Du 25 janvier au 4 février, le syndicat viticole a animé 14 réunions sur l’ensemble de la région délimitée. Ces rencontres de terrain ont fonctionné dans les deux sens. Le syndicat a apporté pas mal d’informations techniques aux viticulteurs. Mais ces derniers se sont aussi très librement exprimés. Au final l’échange a bien fonctionné.
Une soif de parole. Comme s’ils ne parvenaient pas à endiguer cette parole trop souvent tue, osera-t-on dire trop souvent « refoulée ». Sans faire de sociologie de bas étage, constatons que les viticulteurs charentais n’échappent pas à leur condition de paysans, travailleurs de plus en plus travailleurs mais aussi de plus en plus isolés au milieu de leurs propriétés (qui grandissent). Alors, quand on leur donne l’occasion de s’exprimer, ils ne s’arrêtent plus. C’était amusant de voir ces gaillards de 60 ans intervenir sur tous les fronts, commenter, débattre et des plantations et du rendement et des dépassements et patati et patata. Une certitude cependant : la fibre viticole continue de battre chez eux.
Après avoir empilé une dizaine de rendez-vous à 21 heures chaque soir, Christophe Forget, le président du SGV Cognac, avouait une certaine fatigue en cette fin de cycle de réunions. Le 4 février à Pérignac (17), il se réjouissait presque qu’un froid glacial règne sur la salle municipale. « Cela maintient le tonus. » Au cours de la soirée, qui s’est terminée aux alentours de minuit, Marlène Tisseire et lui ont fait un tour complet de l’actualité. Démarrant leurs propos par un thème ultra politique – le projet de la libéralisation des droits de plantation à l’échelon européen – ils l’ont conclu par un thème non moins sensible quoique plus immédiat et plus local, le rendement Cognac. Entre les deux, furent évoqués les aides à la restructuration, à l’investissement, la couverture grêle, les prestations viniques, la réserve climatique, le marché du Cognac… Un programme similaire s’est déroulé à Barbezieux, Gémozac, Châteauneuf, Matha, Rouillac, Jonzac, Montguyon, Montlieu, Segonzac, Archiac… Outre Christophe Forget et Marlène Tisseire, Xavier Desouche, secrétaire général du syndicat et Emilie Chapalain animèrent plusieurs réunions, assistés à chaque fois par des administrateurs du cru. Ainsi, à Pérignac, Philippe Guélin animait la réunion aux côtés de ses collègues.
Le projet européen de libéralisation des droits de plantation avait déjà été au centre de l’assemblée générale du SGV Cognac le 2 juin 2009. Christophe Forget a souhaité y revenir, pour dénoncer l’immense danger que constituerait une telle mesure. Rappelons les faits. A échéance 2015-2018 – c’est-à-dire demain – l’Europe envisage de supprimer les droits de plantation. Au vignoble, tout le monde s’insurge contre une telle proposition : « Nos vignes ne vaudraient plus rien et, de surcroît, nous serions totalement incapables d’en maîtriser la production. » Une fois les fragiles équilibres rompus, se profilerait une spirale à la baisse que rien ne pourrait plus endiguer. Inacceptable ! Réunis au sein de la CNAOC, les vignobles d’AOC préparent la contre-offensive. Elle pourrait passer par le biais des signes de qualité, IGP/AOP, chers à l’Europe. Des signes de qualité qui méritent d’être encadrés. Sauf que si le Cognac est bien une AOC – et adhère à la CNAOC – le vin servant à le produire est un vin de table (car élaboré à partir de cépages double fin). Dans ces conditions, comment figer le potentiel de production ? La délimitation parcellaire représenterait sans doute la piste la plus sérieuse. Mais la plus contraignante aussi. « Pourquoi pas ! » se sont exclamés quelques viticulteurs dans la salle. « En Charentes, on a toujours le c… entre deux chaises. C’est la meilleure façon de se faire avoir. Le soutien des autres régions, on ne l’obtiendra que si l’on choisit notre camp. » « Certes a répondu Ph. Guélin mais opter pour la délimitation parcellaire serait tout sauf un choix anodin. Si la région devait s’y engager, auparavant, il faudrait bien en peser tous les avantages et les risques. Une chose est sûre, pour combattre la libéralisation des droits de plantation, nous devrons trouver des arguments. » « Ce libéralisme, il faut l’envoyer balader ! » ont renchéri des viticulteurs remontés. « De 1973 et 1975, on a planté 30 000 ha. On a vu le résultat. Nous n’en sommes toujours pas guéris. L’équilibre est déjà précaire à 80 000 ha. Qu’en serait-il avec près de 700 000 ha ? (la SAU des deux départements – NDLR). » Avec des membres de la CNAOC, Christophe Forget a suivi une conférence sur le sujet à Bruxelles. Une mission parlementaire européenne doit venir en France au printemps. Il est prévu que la déléguée parlementaire Catherine Vautrin fasse un crochet par les Charentes pour s’imprégner des subtilités régionales. Christophe Forget a indiqué que la France ambitionnait de se positionner comme leader du front anti-libéralisation des droits. « Notre pays a une belle carte à jouer mais il faut se retrousser les manches. » Le SGV a proposé d’adresser un courrier type aux politiques, signé de tous les viticulteurs.
