Les héritiers, les galériens et les autres

26 février 2009

A chaque stage, c’est toujours la même chose. Ils arrivent avec leurs tempéraments, leurs projets, leurs histoires. Il y a les fils à papa, pour qui la voie semble toute tracée, de moins chanceux, qui savent que la marche sera plus rude à gravir, les atypiques, forcément ailleurs. Et puis les groupes se lézardent. Sous le coup de micro-fractures, de micro-réussites, la jeunesse dorée semble moins dorée, les besogneux relèvent la tête et les rêveurs s’avèrent parfois de vrais réalistes. Vous avez dit certitudes.

Les héritiers

Jean-Jacques – Jean-Jacques est fils unique, forcément. Papa et maman possèdent une grosse exploitation, 200 ha de terres et une vingtaine d’ha de vignes. Le fiston est allé faire un BTS commercialisation vins et spiritueux à Mâcon, histoire de découvrir une réalité différente. Lui, il n’y a que la vente qui l’intéresse. Il laisserait volontiers la production à d’autres. Côté production pourtant, ses parents ne laissent rien passer. Ils sont très diversifiés, ils empilent les sociétés.

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« Pas facile de trouver sa juste place dans une exploitation qui tourne sans vous. »

Côté commercialisation, ils ne se débrouillent pas mal non plus. Ils pratiquent la vente directe depuis plus de quinze ans, avec succès. Le fils se verrait bien reprendre l’activité de commercialisation, avec un aller-retour de l’exploitation de son père à la sienne. « Tout dépend où l’on veut faire sortir les bénéfices » énonce-t-il froidement. Il a choisi de s’installer à titre individuel, « pour des raisons fiscales » dit-il. Dans sa tête, il s’agit clairement d’une installation croupion, greffée sur la structure parentale. Avec la franchise un peu brutale de celui qui n’a jamais vraiment trouvé d’obstacles devant lui, il déclare qu’il va tenter de tordre les chiffres de l’EPI, afin de faire tomber les aides dans sa poche. « C’est bien cela que tout le monde cherche, non ! » Et puis, chemin faisant, il évolue. Son problème à lui, c’est de prendre conscience de sa propre dépendance et d’essayer d’en sortir ; trouver sa juste place dans une structure familiale qui tourne déjà très bien sans lui. Finalement, il s’installera en société. Parce que la structure sociétaire colle bien à son vrai projet d’association avec ses parents. Parce qu’elle permet aussi de changer le rapport de force père/fils, qu’elle aide à devenir égalitaire avec le père. Plus modeste tout d’un coup, Jean-Jacques avoue que son projet à encore besoin d’être affiné.

Martial – Chez Martial, tout semble réglé comme papier à musique. Son « plan de carrière » est déjà tout tracé. Il rejoint ses parents dans une société existante, une EARL, qui va se transformer en GAEC. Il reprend une exploitation voisine de 40 ha, ce qui porte d’un coup son quota laitier de 400 000 à 900 000 litres. Dans la foulée, il embauche le voisin cédant comme salarié, au terme d’une stratégie décrite comme « gagnante/gagnante ». « Il sera plus heureux comme salarié à 35 heures que comme chef d’entreprise. » Dont acte. La mise aux normes a été réalisée en 2000, la salle de traite rénovée il y a un an. Au prix d’un fort endettement – plus de 400 000 € – il va très vite racheter 50 % du capital social de l’exploitation. Les prévisions financières le lui permettent. Comme elles lui permettent d’envisager l’achat d’une vingtaine de vaches pour produire tout de suite, dès la première année. Il faut assurer le « mois de lait ». Tout roule pour Martial. Pourtant Martial n’a pas pu faire son stage 6 mois. Pour quelle raison ? Son père, malade, était en grave dépression. D’emblée, le présent de Martial devient beaucoup plus flou. Que se passe-t-il lorsque le corps flanche ?

