Courvoisier, pionnier de l’HACCP

12 mars 2009

Voilà trois ans déjà que la société Courvoisier a lancé la démarche HACCP en amont de l’entreprise, en l’appliquant d’abord aux bouilleurs de profession puis aux bouilleurs de cru et bientôt aux livreurs de vins. La profession emboîte le pas.

photo_359.jpg« Le Paysan Vigneron » – Pourquoi un négociant demande-t-il à ses livreurs de s’engager dans une démarche HACCP ? Est-ce que le respect des guides des bonnes pratiques « filières » du vin et du Cognac n’aurait pas pu suffire ? La volonté d’en rajouter une « couche » ?

Pas du tout. La réglementation demande de mettre en place certaines règles d’hygiène et indique que cette obligation peut être remplie à l’aide d’une méthode, l’HACCP. Le guide des bonnes pratique de la filière vin ou celui de la filière eaux-de-vie renseignent sur les opérations de base à réaliser mais ne disent rien sur les moyens d’apporter la preuve. C’est là où ils sont insuffisants. Le guide dit ce qu’il faut faire mais ne prévoit pas les moyens de le faire savoir. Le point fort de l’HACCP tient à toute la problématique de l’enregistrement et de la gestion de la preuve.

« Le Paysan Vigneron » – Pourquoi la société Courvoisier s’est-elle retrouvée en pointe sur ce dossier ?

Le groupe Allied Domec est très concerné par tout ce qui a trait au respect de la réglementation, à l’adaptation aux contraintes, différentes d’un pays à l’autre. Cette volonté du groupe a été relayée par notre directeur général, Philippe Treutenaere qui en a fait un axe fort. En intra- muros, nous avons été certifiés qualité dès 1995 et l’HACCP a suivi en 1999. Vis-à-vis de nos fournisseurs, le plan de marche a été le suivant : sensibilisation des bouilleurs de profession puis création d’un groupe de travail avec la coopérative ACBC pour coller au ressenti terrain, élaboration des directives et des documents d’enregistrement. Lors de la campagne dernière, nous avons finalisé l’HACCP chez les bouilleurs de profession, nous sommes actuellement en train de franchir cette étape avec les bouilleurs de cru et nous continuons la sensibilisation et la formation des livreurs de vins.

« Le Paysan Vigneron » – A quelle nécessité répond une méthode HACCP ? Vos clients vous réclament-ils se type de procédure ?

L’HACCP est là pour apporter le maximum de garanties à nos clients sur la salubrité de nos produits. On peut très bien imaginer qu’une compagnie aérienne, du jour au lendemain, n’accepte d’embarquer que des produits sous HACCP. Des sociétés de distribution comme Texo ou Sainsburry en Angleterre nous envoient assez régulièrement des questionnaires nous demandant d’attester des règles d’hygiène, en particulier HACCP. Et puis il y a la sensibilisation générale du consommateur pour la sécurité alimentaire.

« Le Paysan Vigneron » – En terme de communication, quel usage pouvez-vous faire de l’HACCP ?

Il est vrai que la communication autour de la santé, de l’assurance qualité s’avère nettement plus facile pour des produits industriels ou de grande consommation que pour un produit de luxe comme le Cognac. Cela ne correspond pas à la première image attendue du produit. Ainsi, l’HACCP ne nous servira pas à être pro actifs vis-à-vis du consommateur, il ne sera pas mis en avant mais nous le garderons en mémoire, pour répondre à toute attente du client.

« Le Paysan Vigneron » – Réglons un problème de définition. A quoi correspond la norme Iso par rapport à l’HACCP ?

L’Iso 9000 est une norme de management de la qualité, qualité entendue au sens large. Si la gestion de l’hygiène fait partie de la qualité, on va au-delà, en englobant les relations clients-fournisseurs. La norme Iso veillera par exemple à ce que l’on ne livre pas une bouteille avec une étiquette tordue. Il est possible de faire de la salubrité sans de la qualité et inversement, de la qualité sans salubrité, encore que…

« Le Paysan Vigneron » – Normalement, la directive hygiène de 1992 et l’arrêté de 1997 qui en découlent ne s’intéressent qu’à la matière transformée. Dans ces conditions, pourquoi inclure, dans les documents d’enregistrement, le calendrier de traitement, qui se situe bien en amont de la transformation, voire même du transport ou de l’entreposage des raisins ?