un ambitieux programme
En corollaire à cette offensive libérale, l’Europe a mis sur pied depuis la campagne 2008-2009 un ambitieux programme d’aides à la restructuration, à la promotion et à l’investissement. Ce programme court jusqu’en 2012-2013. Objectif : mettre les structures viticoles européennes au diapason du grand bain de la mondialisation. Et après basta, nada, plus rien ! A l’orée de la nouvelle OCM vin, lancée le 1er août 2008, c’était en tout cas la vision exprimée par Mariann Fischer Boël, commissaire européen à l’agriculture jusqu’en cette fin d’année. Depuis janvier 2010, un nouveau commissaire à l’agriculture a été nommé. Roumain, Dacian Ciolos a fait une partie de ses études en France, à Rennes puis à Montpellier (où il a rencontré sa femme). La France a soutenu sa candidature au poste de commissaire européen à l’Agriculture et au Développement rural. L’origine latine et la francophilie du jeune commissaire suffiront-elles à infléchir la politique viticole européenne ? A voir. Les Charentes, comme les autres régions viticoles des 27, sont récipiendaires des aides de Bruxelles. « Fallait-il que nous acceptions ces aides, sachant quelles étaient la contrepartie de la libéralisation des droits ? » s’est interrogé Ch. Forget. Il a lui-même répondu à sa question : « De toute façon, ça n’aurait rien changé. »
Pour rappel, les aides à la restructuration (plantation) ont deux entrées possibles, qui peuvent jouer indifféremment : modification de l’entre-rang d’au moins 25 cm, en plus ou en moins et/ou modification de la densité de plantation supérieure à 10 %, en plus ou en moins. Replantation par anticipation, replantation par arrachage, droits en portefeuille… Les trois possibilités ouvrent droit aux aides. Seule difficulté : sur les droits en portefeuille, il faut prouver la réalité du changement. Cette preuve s’apporte par tous moyens (déclaration de plantation de la vieille vigne, renseignements au casier viticole géré par le Service de la viticulture…). Le montant de base de l’aide de 8 500 € de l’ha peut être majoré de 600 € pour la prise en charge de l’arrachage et de 2 000 € pour perte de récolte (en l’absence de replantation anticipée). En tout, l’aide peut donc atteindre 11 100 € de l’ha, voire 11 600 € si le viticulteur est J.A (seule condition exigée : avoir moins de 40 ans). Un participant a juste fait remarquer avec ses mots à lui que le montant de l’aide n’était pas du « net/net » mais subissait les prélèvements habituels. « On vous fait miroboler des aides faraminantes et vous vous retrouvez avec 40 % en moins. » Par ailleurs, la surface plantée au sens du règlement européen n’équivaut pas à la surface viticole habituellement retenue. On estime généralement que la réfaction représente environ 10 %. Pour mesurer la surface viticole pouvant prétendre à l’aide à la restructuration, les agents de FranceAgriMer se servent d’un GPS. Ils contournent la vigne au ras des souches et ajoutent à cette surface une bande périmétrique correspondant à la moitié de l’intervalle moyen entre rangs. Autrement dit, si la vigne est plantée à 3 m, on ajoutera 1,50 sur tout le pourtour. Le système de mesure calcule automatiquement cette bande périmétrique. Aujourd’hui, le casier viticole ne se base pas sur les mêmes références. Il retient la surface plantée tournières comprises.
Sur l’abondement des enveloppes, tant pour la restructuration que pour l’investissement, normalement, il n’y a pas trop de souci à se faire. Ces enveloppes sont budgétées jusqu’à fin 2013 et il est prévu que les montants alloués à chaque Etat membre aillent crescendo (280 millions d’€ pour la France en 2013). Sur 2009, l’enveloppe restructuration n’a même pas été entièrement consommée. Par contre la pression s’avère manifestement plus forte sur les aides à l’investissement. De gros dossiers sont attendus en 2010, de la part de coopératives ou de négociants. Pour les vignerons, la perception des aides européennes génère de nouvelles obligations : renseigner le dossier PAC, même en l’absence de céréales, et respecter les règles d’éco-conditionalité sur l’ensemble de l’exploitation (voir Le Paysan Vigneron n° 1099).
