Soutien au développement : Une action solidaire toujours ambivalente

20 novembre 2013

C’est ainsi ! Les bonnes intentions ne dispensent pas de commettre des erreurs. Pour autant, vaut-il mieux ne rien faire, en ignorant le sort des autres ? Cette ambivalence pèse sur toute initiative de soutien au développement. Anne-Marie Michenaud, vice-présidente d’une petite association qui intervient au Burkina Faso – Les amis de Boala – décrit les actions de sa structure sans taire les difficultés, les questionnements mais aussi les bonheurs de l’action solidaire.

p40.jpgL’association « Les amis de Boala » est née quand ?

C’était en 2006-2007. Dans le cadre d’un voyage solidaire, nous nous sommes retrouvés à neuf voyageurs dans une communauté villageoise du centre du Burkina Faso, Boala. Pour nous tous, ce fut un choc culturel, émotionnel. A la fin du séjour, Salamata, l’une des guides du campement, nous fait part de son projet de monter, avec un groupe de femmes, un atelier de couture et de tricot. Ainsi va naître l’association Pag-la zaka – « Chaque femme a son foyer » – un an après notre passage (à la réception des machines à coudre que Sylvie leur fait parvenir). Parallèlement, nous montons notre propre association de soutien – Les amis de Boala – présidée par Sylvie Dubourg, de Blanquefort. La collecte de fonds, nous l’envisageons de façon très traditionnelle : vente d’artisanat, soirées solidaires… Au niveau des actions, nous partons dès le départ sur l’idée d’actions concrètes, au « ras du terrain », comme par exemple d’acheter des fournitures scolaires sur place pour certaines classes du collège. Notre accompagnateur national, Jean-Paul Bambara, est chargé de s’occuper du suivi sur place. Et puis, Sylvie et moi allons retourner régulièrement à Boala, au moins une fois par an sinon deux.

Vient se greffer le partenariat de Boala avec la ville de Cognac.

Quand Michel Gourinchas est élu maire de Cognac, en 2008, son équipe municipale et lui-même expriment le désir de nouer une relation solidaire avec l’Afrique. Ils reçoivent plusieurs propositions de communes. Finalement, en 2010, ils choisissent Boala pour le lien qui existait déjà grâce à l’antenne cognaçaise des Amis de Boala. Cela se traduira par la signature d’une charte d’amitié entre Cognac et Boala. Cognac choisit de s’investir davantage dans le domaine de la santé. Michel Gourinchas, lors de son séjour à Boala, avait pu constater l’état du dispensaire. Une subvention annuelle sera allouée aux Amis de Boala. Elle servira aux projets liés à la santé, à la réfection du Centre de santé et de promotion sociale. Déjà, dans le cadre d’un partenariat, des jeunes de Cognac avaient acheminé en 2009 une ambulance. En 2012, à cause d’une saison des pluies écourtée, une grande sécheresse s’abat sur Boala et sa région. Pour manger, les villageois vont ramasser des feuilles dans les champs. Nous demandons à la ville de Cognac de « détourner » sa subvention pour acheter des sacs de mil. Elle accepte. L’opération sera conduite en partenariat avec l’Action sociale du Burkina. Cognac participe à l’achat des sacs pour les deux tiers du prix, le dernier tiers restant à la charge des paysans. Une centaine de familles recevront ainsi chacune un sac de mil. Par ailleurs, les voyages solidaires au campement communal de Boala, que nous avions commencé à promouvoir de manière informelle, s’organiseront désormais sous l’égide du comité de jumelage de la ville, dans le cadre de la charte d’amitié Cognac/Boala.

Qu’est-ce qu’un voyage solidaire ?

Nous ne sommes pas dans le tourisme classique mais davantage dans l’immersion, l’imprégnation. Les voyageurs, hébergés en lisière du village, partent à la rencontre de la société traditionnelle, forgerons, maroquinier (aussi devin ou charlatan), tradi-praticien, chef des fétiches, chef de terre… Au cours de leur séjour, ils découvrent les chemins de brousses, les quartiers, les concessions, le marché de trois jours (parce qu’il se tient tous les trois jours). Ils côtoient les gens du village, échangent avec eux. Les séjours permettent de créer des emplois ponctuels au sein du village et les bénéfices générés sont utilisés pour soutenir les projets de développement de la communauté villageoise.

Personnellement, je suis très attachée au tourisme solidaire. C’est une espèce de commerce équitable qui me semble très sain. Par notre présence, nous donnons du travail et donc de l’argent à des gens qui s’organisent seuls.

N’existe-t-il pas un risque « d’acculturation », pour utiliser un grand mot ?

Sans doute. J’ai un vieil ami qui dit que « quand un Blanc met le pied dans un village, il fout la m…. » En même temps,
les Africains sont demandeurs d’échanges. L’échange enrichit toujours. Mais, à la fois, toute action solidaire est lourde d’ambivalence. Ai-je raison de faire ce que je fais ? Ai-je raison de ne plus le faire ? C’est compliqué. On se jure de ne pas répéter les erreurs que tout le monde commet et on les fait quand même.

Pensez-vous que votre action soit nécessaire ?

p41.jpgJe pense que sans le petit coup de pouce de l’aide aux fournitures scolaires, des familles n’inscriraient pas leurs enfants au collège. Par contre, nous avons choisi de ne pas pratiquer le parrainage d’enfants. Nous préférons les actions collectives. Tout le matériel est acheté sur place. Nous n’acheminons quasi rien de France. Ce que nous ne voudrions pas, c’est nous situer dans une démarche d’assistanat. Maintenant, est-ce que l’action des associations ne dédouane pas le Gouvernement, en le dispensant de prendre sa part du dispositif ? Il ne faudrait pas non plus que certaines initiatives extérieures empêchent l’économie de se développer. C’est difficile. Les solutions que nous apportons ne seront jamais que des solutions de Blanc. Notre mentalité, notre culture sont si différentes des leurs ! Ce fossé culturel nécessite sans cesse de se remettre en cause, réfléchir, échanger. Et encore cela ne suffit pas ! Vous connaissez la phrase préférée des Africains : « Il n’y a pas de problème. » Alors, est-on condamné à marcher à l’aveugle ? Je dirais que l’on apprend « petit bout par bout », avec le temps, en se montrant très modeste, très respectueux, très humble, avec la volonté de ne pas choquer les gens.

Au cœur de ces tiraillements, un équilibre peut-il s’établir ?

Ces voyages au Burkina m’apportent énormément. Je me sens bien. Plus j’y vais, plus j’ai envie d’y retourner et plus j’apprends des choses. Je crois que, tout doucement, nous nous apprivoisons mutuellement. Les relations s’approfondissent. Des liens d’amitié très forts se sont tissés. Quand j’y vais, j’y vais pour moi. Je ne suis pas dans l’abnégation. Je retrouve des valeurs qui me sont chères, une façon de vivre qui me manque peut-être ici. Et puis, en Afrique, la notion de solidarité n’est pas un vain mot.

Prochain séjour à Boala organisé par le Comité de jumelage de la ville de Cognac :
du 21 décembre 2013 au 4 janvier 2014 (possibilités d’inscription).
Information/réservation : jumelagecognac.wordpress.com
Tél. 06 85 35 72 45
Mail :
jumelagecognac@orange.fr
1er décembre : vente d’artisanat rue d’Angoulême à Cognac, au profit de l’association Les Amis de Boala.

 

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