Que dit la réglementation ? Qu’il convient de mettre en œuvre une matière première réputée saine. C’est pour s’assurer de la salubrité de cette matière première dont nous sommes acquéreurs, mais que nous ne maîtrisons pas, qu’il semblait logique de remonter la filière. Quand on connaît le poids de l’amont dans notre métier, il aurait été dommage de ne pas mettre dans le coup la viticulture, malgré les difficultés « culturelles » que cela engendre. Aujourd’hui, c’est le calendrier de traitement. L’évolution normale voudrait sans doute que demain soit pris en compte l’environnement. Pour toutes ces raisons, l’agriculture raisonnée nous paraît tomber à pic. Elle semble un complément naturel à l’HACCP. En 2001, quand nous avons lancé la démarche HACCP, certains viticulteurs ont d’ailleurs paru étonnés qu’elle n’aille pas au-delà. Mais l’agriculture raisonnée, et les compétences que cela requiert, nous semble relever davantage d’un effet de synergie, d’un mouvement d’ensemble de la région, comme celui qui est en train de s’initier aujourd’hui.

« Le Paysan Vigneron » – Un comité de pilotage travaille sur un référentiel « agriculture raisonnée » adapté à la région.

Oui et nous avons tenu à y participer. A notre avis, l’agriculture raisonnée va devoir s’imposer rapidement dans l’idée des viticulteurs qui souhaitent rester performants. Il serait bien qu’ils s’y engagent, sans aucune pression de notre part pour l’instant. Il n’y aura pas d’écarts ni sur les volumes ni sur les prix. Par contre, il ne serait pas impossible qu’à terme nous recommandions à nos fournisseurs de s’y engager. Ce sera une question de crédibilité. L’agriculture raisonnée participe à la crédibilité générale.

« Le Paysan Vigneron » – Que vous inspire votre rôle de pionnier ?

C’est à la fois intéressant et un peu plus difficile de faire la trace. Ceci étant, nous n’avons pas la prétention de donner de leçon à quiconque. Nous sommes contents d’avoir amené à nous les viticulteurs, de les avoir en quelque sorte « contaminés » et, apparemment, de les avoir convaincus. Certains ont exprimé un certain soulagement. Ils avaient déjà reçu des demandes de ce type, sur des orges de brasserie par exemple, et ne savaient trop comment y répondre. Aujourd’hui, ils disposent d’un outil. Après les crises de la vache folle et autres, les viticulteurs étaient conscients des dangers d’une campagne de déconsidération. « On ne peut pas se permettre le luxe que cela se passe chez nous. » La plus grosse difficulté que nous avons rencontrée fut de dédramatiser le problème de la preuve. L’HACCP permet de prouver que l’on a bien travaillé. Or les gens se sentaient redevables d’une preuve, comme si l’on avait exprimé un doute sur leur capacité à bien faire. Ce n’était pas cela du tout. Nous, en tant que professionnels, nous savions qu’ils travaillaient bien et nous n’avions pas besoin de l’HACCP pour nous en convaincre. Mais si, demain, un acheteur rentre chez un viticulteur, lui ne saura pas apprécier son travail et c’est là que la méthode de la preuve trouvera toute sa pertinence.

« Le Paysan Vigneron » – En quelques mots, comment définiriez-vous la méthode HACCP ?