Très attractives dans la mesure où le taux de l’aide atteint 40 %, les aides à l’investissement représentent l’autre volet du diptyque. Elles concernent aussi bien la production de Cognac, Pineau, Vin de pays et de table, Jus de raisin. La zone délimitée Cognac connaît pourtant une limite à l’éligibilité. Les aides s’arrêtent avant la partie Cognac. Toute la partie distillation et stockage s’en trouve donc exclue. Le point névralgique porte sur les cuves inox 316, financées partout en France sauf en Charente dans la mesure où elles peuvent servir à stocker du Cognac. A dire vrai, la porte n’est pas complètement fermée. Lors d’une réunion à Angoulême, le DRAF et le préfet de région ont demandé à la profession de leur apporter des arguments irréfutables prouvant que l’inox 316 ne servira pas au Cognac. Parmi les pistes à l’étude, la localisation des cuves ou encore leur absence d’épalement. Christophe Forget a rappelé que le dossier de demande d’aide à l’investissement devait être présenté avant toute signature de devis ; qu’un planning de réalisation pouvait être mis en place sur deux ans et qu’une même entité pouvait présenter plusieurs dossiers, à condition que la réalisation du premier soit achevée, pour éviter les phénomènes de cavalerie. Toutefois, compte tenu de l’échéance 2013, il semble difficile d’empiler les dossiers. Dans l’instruction des demandes, un point semble litigieux, celui des toitures. Certes, la réfection des bâtiments figure bien dans la liste des dépenses éligibles. Mais les toitures, pour être prises en charge, doivent faire l’objet d’une véritable amélioration (isolation thermique…). Les panneaux solaires, ça ne marche pas ! Sur ce type d’investissement, les autorités conduisent l’instruction au cas par cas, sans qu’une ligne de conduite nette se détache. Même chose pour les pressoirs roulants, éventuellement finançables mais uniquement dans certaines conditions (par exemple deux sites d’exploitation…). En l’occurrence, l’Europe ne veut pas financer les prestataires de service. Marlène Tisseire a indiqué que le SGV Cognac était à la disposition de ses adhérents, pour tous ces aspects d’assistance juridique et d’examen préalable des dossiers : « N’hésitez pas à nous solliciter. » Il rentre d’ailleurs dans les intentions du syndicat d’accentuer ce type de services.
En 2009, la grêle a durement affecté le vignoble de Cognac. Si la solidarité viticole et la mise en place d’un dispositif administratif efficace ont permis de parer au plus pressé, l’assurance grêle reste une réponse adaptée. Pour en faciliter le recours, le syndicat a réfléchi à la signature d’un contrat groupe avec une compagnie d’assurance. Après avoir rencontré quatre assureurs – Axa, Groupama, Pacifica, La Rurale – et exploré tous les mécanismes de couverture grêle, le SGV s’est déterminé pour un type de contrat un peu particulier, l’assurance d’un capital à la parcelle, pour un montant au choix du viticulteur, assorti d’une indemnisation au premier grêlon. Il s’agit d’un strict contrat grêle et non d’un contrat multirisque. Objectif : par la négociation groupée de tarifs, rendre les contrats grêle un peu plus accessibles. Le SGV a conclu un contrat groupe avec La Rurale, représentée en région par le cabinet Louvet.
prestations viniques
La livraison des prestations viniques a encore fait couler beaucoup d’encre lors des dernières vendanges. En cause, la demande de participation financière émise par un distillateur agréé. Le problème a été largement déminé par les autorisations de retraits sous contrôle – autorisations d’épandage – accordées sans restriction par l’Administration. Une centaine de viticulteurs des deux Charentes y ont eu recours.
En bons communicants, les responsables du syndicat avaient gardé pour la fin les deux thèmes les plus brûlants, la réserve climatique et l’évocation du futur rendement Cognac. La réserve climatique a donné lieu à d’assez longs développements (voir encadré). Quant au rendement Cognac, c’est le sujet favori de tout Charentais qui se respecte. Les « hostilités » ont démarré par un feu roulant de questions sur un sujet annexe – encore que – le rendement « autres débouchés ». « On entend dire que… ». Christophe Forget et Philippe Guélin ont déminé les spéculations. « La moyenne générale s’élève à 305 hl vol./ha. Cela veut dire que 97 % des viticulteurs se sont montrés raisonnables et responsables. La consigne a été suivi par l’immense majorité d’entre nous. Les dépassements graves – il y en a eu – furent le fait d’une poignée de viticulteurs. Ils seront d’ailleurs invités à s’expliquer au BNIC. » Bernard Guionnet, le président de l’interprofession, confirme. « De telles pratiques, qui consistent à s’éloigner par trop du rendement physiologique de la vigne, ne sont pas tolérables. Elles sont de nature à mettre à mal le système de l’affectation. Veut-on retomber à 120-130 hl/ha pour les « débouchés autres » ! » Le président de l’interprofession a indiqué que le BNIC recevrait, courant du second trimestre, les viticulteurs ayant le plus exagéré. En cas de récidives, les Fraudes pourraient s’en mêler. « Les bons paieront pour les mauvais, c’est toujours comme ça, on le sait bien » a tempêté la salle.
