bon développement végétatif des parcelles fiancées a aussi permis d’obtenir de beaux bois de taille pour la prochaine récolte. Ces constats s’avèrent donc très intéressants dans le contexte d’une propriété de surface importante ou la majorité des travaux sont effectués par du personnel salarié.
Une pratique à mettre en place dans des vignes «en forme»
Dans cette exploitation 15 à 20 ha de vignes larges palissées traditionnelles et d’arcures hautes sont « fiancées » chaque année. Le choix des parcelles est conditionné par leur état physiologique qui s’extériorise par la densité et la qualité des bois. « Chaque année, l’observation de la quantité de bois, du diamètre des sarments, de la qualité de l’aoûtement sont pris en compte. On s’est rendu compte que des vignes peu vigoureuses ou ayant subi des stress hydriques importants réagissaient moins bien. La taille en fiançailles marche toujours mieux dans les vignes en forme. Le retour d’expérience que nous avons acquis démontre que la mise en œuvre de cette pratique nécessite une réflexion technique globale dans le choix des parcelles et ensuite dans leur conduite » explique B Laurichesse.
Une taille de sélection en février suivie d’une taille de finition à la mi-avril
Le principe de la taille en fiançailles mis en œuvre dans cette propriété repose sur des principes bien établis. Une première phase de taille intervient entre le 20 janvier et la mi-février pour sélectionner tous les bois de tailles, les longs bois et les coursons selon le principe Guyot Poussard. Les sarments devant devenir les lattes production de l’année sont conservés avec une grande longueur (de 1,50 m en moyenne) et sans enlever les entre-coeurs qui se sont développés à la base des bourgeons. Les cousons sont taillés normalement à 2 yeux en respectant les courants de sève. Aussitôt cette première phase taille partielle, les bois sont tirés. La deuxième intervention de taille est réalisée dans le courant de la deuxième quinzaine d’avril au moment la vigne est en plein débourrement. Il s’agit véritablement de la phase de taille de finition ou les sarments sont coupés à la bonne longueur (8 à 9 bourgeons) et nettoyés de tous les entre-coeurs. Généralement, cette taille de finition intervient au moment où la vigne « pleure » abondamment.
Un net retard du débourrement des 8 à 10 bourgeons à la base des lattes
Les souches réagissent à ces interventions de taille en deux temps, une première à des dates normales et une seconde très tardives en déclenchant le débourrement des bourgeons avec un fort décalage entre les bourgeons. Le démarrage de la végétation au printemps a toujours tendance à se concentrer toujours sur l’extrémité des sarments principaux et sur les entre-coeurs. Sur les sarments fiancés, les bourgeons de l’extrémité sont souvent très bien débourrés (au stade 2 à 3 feuilles étalées) alors que ceux de la base sont encore à peine dans la bourre. La taille de finition pourrait presque être assimilée à la première intervention en vert du cycle végétatif. Les 8 à 10 bourgeons principaux du centre des souches n’étaient pas encore sortis au moment des trois matinées de gel des 26, 27 et 28 avril 2017 alors que ceux des extrémités bien développés (les contre-bourgeons aussi) ont été totalement détruits. Le développement ultérieur des bourgeons principaux épargnés par le gel a permis aux parcelles de porter une charge de grappes de première génération très honorable. L’attachage est effectué dans la foulée pour ne pas occasionner trop de casse de bourgeons. Dans les arcures hautes semi-palissées établies à 1,40 m de hauteur, les dégâts sont souvent minimes et légèrement plus important dans les parcelles palissées établies à 0,80 m.
Les deux interventions de taille entraînent une légère augmentation des temps de travaux
B, L et Ph Laurichesse ont mis en place une organisation du travail pour en quelque sorte dégager le plus de temps possible entre le mois de janvier et la fin avril. Les relevés de temps de travaux précis réalisés sur cette exploitation permettent de bien apprécier la charge de travail nécessaire à la mise en œuvre d’un chantier de taille en fiançailles. Dans les vignes de 3 m sur 1,10 m, la phase de première taille nécessite environ en moyenne 25 heures/ha. Dans des vignes identiques ou est réalisée dès le départ une taille finale, le temps de travail moyen est de 30 heures sans intervention de pré-taillage en tête. La deuxième intervention de taille de finition en avril nécessite en moyenne 10 heures/ha. Les tailleurs « rafraîchissent les sarments et font tomber les bois dans les bois dans les interlignes. Les autres interventions, le tirage des bois et l’attachage des sarments se déroulent normalement.
La phase de taille de sélection demande de l’attention et des compétences
B Laurichesse explique que ce mode de taille nécessite de la part des tailleurs une certaine capacité d’adaptation les premiers jours : « La réalisation de la première phase de taille est vraiment l’étape clé de toute la démarche. Le fait de demander aux tailleurs de fiancer les oblige à regarder la structure des bois sur les souches plus profondément. Ils doivent analyser la qualité des bois sur toutes leurs longueurs ce qui au départ modifie un peu leurs habitudes. Cette taille de sélection nécessite un peu plus d’attention et de compétences mais, les tailleurs confirmés s’y adaptent bien au bout de 2 à 3 jours. La première phase de taille de sélection est bien sûr effectuée avec des sécateurs électriques alors que l’intervention de finition en avril est réalisée avec des sécateurs manuels. Les tailleurs sont plus habiles pour éliminer un volume de bois très limité ».