Pour faire bref, on peut dire que c’est l’analyse des dangers existant sur l’exploitation et l’enregistrement des pratiques. Entendons-nous bien ! Les dangers sont ceux qui visent le consommateur. Les gens pensent toujours aux dangers qui guettent les salariés ou les dangers liés à l’environnement. Nous balayons avec les viticulteurs les différentes étapes d’intervention (vendange, vinification…) qui existent dans leur champ propre, vins et/ou eaux-de-vie. Pour chaque étape sont définis les familles de risques (physique, chimique, biologique) et les niveaux de danger (minimum, maximum). Chaque intervention doit être consignée. Pour ce faire, les livreurs se voient remettre deux types de classeurs. Dans le premier, le chef d’entreprise s’engage par écrit et signe car la démarche HACCP est une démarche personnelle du dirigeant. Ce classeur contient aussi tous les documents relatifs aux différentes étapes. C’est un peu le mode d’emploi de la méthode. Le second classeur sert aux enregistrements. Il est remis quasiment vierge de tout contenu. C’est sur ce document que les viticulteurs effectueront leurs enregistrements, joindront les fiches techniques, et tous les aspects de preuve liés au suivi de vinification, aux incidents éventuels (fuite d’huile, etc.). Cet été, les bouilleurs de cru ont participé à une demi-journée de formation pour s’approprier la méthode et les classeurs. La méthode HACCP introduit un changement et, de ce fait, suscite parfois de grandes inquiétudes. Mais il ne faut pas s’exagérer non plus la portée du changement. Ce n’est tout de même pas le passage du forfait à la comptabilité réelle !

« Le Paysan Vigneron » – Qui dit obligations dit contrôles. Sous quelle forme se traduisent-ils ?

On appelle cela des audits. Ils servent à vérifier que l’analyse des dangers et l’enregistrement des pratiques se traduisent bien dans les faits. C’est nous qui les effectuons car l’HACCP répond à une démarche privée du chef d’entreprise et son audit ne relève donc pas d’une instance officielle comme l’AFAQ. Pour autant, notre propre expérience d’entreprise sous HACCP nous incline à penser que l’audit est indispensable à toute démarche qualité, un peu comme les contrôles scolaires le sont pour l’assimilation des programmes. Les bouilleurs de profession ont déjà été audités par nos soins et nous commençons à faire des audits pédagogiques chez les bouilleurs de cru. Les livreurs de vins seront audités par les distillateurs à qui ils livrent. Par audit pédagogique, il faut entendre un accompagnement suivi d’explications. On n’en tient pas compte pour l’évaluation de nos livreurs.

« Le Paysan Vigneron » – L’HACCP ne signifie-t-il pas un regard plus appuyé du négociant sur l’activité du viticulteur ?

Par le biais de nos œnologues, de nos bouilleurs de profession, nous nous sommes toujours assurés que le vin et l’eau-de-vie correspondaient à nos desiderata. Ces contrôles existaient donc avant. A l’inverse, une plus grande confiance peut naître de l’HACCP et des audits, nous permettant de nous dégager et les viticulteurs de gagner en autonomie.

« Le Paysan Vigneron » – A quel rythme envisagez-vous les audits ?

En intra-muros, nous sommes certifiés Qualité depuis 1995 et nous subissons depuis cette date un audit par an. A l’évidence, ce n’est pas cette fréquence qui s’appliquera aux viticulteurs. Nos contrats se renouvellent par période triennale. Peut-être serait-il bon de coller à ce rythme.

« Le Paysan Vigneron » – Est-ce que l’HACCP engendre des coûts supplémentaires ?

Si le viticulteur a normalement évolué, s’il travaille selon les bonnes pratiques agricoles, on peut dire que la mise en place de l’HACCP se traduit par un coût zéro. C’est simplement de l’organisation, de l’enregistrement pour assurer une traçabilité des opérations effectuées. La méthode ne présume en rien du matériel. On peut aussi bien faire de l’HACCP avec une cuve en béton, une cuve en inox ou une cuve en résine époxy. Par contre, l’HACCP doit normalement mettre en éveil sur l’aspect sanitaire des matériaux employés, l’exigence de certificats de conformité, etc. Mais elle n’engendrera pas de coûts supplémentaires. On ne dira pas la même chose de l’aspect environnemental. Il y aura forcément des investissements à la clé, à réaliser seul ou à plusieurs. On ne peut d’ailleurs qu’encourager les nouveaux installés à intégrer d’ores et déjà les contraintes connues, qu’elles soient relatives à la sécurité du personnel, à l’HACCP, à l’environnement, voire à la qualité globale.