Le rendement Cognac maintenant. Avant de rentrer dans le vif du sujet, le président du SGV Cognac a brossé un rapide tableau du marché du Cognac. Le mois de janvier 2010 – qui n’était pas encore définitif début février – affiche un + 5 % par rapport à la même période l’an dernier. La tendance à l’amélioration semble donc se vérifier. Mieux, en l’espace de quelques mois, les ventes ont regagné du terrain. Elles sont passées, sur l’année mobile, de – 12,4 % à – 9,5 %. L’objectif ciblé par les négociants de finir à – 5 % à fin mars 2010 serait-il en passe d’être atteint ? Cela paraît un peu improbable mais, après tout… Au BNIC, un groupe « prospective » existe, dont l’unique objet est de réfléchir aux chiffres qui rentreront dans l’outil de calcul de l’interprofession. Sur la base – optimiste – de – 5 % à fin mars, l’outil de calcul du BN situe le rendement 2010 à 7,40-7,50 hl AP/ha. Est-ce ce rendement qui s’appliquera aux vendanges prochaines ? Le président du SGV s’est interrogé tout haut : « Ne serait-il pas intéressant d’avoir un rendement Cognac un peu plus élevé pour libérer des ha aux « autres débouchés » et assurer ainsi la réussite de l’affectation ? » Devant les viticulteurs, il a proposé que « le rendement plancher du Cognac soit temporairement déconnecté de la règle de calcul de l’interprofession, l’espace d’un ou deux ans. » Un producteur a posé la question de confiance : « Pour monter à combien ? » « Est-ce qu’un rendement de l’ordre de 8 / 8,10 de pur/ha vous semblerait complètement farfelu ? » a tenté Christophe Forget. Apparemment, la salle n’y a trouvé rien à redire. « Ce ne sont pas les 11 de pur que j’entends “racasser“ et “re-racasser“ partout » s’est exclamé un personnage connu pour sa gouaille et sa faconde comme pour son attachement au Cognac. Le président du SGV a poursuivi ses explications : « Une autre réflexion s’amorce, autour de la constitution d’une réserve bloquée entre le rendement annuel et 9,5 hl de pur/ha. La réserve resterait bloquée pendant 5 ans et ressortirait automatiquement en compte 4. L’idée est que cette réserve ne pèse pas sur les cours des 00. » Réaction spontanée de la salle : « Il faut pousser plus loin que le compte 4. » Et de pilonner : « De toute façon, la réserve pèsera toujours sur les cours, d’une manière ou d’une autre. » Pour Ch. Forget, cela ne fait aucun doute, la vigilance serait de rigueur : « On veut bien admettre le défi mais en gardant un œil sur les mercuriales du BN. Si les prix décrochaient, cela voudrait dire que le marché n’a pas besoin de la réserve. » « A cette condition, ça peut être cohérent » lui a renvoyé la salle. Un viticulteur s’est chargé de résumer la situation : « Il faut trouver des équilibres entre ceux qui veulent plus et ceux qui veulent moins, en sachant que ce point d’équilibre, par définition, satisfait peu de monde. »
Par rapport à l’an dernier, les aides à la plantation connaissent un certain nombre de hausses. La campagne 2009-2010 voit l’introduction d’une participation à l‘arrachage d’un montant de 600 € de l’ha. Cette aide ne joue que pour les plantations issues d’un arrachage exercé dans le cadre de la nouvelle OCM (après le 1er août 2008). Elle ne concerne ni les plantations issus d’arrachages antérieurs à la nouvelle OCM ni, bien sûr, les plantations anticipées. L’indemnité pour perte de récolte progresse de 500 €. Elle passe de 1 500 € l’ha à 2 000 € (2 500 € pour les JA). Elle aussi ne s’adresse qu’aux plantations issues d’arrachages postérieurs au 1er août 2008, à l’exclusion des plantations anticipées et des droits en portefeuilles antérieurs au 1er août 2008. Désormais, la prime de base de 8 500 € de l’ha s’applique à tous les cas de figure.
Comme les autres années, les dossiers d’aide à la plantation ne sont pas attendus avant le printemps (avril-mai). Ils seront disponibles dans les lieux habituels : BNIC, Chambres d’agriculture, Syndicats.