Entre tour de Babel et centre d’aiguillage, un site d’embouteillage est un formidable carrefour des métiers, rythmé par la cadence des lignes de mise en bouteilles. C’est le royaume de la coupe « bonne pour l’expédition ». De novembre à avril, les livreurs Hennessy ont découvert, par groupes de vingt, le monde surprenant de la Vignerie.
Il y a deux ans, ils avaient été invités à visiter le site de réception des eaux-de-vie du Haut Bagnolet. Dans la continuité, ils ont découvert cet hiver et jusqu’au printemps, le site d’embouteillage de la Vignerie. Changement de décor. Le caractère industriel des lignes d’embouteillage l’emporterait presque sur le produit. Et pourtant, il est toujours là. Ce fut d’ailleurs tout l’intérêt de la visite que de s’attarder, le temps qu’il fallait, sur la partie amont, celle qui préexiste au remplissage des bouteilles. C’est Jean-Pierre et Pascal, deux techniciens du site d’embouteillage, qui s’en sont chargés. Le départ de tout, ce sont ces camions-citernes de 300 hl vol., remplis d’eaux-de-vie. Il en arrive en moyenne huit par jour. Les eaux-de-vie – sans doute à ce moment-là parle-t-on encore d’eau-de-vie – sont vidées dans une cuverie dite « d’ajustage ». Le degré, de 41 % vol., doit être ramené à 40 % vol., avec une tolérance d’1/10e. Pour ce faire, on utilise de l’eau osmosée. Une fois l’opération effectuée, arrive le stade ô combien important de la filtration. Première étape : par un système de filtres à température ambiante, sont enlevées les plus grosses impuretés. Deuxième étape : le liquide passe dans un échangeur thermique à froid, pour enlever les acides gras. Chaque année, le site utilise 130 000 plaques. L’usine dispose de trois lignes de filtration. Peuvent être filtrés 2 400 hl vol./jour (la contenance des huit citernes). En cas d’urgence – quand l’usine est « à la rue » – le personnel affecté à la filtration peut passer en deux/huit (5 h du matin/22 h le soir, en deux équipes). La capacité de filtration grimpe alors à 4 500/4 600 hl/jour. Cela correspond à presque deux fois la capacité de la mise en bouteilles. Mais attention, cela ne veut pas dire que les eaux-de-vie arrivées le matin se retrouvent le soir sur la chaîne d’embouteillage. Non. L’usine fonctionne avec un « temps d’inertie » d’environ 5 jours (qui peut être réduit à 4 jours). Ce « temps d’inertie » sert à recevoir les eaux-de-vie, ajuster les degrés, procéder aux opérations de filtration mais aussi à soumettre une dernière fois la coupe à l’analyse et à la dégustation. Le comité de dégustation, qui se réunit tous les matins rue Richonne, examine l’échantillon de la coupe. Un cérémonial immuable. Une fois son quitus donné (ainsi que le feu vert du laboratoire), à ce moment-là et à ce moment-là seulement « on ne parle plus d’eau-de-vie, on parle de Cognac ». La coupe est dite « bonne pour l’expédition ». Elle rejoint alors la cuverie de stockage des produits finis. La capacité totale de la cuverie « produits finis « s’élève à 24 000 hl vol. « Quand on est plein à 70 % (18 à 20 000 hl), on est content » relève un technicien. De quoi tenir une semaine. La crainte permanente des responsables du site ! Qu’un couac à la filtration ou ailleurs leur mettent « la tête sous l’eau ». Car l’usine imprime son rythme, implacable. « Deux ou trois lignes de mise en bouteilles sur une seule cuve ! La cuve ne dure pas deux heures. »
Un monde à part
Sur le centre d’embouteillage, les lignes de mises en bouteilles représentent un monde à part. Les machinistes régleurs conduisent leurs engins, souffleuses, remplisseuses, boucheuses, étiqueteuses… A travers la vitre, un manège de 60 larrons remplit 60 bouteilles par tour, en un manège réglé au millimètre. Pendant ce temps, des employés jonglent avec les références – 860 au total – entre contenances, étiquettes, caissages, considérés comme autant de « produits ». Et toujours flasques, bouteilles, flacons défilent à grande vitesse. La veille de la visite, l’usine avait embouteillé 84 000 bouteilles dans la journée. Pas mal !
La zone d’embouteillage est dite « sécurité alimentaire ». Zone sensible, elle est sous le feu des auditeurs du service qualité. Arrive enfin le « bout froid » de l’usine, là où intervient la palettisation avant expédition. Attention danger ! Les Fenwick arrivent sans prévenir dans un silence feutré. Une palette, c’est huit couches de huit caisses, soit… 64 caisses. En gros, il faut de 22 à 26 palettes pour remplir un container. « Vous avez du Japon, de la Chine, du Mexique » égrène un rien blasé cet agent, voyageur immobile dans son immense entrepôt. Des camions bâchés s’apprêtent à partir pour Le Havre. Dans deux mois, le Cognac accompagnera un canard laqué.