Le Choix De l’Agrandissement

8 mars 2009

De 30 ha de vignes au départ, l’exploitation frôle aujourd’hui les 100 ha. Pour ce viticulteur, l’agrandissement s’est inscrit dans une démarche programmée, soutenue par quelques idées-forces : ne pas acheter trop cher les ha, ne rien déléguer d’important, tenir les charges en laisse.

« Le Paysan Vigneron » – Comment s’est passé votre agrandissement ?

Je suis parti sur un agrandissement progressif, par achat de petites surfaces, tous les ans où tous les deux ans. J’ai démarré avec 30 ha et j’arrive maintenant, vingt après, à une centaine d’ha.

« L.P.V. » – En propriété ?

Oui, pas de location. Je n’ai rien contre le fermage mais si c’est pour donner 2 hl de pur/ha au propriétaire, autant acheter. Par ailleurs, dans ma situation, je n’obtiendrai jamais l’autorisation d’exploiter. Par contre j’ai toujours recherché les ha rentables. Je n’ai jamais acheté de vignes au-dessus de 100 000 F l’ha. Etant moi-même dans une zone où les vignes ne sont jamais descendues en dessous de 150 000 F, j’ai donc été obligé d’aller les chercher ailleurs, en rapatriant une partie des droits chez moi. Cette solution, outre qu’elle permet de ne pas marcher sur les pieds des voisins, offre également un avantage fiscal, celui d’amortir les frais de replantation. Aux vignes très chères j’ai préféré des vignes amortissables.

« L.P.V. » – De quelle façon avez-vous procédé ?

Je suis souvent passé par la Safer en me positionnant sur toutes les surfaces qui se présentaient. A chaque fois, il y avait demande d’autorisation d’exploiter mais comme il n’existait pratiquement pas de candidats en face, j’ai pu passer le cap du contrôle des structures. Bien entendu, cette technique suppose de respecter ses engagements et surtout de prendre ce que les autres ne veulent pas.

« L.P.V. » – Pour autant, se fait-on que des amis ?

J’entends dire que mon nom revient trop souvent. A cela, je réponds qu’acheter des ha est à la portée de tout le monde. Il suffit de passer chez son notaire, sans oublier surtout son banquier. Pour ma part, tous mes achats sont financés par emprunts, en privilégiant les taux courts. J’achète avec des prêts sur cinq-sept ans maximum.

« L.P.V. » – Vous avez l’appui des banques ?

Oui, j’ai toujours été suivi par les banques. Je possède une bonne comptabilité car j’ai toujours su gérer. Je bénéficie d’un accès au Cognac, je fais des rendements réguliers et j’ai toujours cherché à avoir les prix de revient minimum, en pesant notamment sur la main-d’œuvre. Nous réalisons par nous-mêmes le maximum de travaux. La plantation, par exemple, est totalement prise en charge ici, des plants jusqu’au piquetage. J’achète des douelles pour réparer mes barriques, je fais partie d’un groupement d’employeurs pour tout ce qui concerne l’entretien des bâtiments. Si c’était possible j’aimerais bien partager un mécanicien à plusieurs. J’essaie de « brider » les charges en coupant toutes les chaînes.

« L.P.V. » – Qu’est-ce qui vous pousse à vous agrandir ?

Lors de mon installation, je m’étais fixé l’objectif d’atteindre 100 ha de vignes. J’y suis presque arrivé. Une vie est faite de plusieurs étapes : de 20 à 30 ans on se cherche, de 30 à 35, on commence à réfléchir et de 35 à 40 ans, il faut y aller, carrément.

« L.P.V. » – Vos motivations sont de quel ordre ?

L’ambition personnelle compte sans doute pour une part mais je suis sincèrement persuadé que le marché du Cognac n’évoluera pas par les prix. Il faut donc gérer en prévision d’obtenir le prix de revient le plus bas et donc augmenter le nombre d’ha pour dégager un revenu. Je considère aussi les vignes comme un placement immobilier. D’ailleurs, ma femme et moi, nous commençons à nous intéresser à l’immobilier locatif, comme beaucoup d’agriculteurs.

« L.P.V. » – Y a-t-il quelque chose que vous regrettiez dans votre parcours ?