Les galériens

Patrick – Patrick va s’installer sur une petite structure : 70 ha de terres dont 20 ha de prairies sans DPU. En vignes, les chiffres ne sont guère plus avantageux. L’exploitation frise les 10 ha sans y parvenir. Elle bute à 9,5 ha. Du coup, les habitudes d’achat d’un négociant viennent de passer à la trappe. « D’après eux, nous étions en sursis depuis deux ans. » Patrick voudrait bien se porter acquéreur de quelques ha de vignes en passe de se libérer à proximité. Mais les voisins font monter les enchères. « On parle de 18 ou 20 millions l’ha et ils sont déjà quatre dessus ! » Il ne désespère pas de décrocher un « bout de contrat » chez un autre négociant avec qui il travaille déjà. Patrick possède l’optimisme des gens simples. Son sentiment de sécurité ? Il le trouve dans sa capacité d’adaptation, jamais prise en défaut. Jusqu’à présent aide familial chez ses parents, il fait depuis dix ans l’entreprise de vendange et de taille. Durant quatre mois de l’année, il taille tous les jours. « J’ai une clientèle qui me suit. Je ne suis jamais en rupture de boulot. » Il sait que « travailler pour les autres » lui assurera toujours un revenu. Pour tailler ses 9 ha de vignes, il « bloque » une semaine avec son père. « On en met un coup. Ce n’est jamais trop de bonne heure mais on arrive à faire chevaucher tout. » Son père arrive en préretraite mais sa mère, plus jeune, a encore dix ans d’activité devant elle. Pour que « ça passe au niveau des chiffres », elle va travailler sans être payée. Une sorte de sacrifice pour permettre l’installation du fils. L’oncle qui possède des terres va lui céder à bon compte. Solidarité familiale plus pluriactivité feront que cette petite structure qui aurait très bien pu partir à l’agrandissement résistera encore. Mais Patrick sait très bien qu’il ne doit pas s’écarter. « Je suis sur la ligne rouge. Je ne ferais pas de miracles. » Par contre, le danger de se disperser en s’occupant moins de l’exploitation, il ne l’entend pas. Sa cohérence à lui, elle se trouve justement dans cette juxtaposition d’activités. C’est sa force et son moteur.

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« Mon père est de la vieille école. »

Julien – Une situation familiale un peu inextricable, un grand-père qui possède les terres, un oncle qui les exploite, lui qui reprend… Un rude chantier attend Julien. Il va d’abord lui falloir régler des problèmes patrimoniaux et personnels – « en évitant de me faire plumer au passage » – avant de s’attaquer à la phase technique. L’exploitation dispose d’un gros potentiel mais a longtemps été laissée en jachère. De gros travaux de rénovation s’imposent. De ce fait, la structure est « limite viable ». Julien est prévenu : il sera smicard pendant trois ou quatre ans. Après, théoriquement, cela devrait s’arranger. Pour redresser la barre, Julien a dû se lancer à corps perdu dans le travail. « A 25 ans, j’ai déjà des problèmes d’arthrose. Je vais éviter de mener ce régime pendant 30 ans. » Mais pour l’heure, il sait qu’il n’a pas le choix. Il doit construire son outil de travail. « Dans un premier temps, je n’aurai pas beaucoup de loisirs. Cela tombe bien, je suis seul. Je n’ai personne à protéger. » Ainsi s’exprime Julien, battant sombre et romantique. Bon courage !

