« Le Paysan Vigneron » – Vous avez souhaité vous exprimer au sujet de votre canton de Montguyon, représentatif du sud Charente-Maritime. Pourquoi ?
Jean-Marie Moreau – Je ne vous cache pas que je suis très inquiet et même plus qu’inquiet au sujet de cette région. Si rien n’est fait pour inverser le cours des choses, je crains une désertification à outrance. Il ne faudrait pas que soit franchi le point de non-retour. Le phénomène avait déjà commencé dans les années 80, avec l’arrêt des petites exploitations des pluriprofessionnels. Ces gens-là ne possédaient plus la fibre agricole pour exploiter la terre du grand-père. Le mouvement s’est poursuivi avec les petits propriétaires polyculteurs vivant de quelques hectares de vignes et de quelques vaches. La disparition de ces exploitations a déjà ouvert une brèche dans le tissu local. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où les grandes exploitations sont touchées. Quand je dis grandes exploitations, il s’agit d’unités de 15 à 25 ha de vignes ou 70 ha de céréales remembrées ou encore un élevage de 100 vaches… Eh bien aucun jeune ne s’installe sur ces exploitations, mais ce qui s’appelle aucun. Et je me place d’ailleurs dans le lot. Mon fils, œnologue, ne reprendra pas l’exploitation alors qu’elle compte 22 ha de vignes et qu’on y commercialise depuis 30 ans Pineau et Cognac. Il ne veut pas « tirer la ficelle » jusqu’à la retraite. Un autre drame affecte la région. Les terres ne sont plus achetées et personne ne veut des vignes. En l’absence d’installation, même l’agrandissement est en panne. Reprendre des terres pour qui ? Les gens se demandent quoi faire de leur foncier et comment ils vont pouvoir prendre leur retraite. Le patrimoine se dévalue à vitesse V. Bientôt il vaudra zéro. Cette situation, « on n’en voit pas le bout ». C’est le tissu économique, c’est la vie d’une région qui se délitent.
« L.P.V. » – Existe-t-il des solutions ?
« L.P.V. » – Quel rôle jouait la vigne dans votre région ?
J.-M.M. – La vigne était la production dont les gens se servaient pour investir. Les céréales, les vaches constituaient des recettes de poches. Par contre, les revenus tirés du vin allaient à l’achat d’équipements. Aujourd’hui, non seulement la vigne ne permet plus d’investir mais encore elle arrive à coûter.
« L.P.V. » – Comment se comporte le commerce de Cognac ici ?
J.-M.M. – Je ne voudrais pas faire d’amalgame mais on a un peu l’impression qu’il parle à des gens qui ont l’habitude de courber l’échine. Cependant, à force de courber l’échine, il arrive que les personnes craquent et c’est pour cela que les jeunes ne veulent plus rester. La crise a démarré ici il y a 20 ans, dans les années 1982 et s’est notamment traduite par une hémorragie de nos distilleries professionnelles. De huit, elles sont passées à deux. Dans les crises, c’est toujours la périphérie qui est laissée pour compte la première, au bénéfice d’un recentrage vers le cœur de la région. Les crus centraux ont ressenti la crise plus tard, vers 1995-1998 et, à l’époque, ils ne se rendaient pas compte combien nous pouvions souffrir. Mais à se serrer la ceinture, à un moment il manque un cran.
« L.P.V. » – Un frémissement se manifeste-t-il sur le second marché ?
« L.P.V. » – Est-ce que le débouché vin de table peut constituer une alternative pour la région ?
J.-M.M. – Bien sûr mais on ne peut pas bâtir une stratégie d’entreprise sur le seul débouché vin de table. Aujourd’hui, les prix montent un peu – ils atteindront peut-être 23 ou 25 F le °hl – mais demain qui dit qu’ils ne redescendront pas à 17,50 F le °hl comme il y a deux ou trois ans. Personne ne peut se permettre de parier sur un unique « cheval », surtout dans nos régions. C’est d’ailleurs un des dangers que je vois dans le principe d’affectation figurant dans le Plan d’avenir viticole. Ici, nous avons l’habitude – et la nécessité – de jouer avec les différences de prix. Quand l’équation volume/prix s’avère plus intéressante pour le Cognac, nous allons vers le Cognac et quand la balance penche en faveur des vins de table, nous allons vers les vins de table. Demain, une fois l’affectation en place, cette « opportunité » nous sera interdite ou alors au rendement de l’affectation initiale. Pour fonctionner, le système devra vraiment s’appuyer sur une contractualisation solide et non sur des contrats unilatéraux, comme nous en avons trop connus.
« L.P.V. » – Les rendements différenciés sur les ha autres que Cognac pourraient représenter une chance pour la région.
J.-M.M. – C’est de la poudre aux yeux. Vous en connaissez beaucoup de vignes qui pourront produire régulièrement 180 hl/ha.
« L.P.V. » – Plus généralement, que vous inspire le Plan d’avenir viticole soutenu par le SGV Cognac ?
