Sébastien Dathané : L’entreprise du cyber curieux

23 janvier 2012

Jusqu’en octobre dernier, il est à la tête du CIDS, le Centre international des spiritueux de Segonzac. Il fut le webmaster de la Spirit’espress, la newsletter des eaux-de-vie et boissons spiritueuses. Aujourd’hui, Sébastien Dathané tourne la page et crée sa propre entreprise de conseil en veille d’informations. Il s’agit d’aider les PME à mieux connaître leur environnement, pour mieux en saisir les opportunités stratégiques.

 

 

Traquer l’information judicieuse a toujours constitué son horizon et son moteur. Quand il était animateur de la FSVC, la Fédération des syndicats viticoles de crus, Sébastien Dathané cherchait déjà à procurer aux syndicalistes la petite avance stratégique qui leur permettrait de réagir plus vite et de façon plus pertinente sur les dossiers. Puis, en 2001, il participa à la création du CIEDV, le Centre des eaux-de-vie de Segonzac, et là, il eut tout loisir d’affûter ses outils. La collecte de l’information constituait le pain quotidien du Centre avec ses deux newsletters, la Spirit’espress, lien quotidien à l’actualité du net et la Spirit’hebdo, la revue de presse hebdomadaire adressée aux abonnés. En octobre dernier, Sébastien Dathané a décidé de s’extraire de son quotidien devenu forcément un peu routinier pour se lancer un nouveau défi : créer sa propre société de consultant en informations. « J’avais pas mal donné au Centre et je souhaitais entreprendre autre chose. » Autre chose mais tout en restant dans sa sphère de compétence, la collecte et le traitement de l’information.

p38.jpgS. Dathané fait un constat. Les PME, les petites et moyennes entreprises, accusent souvent un déficit de connaissances de leur milieu. Comment évolue mon univers ? Quels sont mes nouveaux concurrents, mes nouveaux clients ? Où trouver des idées neuves, des marges de progrès ? La tête « plongée dans le guidon », les sociétés n’ont pas souvent le loisir de regarder autour d’elles. Ou, si elles le font, elles hésitent à sortir « de leur zone de confort ». « Quand les gens lisent, on s’aperçoit qu’ils lisent souvent ce qu’ils connaissent déjà. Les idées neuves, il faut aller les chercher hors de son domaine. » Tous secteurs d’activité confondus – et pas seulement dans la sphère des spiritueux – Sébastien Dathané se propose d’accompagner les entreprises dans leurs recherches d’informations stratégiques. Les aider à piloter leurs décisions, grâce à de l’infomation de qualité. Et pour cela la toile – qu’il connaît bien pour l’avoir beaucoup pratiquée – représente une alliée précieuse. A condition de savoir où et comment pointer son regard. S. Dathané parle du « web invisible », la partie cachée du web qui ne passe pas par Google. Quant à Google justement, il ne représenterait que « le sommet de l’iceberg, celui qui ne recouvre que 15 ou 20 % de l’information disponible ». « Ce n’est pas en tapant bêtement un mot que l’on peut espérer tomber sur une pépite. Avec certaines techniques, et tout en restant dans la légalité, il est possible d’avoir accès à des choses étonnantes. » Mais l’information, il ne suffit pas de la dénicher, encore faut-il la rendre digestible. C’est toute la question de la hiérarchisation des données. Car comme l’impôt, trop d’information tue l’information. Une compilation de données risquera de rester lettre morte. Un tableau de bord identifiant huit ou dix informations potentiellement stratégiques sera beaucoup plus percutant. Encore faut-il les faire transiter par le bon tuyau, les envoyer aux bonnes personnes,
celles qui sauront quoi en faire. C’est tout l’aspect du facteur humain, du management d’entreprise, indissociable de l’intelligence informationnelle. Sébastien Dathané parle ainsi d’une « logique de changement » à introduire dans certaines entreprises, afin d’ouvrir la curiosité des collaborateurs, les mettre en éveil. Dans un autre contexte, l’ancien webmaster décrit ces « rapports d’étonnement » que des chauffeurs-livreurs sont capables de restituer à leur propre société. A l’occasion des livraisons, ils ont le réflexe – ou la culture – de faire partager à leur staff les changements constatés chez leurs clients. C’est cet état d’alerte permanent qu’il convient de mettre en place et d’organiser.