Michel – Le projet de Michel ? S’installer en hors cadre familial par achat d’une exploitation de 60 ha de terres sur laquelle il travaille déjà comme ouvrier. Les chiffres extraits de son EPI sont les suivants : Total endettement : 303 000 € – Taux d’endettement : 93 % – Revenu disponible : 1 258 € – Solde de trésorerie : – 495 € – Chiffre d’affaires : 70 000 € -EBE : 42 % – Prélèvements privés : 5 000 € – Capacité de remboursement : – 3 820 €. Commentaire : « Si tu ne bouges pas, ce n’est même pas la peine de présenter ton projet à la banque. »

Gaétan – Comment se fait-il que l’exploitation laitière ne « crache pas » ? Les charges sont trop élevées – engrais, aliments du bétail – et la production trop faible. Manifestement, le père de Gaétan n’a pas suivi l’évolution technique. Malgré ses 52 ans, il est de la vieille école. A la notion de rentabilité, il préfère celle d’agrandissement. En témoignent de lourds emprunts fonciers. Gaétan a fait des stages, qui lui ont montré les lacunes techniques de l’exploitation familiale. « Malgré tout, il y a du boulot pour deux » dit-il. Il sait aussi que s’il ne revient pas sur l’exploitation, son père va en profiter pour se débarrasser des vaches. Or lui, c’est l’activité laitière qui lui plaît. Mais il faut manger derrière, il faut vivre. Gaétan est inquiet, rempli de doutes. Il ne sait pas quoi décider.

Les autres

Jérôme – Jérôme était cadre dans le BTP, niveau ingénieur. Un jour, il en a eu assez. « Cela ne se passait pas trop bien dans mon boulot. » Direction le vignoble charentais, pour une reprise hors cadre familial. A la fois par idéalisme et par lucidité, il souhaitait travailler en cave coopérative. « Tu as une force de groupe, une sécurité et puis je ne me sentais pas capable de gérer seul la vinification. Je n’ai ni les compétences ni l’argent nécessaire. » Une coopérative vinicole en mal de renouvellement le met en relation avec un propriétaire. A priori, ce dernier n’est pas tout à fait prêt à lever le pied. Pourtant il se laisse convaincre. « Oui mais à condition de vendre toute l’exploitation. » Jérôme ne l’entend pas de cette oreille. Il négocie serré. Sa passion toute neuve pour le vin ne lui fait pas perdre le sens des réalités. Il obtient gain de cause : il acquiert une petite partie des vignes, loue le reste avec promesse d’achat à terme. Décidément convaincant, il obtient du propriétaire qu’il lui mette le matériel à disposition. Et résiste à son appel du pied pour une mise en société. « Au départ, mon cédant ne voulait entendre parler que d’un cadre sociétaire. Tout ce qui risquait d’arriver, c’est que je valorise la société et que je ne retrouve pas mes billes. » Entre-temps, il a fait son stage 6 mois chez le propriétaire et le courant est passé entre les deux hommes, celui au seuil de la retraite et le plus jeune, venant d’un autre univers. Le « tuilage » est rentré dans une phase opérationnelle. Les relations sont devenues plus amicales, sans se départir d’un petit côté rugueux. On se dit les choses, franchement. Même si, à l’évidence, Jérôme cherche à se fondre dans la masse, il détonne, forcément. Ses convictions coopératives, exprimées sans réserve – d’aucuns diront avec une certaine dose de naïveté – suscitent plus d’un sourire en coin. Mais quand il dit très sérieusement que, lui, il veut arriver à 20 ha de vignes ou qu’il faut « choper le roulement », on le croit sur facture. Il est des nôtres !

Eric – Eric n’a pas de ces réflexes patrimoniaux. Il assume sa différence. Musicien à ses heures, plasticien quand bon lui chante, son projet serait de produire et de vendre des fruits frais, des légumes et des plantes aromatiques en périphérie de ville. Il possède déjà le lopin de terre d’un ha. Il investirait « à la louche » 20 à 30 000 € dans le bâtiment et peut-être pousserait-il jusqu’à élaborer des confitures. En attendant, il se forme, se renseigne et continue d’être un peu chômeur, un peu intermittent du spectacle. Il ne demande pas d’aide, il a dépassé l’âge. Il se contente de rêver à la rencontre de la culture et de l’agriculture. Un poncif peut-être mais aussi une belle idée.

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