Le monde des spiritueux rattrapé par la crise mondiale ! C’est un fait acquis. La liqueur Grand-Marnier n’échappe pas à la récession. Pourtant la société fait fi de toute attitude négative. Son leitmotiv : travailler pour le long terme et ne « pas perdre la tête » en cette période délicate. Car si toute crise est source de difficultés, elle est aussi porteuse d’opportunités.
« C’est quand les choses vont moins bien qu’il est important d’être présent et de communiquer. » Fidèle depuis plusieurs années aux assemblées générales de la Sica Cognac, Claude de Jouvencel, directeur général adjoint de la Société des produits Marnier-Lapostolle, n’aurait manqué sous aucun prétexte ce rendez-vous du 13 février 2009 à Bourg-Charente, sanctionnant le 38e exercice de la Sica. Elu en avril 2008 à la présidence de la FEVS (Fédération des exportateurs de vins et spiritueux de France), il fait sans doute partie des personnes les mieux informées de la filière. Tout naturellement, C. de Jouvencel a souhaité partager ses éclairages « sans arrogance ni prétention », en sachant qu’il n’est pas non plus homme « à se cacher derrière son petit doigt ». Il parle franc et droit. La crise ! Qu’on ne lui dise pas que les produits de luxe à forte valeur ajoutée peuvent y échapper. « Il s’agit d’une règle de base de notre profession, incontournable. Quelle que soit la part de rêve véhiculée par nos marques, l’économie de marché impacte toujours nos ventes. » Et cette crise, aux dires des experts, fait partie des accidents les plus sévères des 30 voire des 40 dernières années, même si le monde n’a pas manqué d’événements traumatiques : 1er choc pétrolier au milieu des années 70, 2e choc pétrolier début 80, récession au Japon puis aux Etats-Unis dans les années 90, explosion de la bulle internet, 11 septembre 2001… C’est en fin d’année 2007 que la croissance a décroché. La vérité commande de dire que lors de la dernière AG de la Sica Cognac, début 2008, Claude de Jouvencel alertait déjà sur un « ralentissement, voire un tassement du marché américain des spiritueux ». « Il n’y a pas de panique à avoir, disait-il à l’époque, mais nous sommes indubitablement confrontés à un tassement des ventes depuis octobre-novembre 2007. » Par contre il ne se prononçait pas sur « l’atterrissage ». Cet « atterrissage » a eu lieu au cours du second semestre 2008, avec l’explosion de la bulle spéculative et immobilière, la fameuse crise américaine des subprimes. « On s’en sortira, pronostique aujourd’hui le directeur général adjoint de Marnier-Lapostolle, mais ce sera long. Dans cette affaire, il ne faut pas s’attendre à des miracles car toutes les économies se tiennent par la barbichette. » Même le groupe des BRIMC – Brésil, Russie, Inde, Mexique et Chine – qui affichait des taux de croissance insolents – taux moyen d’au moins 12 % (4 fois celui de la France) – est aujourd’hui à la peine. En 2009, le FMI (Fonds monétaire international) donne la Chine à + 6,7 % (+ 5,5 % selon le Wall Street Journal), l’Allemagne à – 2,5 %, le Japon à – 2,6 %, la Russie à – 0,7 % alors qu’elle était encore à + 6,2 % en 2008. Dans ces conditions, le commerce des spiritueux risque d’être aussi difficile en 2009 qu’en 2008. La reprise, Claude de Jouvencel ne la voit guère intervenir avant deux ans-deux ans et demi. « C’est sûr, on reviendra à des taux de croissance de 3-4 % mais quand exactement ? » Après onze années de progression ininterrompue de ses expéditions, Grand-Marnier a constaté pour la première fois en 2008 une absence de croissance volumétrique. Croissance zéro. Seul motif de satisfaction : les ventes locales sur les marchés importants se sont plutôt mieux comportées que les expéditions. Décryptage du spécialiste – « on n’a pas “bourré” les magasins » – ce qui signifie que les expéditions pourront repartir au moindre frémissement de marché. Pour Claude de Jouvencel, l’époque commande de garder la tête froide, « ne pas perdre ses nerfs ». Premier principe : ne pas commencer à vendre à bas prix. Deuxième principe : faire preuve de