« Le Paysan Vigneron » – Le risque n’est-il pas de laisser au bord de la route des viticulteurs ?

A l’évidence, il existe un point critique en terme de volume comme de surface. L’épicier du coin, possédant trois ha de vignes, n’enfourchera peut-être pas aisément les deux classeurs. Ce n’est peut-être pas non plus le premier que nous irons auditer. Ces viticulteurs nécessiteront une aide et un appui spécifique.

« Le Paysan Vigneron » – L’HACCP ne peut-il pas servir d’alibi pour éliminer des livreurs ?

Ce n’est pas notre intention. Il ne faut voir aucune intention malsaine derrière tout cela. A priori, la méthode HACCP ne nourrit aucun à priori. Quand nous avons commencé à faire nos réunions, nous avons insisté auprès des bouilleurs de cru pour qu’ils viennent avec leurs épouses. Ce sont les femmes qui tiennent souvent la comptabilité, recensent les factures. Elles sont à priori plus sensibilisées à l’hygiène. Parmi elles, nombreuse s’occupent du chai durant les vendanges. Nous pensons qu’une femme sera plus à même de demander le certificat d’alimentarité, celui qui va bien.

« Le Paysan Vigneron » – Avez-vous rencontré de fortes résistances de la part des viticulteurs ?

Philippe Treutenaere le répète souvent. Une des forces de la politique contractuelle est de pouvoir établir ce genre de relations avec les viticulteurs Nous sommes plus crédibles. Quel discours pourrions-nous avoir face à gens qui vendent aujourd’hui mais qui ne savent pas de quoi demain sera fait ? Par contre, le revers de la médaille, c’est que nous travaillons pour nos concurrents car nos livreurs sont rarement exclusifs. Mais ce n’est pas vraiment un problème. Nous avons travaillé de manière très étroite avec la Station viticole, l’encourageant à reprendre ce qui avait été déjà fait, pour gagner du temps. Ce n’est pas la peine de réinventer la roue.

« Le Paysan Vigneron » – Que se passerait-il pour les gens qui ne rentreraient pas dans la méthode HACCP ?

Nous avons toujours fait évoluer nos contrats de manière identique pour tous les viticulteurs d’un même cru, à la hausse comme à la baisse. Si, demain, nous devions revenir à des augmentations d’achat, la progression ne serait pas uniforme à l’ensemble de nos apporteurs. Nous tiendrions compte de la qualité d’approvisionnement et de la capacité à nous fournir le « plus » représenté aujourd’hui par l’HACCP, demain sans doute par l’environnement, la sécurité des conditions de productions…

« Le Paysan Vigneron » – Jusqu’où peut aller la liste ?

Comme déjà dit, la société a été qualifiée Qualité en 1995, Iso 9000 et HACCP en 2000, Santé et Sécurité au travail en 2003. Philippe Treutenaere répète à qui veut l’entendre que rien n’est jamais figé. Ce n’est pas une volonté de notre part mais une demande du marché et un respect des règles en vigueur. Le groupe Allied-Domec est très attaché à cet aspect.

Traçabilité Fiches d’Enregistrement

Le classeu du BNIC

photo_3511.jpgLa Station viticole du BNIC met la dernière main à un modèle de fiches d’enregistrement. Réunies dans un classeur, ces fiches d’enregistrement, et les explications qui vont avec, ont pour objectif de mettre à disposition des viticulteurs un document simple leur permettant de remplir leurs principales obligations en matière de traçabilité.

photo_3511_1.jpgApprouvées par le Comité permanent du BNIC, ces fiches seront compatibles avec les documents déjà élaborés par les maisons. Les documents seront remis gratuitement aux personnes intéressées, à condition d’en faire la demande. La mise à disposition est prévue fin juin ou début septembre.

 

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