J.-M.M. – Je pense que l’orientation INAO pour le vignoble Cognac correspond à une incontestable logique mais la vigilance s’impose avant d’y passer. Quand j’entends dire « qu’il faut faire confiance au bon sens des viticulteurs » pour l’affectation de leurs vignes aux différents débouchés, je m’inquiète un peu. A faire trop confiance, on risque d’être déçu, gravement. L’INAO, oui mais pas à 78 000 ha, ce n’est pas concevable. Que l’on pré-affecte, comme le propose la FVC, 20 % du vignoble à d’au-tres destinations que le Cognac ou que l’on recoure à un autre système, de toute façon on ne peut pas passer à l’INAO avec une telle surface de vignes. Ce serait se mettre la tête dans le sac et courir à la catastrophe. Tout le monde le sait d’ailleurs. Imaginons que la plupart des vignes soient affectées au Cognac. Il faudrait revenir aux 6 de pur ha et là, ce serait le tollé général. Pour réduire la surface, il convient de négliger aucune piste. Ce sera forcément l’addition de petites solutions. Certes, il peut y avoir de l’arrachage mais ce n’est pas le but. Il est également possible d’envisager des quotas d’exploitation qui permettraient aux gens de produire 8 de pur au Cognac sur certaines surfaces et d’affecter d’autres parcelles à des destinations différentes. Pour cela, il faudrait dégager un consensus syndical mais, à assister à certaines réunions, j’ai plutôt l’impression que chacun cherche à défendre son secteur plutôt que de se battre pour l’intérêt général de la région. Quand le Syndicat général des vignerons a été créé, j’ai considéré qu’il s’agissait d’une chance unique pour les Charentes. C’était l’occasion de parler d’une seule voix face au négoce. Cependant, après la fracture consommée par quelques dissidents, on a pu constater une attraction du syndicat vers le cœur des Charentes, comme s’il se laissait entraîner par le chant des sirènes. Le SVC a un peu le sentiment d’avoir été laissé pour compte alors qu’il s’agit d’un syndicat suffisamment puissant pour être écouté. Je ne dis pas « adulé » mais écouté. D’ailleurs, des gens ne se sentent plus en accord avec le SGV et souhaitent démissionner. Sur le niveau de QNV Cognac par exemple, je considère personnellement qu’il aurait été plus judicieux d’en rester cette année à 6,5 hl AP. Pour la bonne et simple raison qu’un marché en état de supporter une hausse volumique ne nourrit pas des prix à la casse. C’est vieux comme le monde. Or le second marché n’a pas disparu me semble-t-il. Ce que l’on n’aurait pas distillé en jeunes comptes aurait très bien pu être prélevé en comptes 2 ou 4. En distillant trop, ne risque-t-on pas de réalimenter les vieux comptes et empêcher cette masse énorme de diminuer.
« L.P.V. » – Membre du bureau de la SVC, trésorier de la FVC, vous siégez au comité permanent du BNIC.
J.-M.M. – Oui, j’y siège en tant que représentant de l’ensemble de la région. Mais il est bien aussi que quelqu’un puisse parler au nom de ce sud Charente-Maritime marqué par un si fort particularisme. Attention, quand je dis cela, je ne fais pas un complexe. Nous avons une belle région et ça n’est pas parce que nous sommes loin de La Rochelle que nous sommes loin de tout.
« L.P.V. » – A votre avis, que faudrait-il pour que cette région retrouve une dynamique ?
J.-M.M. – Il faut que tout le monde mette la main à la pâte. D’abord les gens eux-mêmes. Qu’ils ne se laissent pas couler. Peut-être avons-nous manquer de réactivité et d’esprit de cohésion pour vouloir nous en sortir ensemble. Mais ce n’est pas un reproche. Je pense que la difficulté de chacun a plus éloigné que rapproché. On n’a pas envie de montrer ses difficultés. C’est une question de pudeur. Ensuite, il faudrait monter une opération tous azimuts qui fasse boule de neige. J’ai envie de dire à toutes les parties prenantes, politiques, administrations : « cette région meurt, elle a besoin d’un coup de pouce ». Aujourd’hui tout le monde est bien conscient du problème mais chacun lève les bras au ciel – « il faut faire quelque chose » – sans savoir quoi. La communauté de communes de Saintonge n’ignore rien de nos difficultés mais quels moyens a-t-elle toute seule ? Je ne vois pas les gens de Jonzac payer des impôts pour aider ceux de Montguyon. Non, il faut sans doute se mettre autour d’une table et explorer toutes les possibilités de redonner de la confiance aux gens d’ici : CAD, zone franche, OGAF, implication des acteurs économiques, du négoce, de la coopération… Il n’y a pas de petits moyens. Il n’y a que des moyens pour sortir la région de l’isolement qui la guette et redonner de la valeur à ce patrimoine qui le mérite. A l’instar des gens qui y habitent et qui ont droit à de l’espoir.