Le nouveau négoce qui monte

8 mars 2009

Un pied à Bonbonnet (commune d’Ars), un autre dans la région parisienne, les deux un peu partout sur les marchés, la société Gabriel & Andreu fut créée en 1989. Depuis, cette toute jeune entreprise à l’aune de l’échelle temps régionale, affiche une croissance insolente, fondée essentiellement sur le Cognac. Sa griffe ? Développer un discours très « terroir » sur le Cognac, supportée par une approche très affûtée du marketing export. Jean-Dominique Andreu, directeur général et Patrick Guidicelli, responsable de la production, s’expriment également sur leur politique d’approvisionnement.

gabriel_et_andreu.jpg« Le Paysan Vigneron » – Qui êtes-vous ?

La société fut créée voilà 15 ans, en 1989. Cela en fait une entreprise toute récente face à ses concurrents qui ont tous un, deux voire trois siècles d’existence. Nous occupons donc une position atypique dans notre région. D’autant qu’à l’origine, nous venions de l’extérieur et que Cognac n’est pas un milieu réputé particulièrement ouvert aux gens qui ne sont pas du cru. C’est peut-être un mal par certains côtés mais un bien par pas mal d’autres. Une occasion s’est présentée à nous de nous intéresser à la commercialisation du Cognac, avec l’intuition qu’il y avait des choses à faire. A certains moments, les trains passent. Ou on les prend ou on ne les prend pas. La société a démarré avec un capital social de 51 000 F. Aujourd’hui son chiffre d’affaires, tous produits confondus, atteint les 15 millions d’€, en forte croissance. La région a connu dans un passé récent un certain nombre de « success story », avec Alizé de L & L, Hypnotic de la distillerie Merlet ou la Vodka Grey Goose. En ce qui nous concerne, notre spécificité est de vendre du Cognac à plus de 70-75 % même si nous proposons d’autres alcools fins, dont le Rhum principalement.

« L.P.V. » – Vous parliez à l’instant d’intuition. De quelle nature fut-elle ?

Notre approche, dès l’origine, fut une approche terroir et notre credo celui du produit spécifique et rare. Dans le domaine du vin, tout le monde a bien intégré le fait que les gens boivent moins mais mieux et, quelque part, c’est une bonne chose. Par ailleurs il paraissait clair que, vu notre taille, nous n’allions pas changer les modes de consommation du Cognac, même si j’apprécie moi-même d’allonger le Cognac avec du tonic. Mais nous avons décidé de vendre du Cognac « Cognac » avec un argumentaire très tourné produit, méthode de distillation, encépagement… Je dois dire que ce discours fonctionne toujours bien. Nous y croyons même s’il peut y avoir quelque chose d’anachronique à ce qu’une société jeune comme la nôtre véhicule une approche que l’on pourrait qualifier de « ringarde » ou, en tout cas, d’archi-traditionnelle. Notre première marque fut la marque Pierre Ferrand provenant d’une propriété unique de 70 ha en Grande Champagne. La Grande Champagne, premier cru du Cognac, reste notre épine dorsale. Au départ, la société s’est construite exclusivement là-dessus. Et puis, il y a sept ans, nous fûmes les premiers, si je ne m’abuse, à sortir une gamme de crus uniques – G.C., P.C., Borderies, F.B. – cette fois sous la marque Gabriel & Andreu, dans une bouteille carrée, ressemblant un peu à une bouteille de Whisky. Toujours dans la même veine, nous commercialisons depuis un an et demi les Cognacs du Château de la Raillerie, près d’Archiac, présentant un tri-encépagement Ugni blanc, Colombard, Sémillon.

« L.P.V. » – Par quels canaux vous approvisionnez-vous ?

Toutes nos marques que je pourrais qualifier de terroirs, avec des cachets d’authenticité, des labels de qualité, s’approvisionnent auprès de propriétés en exclusivité. Pour le reste nous faisons distiller tous les ans des grossistes de la place et nous commençons à conclure des contrats sur le vin, avec la mise en place de contrats de bonne fin, pour garder une consistance à nos prix, compte tenu de l’évolution des cours.

« L.P.V. » – Comment vous assurez-vous de la qualité que vous achetez ?

La validation qualité nous vient en grande partie de notre partenaire principal en Grande Champagne, une personne en qui nous avons toute confiance et dont la famille est dans ce métier depuis des dizaines de générations. Par ailleurs, parce que nous avons toujours plus besoin de maîtrise, de contrôle, de connaissances approfondies du produit, nous rejoint ce mois-ci un œnologue doté d’une expérience bâtie dans les grandes maisons.

« L.P.V. » – Je crois que vous êtes un fervent de la traçabilité et des normes HACCP.