Un investissement supplémentaire de 10 heures/ ha très bien valorisé en 2017
La principale contrainte de la technique de taille en fiançailles réside dans le fait qu’il faut avoir une disponibilité du personnel durant la deuxième quinzaine d’avril. Le vécu de cette pratique intègre ce besoin de main-d’œuvre important décalé en saison. Dans toutes les vignes, les travaux de réparation du palissage, souvent consommateurs de temps sont anticipés à l’automne. B Laurichesse que la demande accrue de main-d’œuvre s’anticipe dans certaines limites : « Nous avons construit l’organisation des travaux d’hiver en intégrant cette demande de main-d’œuvre plus forte en avril mais dans certaines limites. Vouloir tailler 30, 40, 50 ha en avril avec l’équipe de nos 6 tailleurs est irréaliste. En moyenne, cette pratique mobilise une dizaine d’heures supplémentaires/ ha et demande des compétences. Fiancer plus de surface nous obligerait à terminer la taille à la mi-mai ce qui ne nous paraît pas souhaitable dans nos sols très calcaires. Le recul que nous avons de cette pratique nous permet aujourd’hui de pouvoir gérer environ 15 % à 20 % de la surface de notre vignoble. Cela correspond à peu près aux parcelles les plus exposées au gel. Économiquement, le gain de productivité en 2017 de 4 hl d’AP/ha justifie pleinement l’investissement en temps et en organisation ».
Une sensibilité accrue à la chlorose qu’il faut anticiper
L’attachage des baguettes intervient aussitôt la taille de finition. En effet, si les sarments restent debout, les écoulements de sèves généralement importants peuvent « brûler » les bourgeons les plus développés. L’observation du développement des parcelles fiancées depuis de nombreuses années a aussi mis en évidence certaines différences de comportement que B Laurichesse n’élude pas : « Lorsque les conditions climatiques en mai ou début juin sont fraîches et pluvieuses, nous avons constaté plusieurs années de suite que les parcelles fiancées extériorisaient une sensibilité accrue à la chlorose. Des jaunissements marqués de la végétation dans cette phase du cycle végétatif peuvent nuire à la tenue des raisins avant et pendant la floraison. Désormais, ce risque est anticipé par des apports de chélates au sol tous les deux ou trois ans. En absence de gel, le retard de cycle végétatif engendré par la taille en fiançailles ne s’avère pénalisant au niveau de la maturité que lors des années tardives. Dans le cadre de millésimes normaux ou précoces, il se produit un phénomène de compensation au cours de l’été ».
Les quatre interventions successives de la taille en Fiançailles mis en œuvres sur le Vignoble Laurichesse :
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– 1 : Première phase de taille de sélection en janvier février :
Sélection de la future latte en conservant toute sa longueur avec tous les entre-coeurs et taille normale des coursons
– 2 : Tirage des bois aussi la première phase de taille :
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L’extraction des bois intervention dans la période de plein repos végétatif des bourgeons
– 3 : Deuxième phase de taille de finition au cours de la deuxième quinzaine d’avril :
– Nettoyage et coupe de la latte à bonne longueur (8 à 9 bourgeons)
– Interventions se déroulant dans la période de débourrement en présence de pleurs abondantes et avec des bourgeons pas encore débourrés à la base des lattes et au stade 2 à 3 feuilles étalées à l’extrémité des sarments et sur les entre-coeurs
4 : Attachage des lattes aussitôt la taille de finition :
– Intervention à réaliser dans les 1 à 2 jours suivant pour éviter les phénomènes de brûlures des bourgeons par les écoulements de sève à l’extrémité des lattes restées en position verticale.
Les points clés de la technique de taille en fiançailles des vignobles Laurichesse :
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Une pratique mise en œuvre tous les ans sur 15 à 20 % de la surface principalement dans les zones les gélives.
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Le net retard du débourrement des 3 ou 4 premiers bourgeons de la bases des lattes les protège totalement des risques de gel et leur permet ensuite de porter des raisins de première génération
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Les 15 ha de vignes fiancés en 2017 ont produit 80 à 90 hl/ha, alors que les parcelles gelées à 100 % ne dépassaient pas 40 hl/ha.
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Un gain économique très important avec 8 hl d’AP / ha de production régulière
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Des besoins en main-d’œuvre supplémentaires de 10 heures / ha liés essentiellement aux deux phases de taille.
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L’exigence d’avoir une disponibilité en main-d’œuvre suffisante dans la deuxième quinzaine d’avril.
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La première phase de taille de sélection en janvier février demande de l’attention et des compétences.
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Une technique à implanter dans les vignes « en forme » sur le plan agronomique
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La qualité des bois de taille suite à un gel est jours bonne sur les souches
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Les retards de maturité occasionnés par la taille en fiançailles ne sont perceptibles que lors des millésimes tardifs mais ceux-ci sont de plus en plus rares.
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Une sensibilité accrue à chlorose quand les conditions climatiques sont très favorables.
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