Philippe Boujut s’est toujours refusé à la démagogie. A l’aube d’une année 2005 riche d’événements annoncés, il persiste dans son attitude, tout en affirmant les positions du syndicat. Le président du SGV fait le point sur les travaux en cours.
« Le Paysan Vigneron » – Où en est-on aujourd’hui ?
Philippe Boujut – Un de nos principaux chantiers concerne la modification du décret de 1936 sur l’AOC Cognac. Les points essentiels ont trait aux conditions de production, à l’affectation parcellaire, à l’agrément du Cognac, au syndicat de défense… Tout cela s’inscrit bien sûr dans la continuité du changement programmé. Nous ne sommes pas en train d’innover. Nous nous situons dans le prolongement de trois ou quatre années de réflexion et de décisions déjà prises. La seule chose est d’éviter de perdre trop de temps. En tant qu’animateur du groupe de travail sur la modification du décret, j’ai pour mission de faire avancer au plus vite les dossiers, afin que le président Lacarrière puisse, dans les meilleurs délais, faire état de nos propositions au ministère de l’Agriculture. Car l’un de nos objectifs consiste à démontrer que la région a fait preuve d’une volonté de changement et que cette initiative peut justifier de demander à Bruxelles de prolonger d’une campagne supplémentaire – 2005-2006 – la dérogation à la QNV historique.
« L.P.V. » – Etes-vous soumis à un « timing » ?
Ph. B. – Au ministère, on nous avait fixé une date, celle du 31 décembre 2004. Ce délai est déjà passé et, à vrai dire, je n’en conçois pas de regrets particuliers. Il faut savoir prendre le temps nécessaire pour rédiger un texte dont la vocation est de perdurer pendant de nombreuses années. Si l’on se réfère à l’actuel décret, il remonte à presque 70 ans. Dans le meilleur des cas, je souhaiterais que nous soyons prêts en avril. Une commission d’enquête INAO devrait venir en Charentes fin avril/début mai et le Comité national INAO se réunit en juin. Si tout allait bien, notre dossier pourrait être examiné à cette session. Nous verrons le moment venu.
« L.P.V. » – Quel climat règne aujourd’hui parmi les professionnels ?
Ph. B. – Franchement, je suis content de l’atmosphère qui prévaut au BN depuis quelques semaines. On sent une réelle volonté d’avancer. Pourquoi ? Je ne saurai le dire exactement. Peut-être le président Lacarrière a-t-il su trouver les mots pour amorcer le dialogue ? Un même climat constructif se manifeste au CRINAO et dans le groupe de travail sur la réforme du décret. Tout le monde y est représenté, viticulture comme négoce (*). Je pense aussi qu’une initiative salutaire a consisté à faire se réunir, en amont, les administratifs juristes du BNIC, de l’INAO, du SGV ainsi que Mme Le Gall, afin qu’ils se concertent entre eux et nous fassent remonter des propositions. Lors de réunions, il est trop souvent arrivé de tourner en rond. Le fait de travailler au préalable les dossiers avant de les présenter aux professionnels permet de mettre à plat les divergences d’interprétations et de rentrer plus avant dans les détails. C’est bien souvent au niveau des détails que tout se joue. Pour l’agrément du Cognac par exemple, il est très intéressant de savoir à quel niveau il s’opère, quand a lieu la prise d’échantillon…
« L.P.V. » – La constitution d’un Syndicat de défense de l’appellation va de pair avec la réforme du décret de 1936. Où en êtes-vous ?
Ph. B. – Avant que les politiques que nous sommes prennent une décision « en leur âme et conscience », je souhaite que les juristes nous brossent précisément le rôle et les missions du syndicat de défense, du BNIC, du ou des organismes d’agrément… A mon sens, c’est de cette manière que s’exprimeront des débuts de réponse. Personnellement, je pense que les négociants ont besoin d’être dans le syndicat de défense. Si nous faisions un vin d’AOC, il en irait peut-être autrement. Mais nous produisons une eau-de-vie de Cognac et chaque maison édicte ses recommandations de production, en fonction de son histoire, de sa typologie de consommateurs, de l’évolution de ses marchés. Maintenant, où se situe leur pourcentage de représentativité ? C’est là où personne n’est d’accord. Pour les négociants, il est hors de question de descendre en dessous de 50 %. Jusqu’à maintenant, la viticulture ne se situe pas du tout dans ce schéma-là. Il faut réfléchir aux propositions qui peuvent être faites. C’est pourquoi j’attends beaucoup des différents scénarios que vont nous soumettre les administratifs, afin de savoir ce que la région attend réellement du syndicat de défense. Le syndicat de défense a-t-il vocation à être une boîte vide ou un syndicat à part entière comme dans certaines régions ?
« L.P.V. » – Considérez-vous le changement de régime comme acquis ?