Je préside la commission traçabilité de notre prestataire informatique, société leader en France pour la fourniture de logiciels dans le secteur viti-vinicole. Parmi les entreprises qui participent à cette commission, il y a des poids lourds comme la société Boisset (négociant en Bourgogne) ou Vinival (négociant du Val de Loire). La traçabilité est un sujet qui s’inscrit au cœur de nos préoccupations. Il ne faudrait pas croire que le titre alcoolique du Cognac l’exempte de tout ce qui se passe dans l’agro-alimentaire. Les crises de la vache folle, des filières porcine, aviaire, du saumon impactent tous les produits de bouche. Dès janvier 2005, nous devrons être en mesure d’assurer la traçabilité de tous nos produits et nos fournisseurs également. Et ne nous y trompons pas ! La règle européenne qui impose le respect des normes HACCP présente autant de force qu’une loi. Il faudra l’appliquer sans discuter et sans sourciller. En ce qui nous concerne, nous ne travaillons pas avec la grande distribution mais la hauteur où elle place la barre est impressionnante. La traçabilité ne doit pas être perçue comme une contrainte supplémentaire mais comme un outil de qualité, garantissant le respect d’un mode opératoire permettant à chacun de s’y retrouver.

« L.P.V. » – Aujourd’hui, vous adhérez à l’Union Syndicale, présidée par Antoine Cuzange.

En tant que PME, nous avons des intérêts spécifiques à défendre sachant que des intérêts convergents existent avec les grandes maisons.

« L.P.V. » – Etes-vous physiquement présent à Cognac ?

Quand on vend du Cognac, il faut avoir un pied dans les Charentes car c’est tout de même là où ça se passe et un deuxième pied un peu partout dans les marchés. Le site de Bonbonet (sur la commune d’Ars) emploie aujourd’hui vingt personnes. Nous avons d’ailleurs l’intention de le « muscler » en créant huit postes supplémentaires dont trois ou quatre dans un futur à six mois. Si certaines maisons parlent de dégraisser leurs effectifs, ce n’est pas notre cas. A Bonbonet, Patrick Guidicelli s’occupe de la direction opérationnelle, qui englobe les fonctions d’achats, de stockage, de mise en bouteille, d’administration des ventes. C’est notre référant en Charentes, la personne clé sur le terrain. En ce qui me concerne, je ne viens dans la région délimitée que toutes les trois semaines environ. Le reste du temps, je suis sur les marchés ou à Viroflay, en région parisienne. Ce deuxième site concentre les fonctions commerciales et financières. Dès le départ, nous avons fait le choix de ce fonctionnement bicéphale ou plus exactement bi-spatiale, dans le souci délibéré de pouvoir s’ancrer dans la région sans faire trop de vagues.

« L.P.V. » – Que représente pour vous l’exportation ?

Nous vendons dans 42 pays, c’est-à-dire dans tous les pays de l’Union européenne, en Amérique du Nord, dans beaucoup de pays de l’Europe de l’est et sur les principaux marchés asiatiques. Nous avons créé il y a sept ans notre propre filiale aux Etats-Unis, qui emploie aujourd’hui huit jeunes expatriés français de 22 à 27 ans. Nous disposons également de notre propre filiale de distribution en Allemagne. Pourquoi existe-t-il aussi peu de sociétés qui vendent du Cognac ? Parce que le Cognac, c’est de l’export à 98 %. Il faut pouvoir maîtriser la langue, la culture, savoir de quelle manière se comporter sur les marchés… Tout cela est relativement compliqué. En tout cas, cela n’a rien à voir avec l’incursion sur quelques marchés proches pour y faire deux ou trois « coups ».

« L.P.V. » – Dans le monde des spiritueux et plus particulièrement dans celui du Cognac, y a-t-il toujours une place pour des sociétés comme la vôtre ?

Il y a de la place pour tout le monde mais heureusement que les grands sont là. Ils établissent la catégorie Cognac. Sans eux, nous ne serions pas là. Il faut être réaliste.

« L.P.V. » – Que pensez-vous de l’augmentation des prix sur le second marché ?

Soyons tout à fait clairs. Le consommateur n’a pas que du Cognac à acheter. Même dans le créneau haut de gamme, s’offrent à lui de la Vodka, du Whisky, du Whisky de malt, tous produits concurrents du Cognac. Je partage l’avis d’Antoine Cuzange qui dit qu’un client détourné d’une eau-de-vie de vin pour une eau-de-vie de grain est un client perdu pour la catégorie. On en voit malheureusement un exemple à Taïwan où des choses tout à fait terribles pour nos produits se sont déroulées. Comment expliquer à un consommateur habitué à trouver du Cognac à un certain prix qu’il va l’acheter 30 % plus cher ? Il se sent déçu. Une mésaventure qui vient d’arriver récemment au Champagne sur le marché allemand. Je pense qu’il convient de faire très attention. L’intérêt, c’est d’avoir des clients et de les garder. C’est dur de trouver un client, cela demande du travail. Le perdre pour une question de prix serait vraiment dommage. Heureusement, nous n’en sommes pas encore là avec le Cognac.

« L.P.V. » – Comment voyez-vous votre avenir ?

Aujourd’hui nous grandissons et nous en sommes contents. Nous gérons notre croissance du mieux que nous pouvons, sans mettre en place de plans « délirants. Tout simplement, nous essayons d’attendre une taille raisonnable, en conservant notre position de producteur indépendant, lié à aucun groupe. Ceci est très important pour nous.

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