Oui, le regard de mes voisins. Finalement, on grandit et l’on s’aperçoit que les gens ne portent plus le même regard sur vous. J’habite dans une petite commune. Je ne me sens pas exclu mais je ne m’intègre plus comme avant. C’est dommage car c’était important pour moi. Maintenant, je me dis que « les gros et les petits, ça a toujours existé », que nos biens ne sont pas descendus du ciel. Je garde en mémoire
l’image de mon père, parti de rien. Lui, il a foncé, pendant que les trois quarts de ses voisins stagnaient ou disparaissaient. Restent la jalousie, l’envie. Vous achetez un tracteur, pas de problème. Mais vous changez de voiture et alors là !

« L.P.V. » – Quelle est l’attitude du négoce à votre égard ?

Je dirais qu’il me suit partiellement et non sur la totalité. Je comprends qu’il ne veuille pas que cela soit dit que telle personne s’agrandit parce qu’elle vend bien à telle maison. Par exemple, ce n’est pas la peine d’aller le démarcher pour vendre de l’eau-de-vie en vue d’acheter des vignes. De ma part, il ne veut pas entendre ce refrain-là. C’est un peu normal.

« L.P.V. » – Une grosse exploitation viticole intéresse-t-elle le négoce ?

Je ne vais pas vous dire le contraire. Le négoce préférera toujours faire des camions complets. Cependant je pense que nous ne les intéressons que parce que c’est bon. Le jour où nous ne ferions plus de produits corrects, nous les intéresserions sans doute beaucoup moins. Des structures comme la mienne n’ont plus vraiment droit à l’erreur. Je ne vous dis pas les conséquences d’une gamelle. Nous avons intérêt à faire bon. C’est pour cela que j’essaie de mettre le maximum d’atouts de mon côté en respectant toutes les grandes lignes de la qualité, tant au niveau du vignoble que du chai ou du stock. Je m’efforce de faire évoluer tous les paramètres de concert, le matériel, le renouvellement des vignes, les fûts…

« L.P.V. » – Face au négoce, vous sentez-vous plus fort ou plus faible aujourd’hui ?

Je suis homme à rester sur mes gardes. Si un jour je n’avais plus accès au marché du Cognac, en bridant tout, je crois que je pourrais passer. Peut-être pas en vendant l’ensemble de ma production aux vins de consommation mais en tirant sur la corde, en mécanisant davantage… Quand on achète des vignes à 70, 80 ou 100 000 F l’ha, il existe toujours une porte de sortie. Au pire, on peut toucher la prime d’arrachage. En vendant mal, on s’en sort malgré tout. Le raisonnement serait différent avec des vignes à 170 000 F l’ha, même si « elles vous touchent ». Il faut sortir de cette mentalité qui consiste à dire : « ça me touche, j’achète ». Votre comptable vous le dira ! Pour la santé des finances, il vaut mieux consentir à faire un pas au-delà de son périmètre.

Certes mais si l’on ne peut pas rapatrier tous les droits, il faut changer sa manière d’exploiter.

Dans mon cas, je possède trois sites d’exploitation, distants de 30 km les uns des autres. Je vinifie tout au siège de l’exploitation principale, en transportant la vendange. Il est clair que cela nécessite de changer son organisation de travail. Je ne vous cacherai pas que, petit à petit, j’essaie de rapprocher les parcelles par le biais d’échanges via la Safer, en profitant de toutes les opportunités qui se présentent.

« L.P.V. » – Comment conduisez-vous votre vignoble ?

Avant, mes vignes étaient bien faites. Aujourd’hui elles sont faites. Je n’ai subi aucune incidence de rendement. Je me tiens toujours à 120 h/ha, y compris lors de la dernière récolte. Mais disons que ma méthode a changé. Je ne peux plus me permettre de faire du travail « de patron », comme par exemple d’entreplanter. Maintenant, il faut gérer le travail des ouvriers, c’est-à-dire standardiser les tâches, les simplifier, faire preuve de plus de systématisme. Ainsi, l’entreplantation représenterait chez moi l’équivalent d’un ou deux ha par an. Je trouve plus simple de renouveler davantage le vignoble.

« L.P.V. » – Pour vous, l’augmentation de surface se traduit-elle par plus de travail ?

Oui, par beaucoup plus de travail et notamment de travail administratif. C’est plus de courrier, plus de factures, plus de déclaration de main-d’œuvre, plus d’embauches, plus de débauches, plus de feuilles de paie, plus d’appros., plus de tout. Je dispose de moins de temps libre, je prends moins de vacances. Finalement, je ne vis pas mieux qu’avant et je n’ai pas plus de revenu avec 90 ha et de gros emprunts qu’avec 30 ha à moi. Par contre, j’aurai un capital, un acquis. Par ailleurs, soyons honnête, le but, avec une grosse surface, ne consiste pas à multiplier les pertes. « Il en reste », à condition, encore une fois, d’acheter les vignes aux alentours de 100 000 F l’ha. Aujourd’hui, ma femme et moi, on ne se plaint pas.