On l’aura compris. Le nouveau métier de Sébastien Dathané comporte une bonne dose d’audit préalable et de formation interne des collaborateurs. « Il faut se mettre à l’écoute des entreprises, étudier leurs besoins, comprendre l’articulation entre les différents services. Et s’adapter à chaque demande. » Toutes choses qu’un esprit curieux comme celui de S. Dathané fait naturellement. Il se donne deux ans pour percer dans sa nouvelle activité. Ses réseaux lui ont déjà permis de contacter quelques clients. Plus que sur le démarchage commercial, il compte sur le bouche à oreille et les conférences qu’il va donner pour lancer son entreprise. Une tâche peut-être moins facile qu’il n’y paraît. Car si l’information irrigue la société, « acheter de l’information » n’est pas encore totalement rentré dans les mœurs des entreprises. Dans ce domaine, tout le monde se sent plus ou moins un démiurge. La lucidité commente d’admettre le contraire.

 

L’extension du Centre international des spiritueux inaugurée en novembre 2010 à Segonzac dispose d’un équipement assez novateur : une cabine de pack- shot. Le packshot concerne la photographie d’objets. L’objet est « shooté » sur un fond neutre, de façon statique ou en mouvement (en 3 D, à 360°). A Segonzac, la cabine de packshot se présente un peu comme une cabine de photomaton. L’objet – le plus souvent une bouteille, seule ou dans son écrin – est déposé au centre de la cabine. A l’aide d’un appareil numérique, on le photographie alors sur toutes les coutures. Certes, un studio professionnel propose des images de meilleure qualité mais le prix n’a rien à voir. Quand il faut alimenter un site internet par exemple, cette solution est la bienvenue. Le service « packshot » proposé par le CIDS rencontre un vif intérêt.
Le nouveau bâtiment héberge des bureaux, présente une petite partie de la spirithèque, la collection permanente de bouteilles de spiritueux. Des salles de formation sont également disponibles. Car le Centre des spiritueux accueille par an environ 200 journées de formation.
Les locaux, situés dans la cour de l’Université des eaux-de-vie, ont été rénovés pour un coût total de 400 000 €. Dans le cadre de la seconde tranche du PER (pôle d’excellence rurale) initié par la commune de Segonzac en 2005, il a bénéficié de près de 200 000 € de subventions (Etat, Région, Conseil général). Le solde est couvert par un emprunt de la mairie, que le loyer du CIDS sert à rembourser.

 

 

Regard d’expert : "Bilan d’une décennie plongée dans le monde des spiritueux

On ne reste pas, comme Sébastien Dathané, dix ans les yeux braqués sur un marché sans chercher à en saisir les ressorts les plus profonds. L’ancien directeur du CIDS (Centre international des spiritueux) de Segonzac souligne quelques tendances lourdes : montée des alcools blancs premium, prééminence de l’Asie. Il revient sur la dimension « statutaire » de l’acte d’achat et constate la réussite saisissante des « goldenboys » du Cognac.

p40.jpgDepuis l’émergence d’Internet dans les années 90, nous avons souvent l’impression que tout va beaucoup plus vite. Trop vite sans doute avec une surabondance d’informations et de stimuli sensoriels.

Le secteur des spiritueux n’a pas échappé à cette spirale infernale et a vu émerger de nouvelles tendances.

La plus spectaculaire d’entre elles porte sur la création quasi ex-nihilo de la catégorie des alcools blancs super premium (haut de gamme en version française). Dans l’histoire longue de 300 ans du secteur, nous n’avons sans doute jamais assisté à l’émergence d’une catégorie de manière aussi rapide et durable.

Aujourd’hui dans les bars branchés new-yorkais, malaisiens ou argentins, on observe une totale redistribution des offres à 25-35 dollars. Il y a 15 ans, on ne trouvait dans cette gamme de prix que des cognacs (VSOP) et whisky (12 ans d’âge). Aujourd’hui se rajoutent sur les étagères les dernières marques de vodka, tequila, gin ou liqueur.

Doit-on être choqué ?