Ph. B. – Il me semble que des réponses claires ont été apportées mais c’est vrai que le débat sur la double fin est apparemment récurrent. Je voudrais tout de même préciser une chose. Personne ici, dans cette région, ne souhaite abandonner la double fin. Ce n’est pas parce que la disparition de l’article 28 est programmée que nos vignes ne pourront plus produire, à côté des vins Cognac, des vins de base mousseux ou des jus de raisin. Le cépage, lui, restera toujours double fin. Notre intention n’est pas que nos vins deviennent AOC. Simplement la présentation sera différente. Ce que réalise déjà le viticulteur – affecter cet ha-ci au Cognac et cet ha-là au jus de raisin – il le fera un peu plus tôt. C’est tout.
« L.P.V. » – Alors, si cela ne change rien, pourquoi supprimer l’article 28 ?
Ph. B. – Attention, la question ne se pose pas en ces termes. La Commission européenne a demandé à la région de s’engager sur la voie du changement et le ministère entend lui donner satisfaction. Ce que veut le ministère avant tout, c’est de ne pas avoir à payer l’amende potentielle de plusieurs dizaines de millions d’euros pour non-respect de la QNV historique. Quant à nous, nous ne souhaitons pas tomber, après disparition de l’article 28, dans le régime général des vins de table. C’est ce qui nous attendrait si nous ne faisions rien. Le régime des vins de table présente un risque aussi bien qualitatif (par les degrés élevés qu’il engendrerait) que pécuniaire. Car il aboutirait à éliminer complètement les jus de raisin et les vins de table. Au contraire, nous attendons de la Communauté qu’en échange de l’article 28, elle nous aide à installer durablement une filière vin de table et jus de raisin dans cette région. Que les aides aillent aux producteurs ou aux élaborateurs, à la limite, peu importe. Au final, l’essentiel est que ces filières soient pérennisées.
« L.P.V. » – Existe-t-il des opinions divergentes ?
Ph. B. – Un autre syndicat, le SVBC pour ne pas le nommer, a l’air de dire qu’il faut supprimer les vins de base mousseux et les jus de raisins. Non seulement ce n’est pas l’hypothèse retenue par la région mais encore cela irait à l’encontre de nos intérêts. Ce n’est pas moi qui le dis mais le BNIC, dans un document récent. Les vins de base mousseux apportent globalement à la région 41 millions d’€ par an et les jus de raisin de l’ordre de 14,5 millions d’€. Supprimer ces rentrées aurait forcément une répercussion au niveau de chaque exploitation. Pour tordre le coup aux jus de raisin et aux vins de table, le SVBC avance que les vignes Cognac, Vins de pays et Pineau sont beaucoup plus rentables que les autres. Je suis tout à fait d’accord avec lui mais il faut être honnête jusqu’au bout et dire qu’il faudrait, alors, restructurer les 11 000 ha correspondant aux débouchés vins de base mousseux et jus de raisin. Et ce n’est pas l’arrachage de ces 11 000 ha qui réglerait les problèmes du Cognac. D’ailleurs, à écouter le négoce, je n’ai pas l’impression qu’il parle beaucoup d’arrachage en ce moment.
« L.P.V. » – Comment expliquez-vous cette différence d’interprétation entre le SBVC et vous-mêmes ?
Ph. B. – Je ne mets pas en doute la sincérité des personnes. Je pense cependant qu’un certain nombre d’entre elles en sont restées au niveau de réflexions qui étaient les nôtres il y a quatre ans. En quittant le syndicat, elles se sont mises « hors service » d’elles-mêmes et n’ont pas évolué dans leurs pensées. Pendant ce temps, le SGV est passé à une autre phase. Il est devenu une force de proposition et une structure syndicale à part entière. Nous ne nous sommes pas contentés d’émettre des vœux ni de tenir des réunions deux ou trois fois par an. Nous avons écouté, travaillé, proposé. Quand il s’est agi de faire évoluer la QNV vin de table de 105 à 114, nous nous sommes déplacés pour expliciter notre demande. Faire passer le rendement agronomique de 120 à 130 n’a pas été non plus une démarche facile. Et que dire des 7,5. Il a fallu justifier notre position. Mais nous connaissons bien la viticulture et nous savions que l’objectif des 500 000 hl AP serait rempli, même avec une QNV à 7,5 hl AP/ha, devenue au final 7,6. Au niveau de la restructuration nous avons plaidé, sans tout à fait y parvenir, pour un assouplissement du complément de prime d’arrachage qui s’applique aujourd’hui aux plus de 55 ans. A l’écoute des adhérents, nos permanents sont tous les jours au contact de problèmes concrets, touchant aux contrôles douaniers, au prix du gaz… C’est un syndicat « installé », correspondant à l’attente des viticulteurs.
« L.P.V. » – Le SVBC aspire sans doute à l’être aussi.