« L.P.V. » – Allez-vous encore dans les vignes ?

Oui, même si je n’y travaille plus physiquement. Mais tout passe par moi. Je ne délègue rien. J’ai du personnel mais aucun ne prend de responsabilité. Quand un salarié va désherber, c’est que je l’ai prévu et que je lui aurai préparé la tâche. J’aime ce travail d’organisation, je le préfère à celui d’aller tailler tous les jours avec les salariés.

« L.P.V. » – Ne vous sentez-vous pas isolé ?

Au contraire. Je me sens bien tout seul. Dans mon entreprise, c’est moi le patron. Je ne m’appuie sur aucun support technique, ni technicien de Chambre ni technicien de coopérative. Je gère en solo. A la vigne comme au chai tout passe par moi. Je suis par exemple seul à faire les contrôles de températures, le levurage. D’ailleurs, si je devais retourner en arrière, ce serait pour être tout seul. Car supporter un gars ou quatre, c’est à peu près la même chose.

« L.P.V. » – Comment gérez-vous le matériel ?

Jusqu’à 50 ha, on ne change pas vraiment de dimension. Au-delà, il faut multiplier le matériel, tout simplement, en jouant moins sur sa taille que sur son nombre. Chez moi, le matériel a toujours été suivi. Il ne s’agit pas d’être suréquipé mais d’être toujours bien équipé. Si demain je devais être à la tête de 150 ha, je m’en sentirais capable. Le plus dur à gérer, ce n’est pas le matériel mais le personnel. On n’en trouve plus. Comme il y a moins de fils d’agriculteurs qui travaillent la terre, ipso facto les salariés se font plus rares. Et ceux que l’on trouve sont débauchés par le bordelais pour 1 000 F de plus. Quant à donner 20 000 F par mois à un régisseur, je préfère les mettre dans ma poche. Ah ! si je pouvais faire 100 ha de vignes comme 100 ha de céréales ! Mais ce n’est pas possible. Les rendements décrocheraient vite.

« L.P.V. » – Combien de salariés avez-vous ?

Là où une exploitation classique en Charentes emploierait six ouvriers permanents et un régisseur, je fonctionne avec trois permanents et du personnel temporaire. Je fais aussi réaliser des prestations de taille à prix faits, qui ne coûtent pas plus cher qu’un permanent. Je peux le prouver, chiffres à l’appui car je contrôle de très près les coûts de la main-d’œuvre. Pour chacun des salariés, je suis capable de donner les temps de travaux, à l’heure et au pied près. A mon sens, cette surveillance est très importante. L’économie réalisée sur les charges de personnel me permet de rembourser les achats de vignes et d’avoir un petit train de vie.

« L.P.V. » – Que pensez-vous de la vente directe ?

Je ne me sens pas particulièrement attiré par le commerce. Avec la structure que j’ai, si je devais faire de la bouteille, ce serait à l’export. S’il faut attendre le client qui vous sifflera une bouteille de Pineau pour en acheter deux ! De toute façon, qui dit commerce dit absence et quand le chat n’est pas là, les souris dansent. Bien gérer une grosse exploitation signifie d’être présent. Surtout si l’on veut sortir du revenu en diminuant les charges, ce qui me semble la voie à suivre dans cette région aujourd’hui. Par ailleurs, si un de mes enfants revenait sur l’exploitation, je devrais être capable de lui donner 12 000 F par mois.

« L.P.V. » – Quels sont vos projets d’avenir ?

Maintenant que je suis en passe d’atteindre la cible que je m’étais fixée, les 100 ha, j’attends de savoir ce que vont faire mes enfants. De toute façon, je ne veux plus avoir d’emprunts au-delà de 55 ans, sachant que j’aurais remboursé mes dernières échéances à cette époque. La reprise par un des enfants ne pourra se faire que s’il le souhaite et que s’il a envie « d’être dedans », à fond. Le but n’est pas de voir régresser l’exploitation. Et puis autant je suis un amoureux de mes vignes, autant je me sens, par certains côtés, un financier. Je n’aurai pas trop de mal à envisager de tout vendre pour mettre mes enfants sur orbites.

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