Si on se place du côté de la production, il y a de quoi, en particulier quand on doit porter pendant de longues années du stock et du vieillissement et assumer des coûts de futaille, de la main-d’œuvre et d’importants frais financiers. Et soyons tout à fait honnête, aussi qualitative soit-elle et quel que soit son process, une vodka n’attendra jamais les coûts de production d’un alcool brun, peu importe ce que le storytelling/l’histoire que la marque peut bien raconter…

En revanche, si on se place du côté de la consommation, plus un spiritueux sera neutre, plus son potentiel « mixologique » (l’art du cocktail) sera important. Or, 70 % des spiritueux dans le monde sont consommés sous cette forme…

Par ailleurs, il est important de replacer l’alcool dans l’univers du consommateur. D’un aliment – où il est encore perçu dans de nombreux pays – il est devenu dans les pays riches/développés un véritable socle de création de valeur dans un contexte où les relations sociales sont devenues essentielles. L’offre premium actuelle est tout à fait pertinente dans la mesure où l’acte d’achat consiste moins à s’offrir une boisson alcoolisée et plus (voire quasi exclusivement) une reconnaissance sociale, un statut et plus généralement une expérience sensorielle.

Tout cela se place dans un niveau peu rationnel pour le consommateur qui est piloté par des croyances, des habitudes et des émotions.

En clair, le bénéfice recherché par le consommateur est à chercher du côté psychologique, aspect dans lequel la marque joue un rôle majeur, bien supérieur à la catégorie dans laquelle elle s’inscrit.

Cette tendance est si puissante qu’on a pu voir l’émergence d’une marque internationale (Jägermeister) dont rationnellement aucun des attributs de base (goût du produit, packaging, nom, etc.) ne pouvait laisser supposer qu’elle puisse un jour quitter son berceau d’origine.

Cette liqueur au goût très herbacé dont les origines allemandes sont visibles jusque dans la typographie de son nom, est devenue de la boisson symbole de nombreux étudiants et jeunes actifs américains (et ailleurs par diffusion), attirés par l’expérience que procure cette « dégustation » à l’opposé du goût plus neutre communément accepté.

Un exemple qui démontre que l’innovation n’est pas toujours là où on l’attend (dans le produit ou le packaging) et qu’il peut être intéressant de la chercher dans les marchés dont les segmentations vont être de plus en plus fines au fur et à mesure que le consommateur s’habitue à une offre diversifiée.

Difficile de finir ce tour d’horizon sans parler de l’Asie. Le principal moteur de l’économie mondiale représente également – et de loin – le cœur mondial de la production et de la consommation des boissons alcoolisées (bières et spiritueux surtout). Chaque année, que ce soit en Inde ou en Chine, des dizaines de marques produisent chacune isolément l’équivalent de l’ensemble de la Région Délimitée Cognac. Ce qui n’empêche pas le Cognac de jouer les premiers rôles en valeur, en particulier en Chine. Les statistiques sont connues et surprennent depuis plusieurs mois les observateurs de ce marché. Ce qu’on sait moins, c’est que le rythme d’enfer assuré par les principales marques de Cognac n’a pu être suivi par le Scotch Whisky qui, après une première moitié de décennie impressionnante, marque le pas et laisse le Cognac reprendre la main sur un marché ultra stratégique.

C’est sans doute la première fois que les Ecossais perdent du terrain sur un marché et il ne faut en aucun cas s’attendre de leur part que cette situation leur convienne…

L’optimisme régional peut cependant être de rigueur tant les clignotants sont au vert, que ce soit pour le Cognac que pour les autres produits de la Spirit Valley.

Gardons simplement en tête que l’économie mondiale dont dépendent les ventes de spiritueux premium s’appuie sur un fonctionnement totalement systémique. Un pays qui éternue et c’est le monde entier qui peut basculer dans une sévère grippe. La situation de l’Europe est à ce sujet tout à fait symptomatique de cet état de fait.

Face à une situation aussi instable, établir un pronostic sur l’avenir ne présente donc pas grand intérêt.

On peut tout au plus se dire que tôt ou tard, le consommateur va se raccrocher à un peu plus de rationalité et faire le tri entre ce qui est intrinsèquement premium (qualité réelle, histoire, et) et ce qui relève du simple maquillage marketing…

Sébastien Dathané

Bio
Juriste de formation, Charentais d’origine, Sébastien Dathané a 41 ans. Il a passé dix ans à la tête du CIDS (Centre international des spiritueux), d’octobre 2001 à octobre 2011. Auparavant, il était animateur du syndicat viticole FSVC.

 

A lire aussi

L’appel à l’aide de l’US Cognac Rugby

L’appel à l’aide de l’US Cognac Rugby

C'est un constat qui a fait le tour des médias, sportifs ou non: l'US Cognac va très mal. Malgré les efforts de Jean-Charles Vicard pour tenter de redresser la barre, le club se retrouve dans une difficile situation financière.  La direction a de fait décidé d'envoyer...

error: Ce contenu est protégé