Ph. B. – Rien ne l’en empêche. Nous avons démarré comme eux, de zéro, sans un sou en poche. A l’époque, nous avions sollicité l’aide des jeunes. Nous ne détenons pas la vérité mais notre grande force est de nous réunir autour d’une table et de discuter. C’est vrai que nous avons la chance d’avoir un conseil d’administration de 33 membres. On échange sans doute mieux à 33 qu’à 2 ou 3. Et puis nous comptons parmi nous des syndicalistes qui depuis de très nombreuses années ont eu l’habitude de donner de leurs temps, gratuitement. Il n’est pas difficile de demander un rendez-vous à M. le préfet. Il ne fermera jamais sa porte. Mais la seule chose que le SVBC n’ait pas réussi à faire, c’est de convaincre. Peut-être devrait-il se demander pourquoi et en tirer les conclusions. A un moment donné, il faut arrêter de revenir en arrière, de tergiverser, de perdre du temps en palabres. Je crois être pragmatique dans ma démarche. Quand quelque chose s’avère impossible juridiquement, il faut savoir trouver une autre solution. J’ai toujours défendu l’idée selon laquelle il fallait faire ce que l’on disait et ne pas dire ce que l’on était pas sûr d’obtenir. Peut-être ne suis-je pas assez démagogique aux yeux de certains.
« L.P.V. » – Que vous inspire l’année 2005 ?
Ph. B. – A l’évidence, ce sera une grosse année. Nous devrions finaliser le projet qui entraînera un changement profond dans cette région. Pour le SGV, 2005 est aussi une date très importante car il s’agira d’une année élective. Comme tous les ans, nous allons reprendre nos réunions d’information fin février-début mars, puis nous procéderons au renouvellement de nos 263 délégués. Il revient au secrétaire général de préparer cette phase cruciale, qui fondera le syndicat pour trois ans. Je pense qu’à ce stade, il conviendra de donner au SGV un autre président.
« L.P.V. » – Que voulez-vous dire ?
Ph. B. – Je suis déjà vice-président du BNIC et président du CRINAO. Le cumul de mandat n’est pas dans ma manière de fonctionner. Parfois, il faut savoir s’effacer pour affirmer le poids d’une structure. Bien loin de moi l’idée de quitter le syndicat. Si l’on veut encore de ma personne dans le bureau, je resterai. Mais le syndicat compte des gens de qualité. La relève est prête. Ma satisfaction est de constater que le syndicat a contribué à assainir un peu le stock, avec l’aide bien sûr de la remontée des ventes. Les perspectives sont meilleures aujourd’hui qu’hier. La viticulture s’est serrée la ceinture, elle a « tenu bon ». Il ne faut pas s’endormir sur le présent mais prévoir le « après ». J’ai confiance dans ce plan, s’il est adopté dans son intégralité. Mais il n’y a pas de raison qu’il en aille autrement. En ce qui concerne les rendements différenciés par exemple (les 180 hl/ha, voire davantage pour les jus de raisin), la demande fait partie du « pack » du décret modificatif de 1936. Si notre projet de texte est accepté, les rendements différenciés le seront aussi. Je nourris plus de crainte au sujet des prix d’achat. Les cours ne sont pas au niveau qu’ils devraient être, aussi bien sur le second marché que sur le premier. Sur le second marché, les prix furent peut-être trop élevés l’an dernier et ne le sont pas assez cette année. Ni la région ni les négociants ont à gagner à ce phénomène de yo-yo. Pour ce qui est du grand négoce, tout se passe comme s’il avait besoin de marchandise mais ne voulait pas la payer. Le cours du dollar a bon dos. L’inflation sévit dans cette région comme ailleurs et elle n’est pas compensée. Viticulteurs et négociants doivent réapprendre à se parler et préparer l’avenir ensemble.
L’esprit VIF
Voilà plusieurs années que les VIF (Vignerons Indépendants de France) marquent de leur présence le salon Vinitech. Nouveauté lors de l’édition 2004 : une journée « Charentes » a été organisée par la Fédération des vignerons indépendants des deux départements charentais. Le mercredi 1er décembre, Jean-Noël Colin et ses collègues du conseil d’administration ont accueilli sur le stand des caves une cinquantaine de viticulteurs charentais intéressés par l’activité de la confédération. L’idée, toujours la même, consiste à développer le mouvement des caves pour en faire une force de proposition. Sur 250 invitations envoyées aux vignerons vendeurs directs (liste du BNIC), un retour de cinquante visiteurs est apparu à Jean-Paul Giraud, chargé de la communication, « à la fois insuffisant mais aussi positif par les prises de contacts et l’intérêt manifesté ». L’échelon national des VIF s’est dit quant à lui très satisfait de l’initiative et de la motivation des administrateurs, dont beaucoup étaient rentrés la veille du Salon des caves, porte de Versailles (1 000 exposants viticulteurs, 200 000 visiteurs). Vinitech accueillera une nouvelle journée Charentes dans deux ans.
Bien avant cette date, la Fédération des Vignerons Indépendants des Charentes tiendra son assemblée générale le 4 février prochain à 14 heures, maison des Viticulteurs. Ouverte à tous, la réunion a pour thème : « Déterminer ses coûts de production pour déterminer le prix d’une bouteille ». Interviendra au titre des VIF, Jean-Christophe Chevré, par ailleurs bien connu dans la région délimitée (il a exercé au CER 17). Sans entrer dans le détail – ce sera l’objet d’une formation ultérieure – cette présentation visera à rappeler un certain nombre de généralités, qu’il convient d’avoir présent à l’esprit avant d’aborder la vente : de quoi se compose un prix de référence, de coopérative, de vigneron, un prix de marché, de grande surface…
0 commentaires