rigueur et de pragmatisme en travaillant pour le long terme, sans se laisser envahir par des contingences à court terme. En 2008, la société a maintenu tous ses budgets marketing, un investissement sensiblement supérieur à 20 % du chiffre d’affaires. Un effort important pour une PME – dixit C. de Jouvencel – déployant 130 millions d’€ de chiffre d’affaires avec 141 collaborateurs. La société compte récidiver à même hauteur en 2009. La seule inflexion concernera peut-être la forme du plan marketing, un peu moins tourné vers la publicité et les médias, un peu plus vers le terrain et les actions de marché. Le directeur général adjoint nourrit une conviction. Si les Etats-Unis ont exporté la crise, la reprise viendra de ce pays. « Ne jetons pas le manche après la cognée. Pour le Cognac comme pour le Grand-Marnier, les Etats-Unis ont joué un rôle moteur durant ces quinze-vingt dernières années. Je prends le pari que c’est encore les Etats-Unis qui tendront la main à l’Europe. J’ai foi en ce pays et en ses habitants, à leur capacité à innover et à se remettre en cause. C’est dans leur culture profonde. Ils feront ce qu’il faut pour s’en sortir. Je pense que les Etats-Unis occuperont encore la place de première économie mondiale à l’horizon des 25-30 prochaines années. »
Ne pas perdre la tête
Une nouvelle fois, le président de la FEVS a recommandé « de ne pas perdre la tête dans une attitude négative et résignée ». « Ne nous laissons pas gagner par la sinistrose. La crise engendre des problèmes mais secrète aussi des opportunités. Nous vendons un produit de convivialité, qui a besoin de séduire les prescripteurs. Par contre, comme dans tous métiers, il faut réfléchir aux priorités. Profitons de cette période pour améliorer nos coûts industriels. Quand tout va bien, on ne se pose pas ce genre de question. » A ce titre, Claude de Jouvencel a indiqué que les fonctions de Patrick Raguenaud connaissaient un développement. Sous la tutelle de Stéphane Marnier-Lapostolle, le directeur du site de Bourg-Charente a dorénavant la responsabilité de veiller à la cohérence et à l’évolution de l’ensemble des outils de production de la marque, aussi bien en Charente qu’en Normandie ou en région parisienne. Dans les six prochains mois, a d’ailleurs été annoncée une évolution sensible de la bouteille Grand-Marnier sur ses marchés clés. « Notre produit se vend plus de 40 $ la bouteille aux Etats-Unis et plus de 20 € en Europe. Certains éléments de packaging nécessitaient un petit coup de jeune, sans perdre les valeurs de reconnaissance de la marque. »
Le directeur général adjoint des produits Marnier-Lapostolle en a profité pour glisser un message sur les marques premium. « Une marque premium, une marque de luxe ne se résume pas à un prix élevé. Il faut un produit, une qualité, un vieillissement, un savoir-faire, des matériaux nobles. C’est comme cela que se justifie la valeur de nos produits et non pas en vendant de la poudre de perlimpinpin. En cette période délicate, attention à ne pas perdre de vue nos valeurs. Sinon le retour de bâton pourrait être douloureux. » L’homme de marché a appelé de ses vœux un travail sur l’avenir fait de « détermination, de volonté, de positivisme ».
Reprenant sa casquette de président de la FEVS, Claude de Jouvencel a souhaité insuffler de la fierté à une profession « d’alcoolier » largement décriée cet an-ci. « Quand je regarde la balance du commerce agro-alimentaire français (exportations/importations), la filière des V & S y contribue à hauteur de 91 %. La part des V & S s’élèvent à 8,2 milliards d’€ sur un total de 9 milliards. Si le secteur automobile dégage un volume d’exportation de 51 milliards d’€, l’excédent net n’est que de 700 millions d’€ à cause des 50,3 milliards d’importation. » C. de Jouvencel a indiqué que les 500 entreprises de négoce du secteur vins et spiritueux réalisaient plus de 40 % de leur « business » à l’export. Des arguments que la filière viticole a tout intérêt à s’approprier.
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