Saintongeais – troupes de théatre : Non, le patois charentais n’est pas mort !!

24 octobre 2012

Il est même bien vivant. Festivals patoisants et troupes de théâtre en saintongeais assurent un « revival » à la langue régionale. La culture des racines, l’hommage aux anciens n’empêchent pas les passionnés d’ancrer le patois dans une réalité bien actuelle. Un renouveau qui se mesure à l’âge des spectateurs, loin d’être canonique.

 

 

p34a.jpgComment appelleriez-vous le téléphone portable en patois charentais ? Bruno Rousse, de Bassac, plus connu sous son nom de scène Nono Saut’Palisse, en pince pour « Beurlinou » et, depuis qu’il a émis cette proposition, le mot a fait son chemin. Beurlinou, du terme beurlander qui, en saintongeais, signifie « passer la parole à ». En Deux-Sèvres et en Aunis, la beurlinette est aussi la petite cloche attachée au cou des chèvres. Elle sonnaille de façon intempestive sans que l’on ne lui ai rien demandé. La télévision, elle, est souvent qualifiée de « bordasse », pour décrire, avec drôlerie, son côté anarchique et omniprésent. Autant de mots savoureux qui décrivent la réalité d’aujourd’hui dans une langue jouant à saute-mouton entre les anciennes provinces d’Aunis, de Saintonge et d’Angoumois, avec une pointe en pays Gabaye, du côté du nord Gironde.

Ceux que les batailles de frontières laissent indifférents acceptent d’établir des ponts avec les Deux-Sèvres voire la Vendée. Quant à pousser jusqu’au Poitou, c’est une autre affaire. Il s’agit d’un sujet hautement électrique qui, dans les années 2005-2007, a déclenché la guerre pichrocholine du « Poitevin-Saintongeais » parmi les universitaires et patoisants. Les plaies, à vif, subsistent encore. Très officiellement, le saintongeais, langue d’oïl, a été reconnu langue de France en 2007. Mais c’est sur les tréteaux des théâtres patoisants, dans les villages, les mini-festivals du cru que le patois charentais connaît ses heures les plus glorieuses, écrit ses plus belles pages.

Plongez un coup d’épuisette dans ce petit monde et vous en remonterez vingt, trente noms, d’auteurs, de troupes de théâtre, de conteurs et autres « bardes » patoisants.

Bien sûr, il y a les classiques, les incontournables, tel le célèbre Goulebenèze de Burie (Athanase Jean) et sa pièce « La Mérine à Nastasie » ou la non moins connue Odette Comandon de Jarnac. Mais de génération en génération, se lèvent de nouvelles recrues, de nouveaux fondus de cette langue souple et adaptable, capable de transmettre aussi bien la gouaille que l’émotion.

Citons parmi les conteurs patoisants le Grand Simounet’, de l’Eguille-sur-Seudre, malheureusement décédé en 2010, son compère Piqthiu, bien vivant lui, la Mounette des Chérentes (Monette Foucaud), Châgne dreit (de son vrai nom Régis Courlit, de Blazac près d’Angoulême), Birolut (Roger Pelaud dit), de Saint-Simon-de-Bordes, Nono Saut’Palisse, Maît’Piârre (Pierre Peronneau, petit-fils de Goulebenèze), la Goul à r’sort (vieille dame très verte de 82 ans, de Châteaubernard) ou encore la Nine (Danièle Cazenabe près d’Angoulême) et les jeunes qui pointent leurs nez comme la Margotte, la Julie, la Jhustine, le Natol…

p34b.jpgLes troupes théâtrales ne sont pas en reste. Celle des Durathieurs d’Jhonzat (les dure-à- cuire de Jonzac) occupe une place centrale. Animée par René Ribéraud (dit le Vieux Durathieur, un passionné de la langue saintongeaise), elle tourne beaucoup (plus de 20 représentations dans l’année). Une sorte d’exploit dans le microcosme des théâtres patoisants). Fin août, la troupe était en Corse non pour jouer mais pour passer un bon moment ensemble.

Pas avare de talents, la capitale de Haute-Saintonge compte une autre troupe, les Buzotias d’Jhonzat (avec Birolut et le chef de troupe Francis Denis). Les Vestugheons de Chatignât (Chatignac près de Brossac) présentent la particularité d’écrire leurs pièces eux-mêmes, grâce notamment au talent de Chap’tit (de son vrai nom Pascal Berthelot). Même chose pour la troupe Qu’étou qu’o lé de Salles-d’Angles, ses 27 acteurs et son auteur « maison », Josette Guérin-Dubois. Si Hélène Favroul (nom de scène : la Jhavasse) est née à Poullignac, haut lieu d’un festival patoisant (qu’elle a animé pendant longtemps), Hélène habite aujourd’hui à Montmoreau-Saint-Cybard. Elle a créé deux troupes, celles des Goules Rejhouies de Saint-Yrieix et les Sème Pagaille d’Aignes-et-Puypéroux. A Condéon, Mauricette Boutin veille chaleureusement sur sa troupe des Guerlets d’Condion (Condéon). Comme Nono Saut’palisse sur le foyer théâtre de Gondeville. La Gherbaude, de Mouthiers-sur-Boëme, emmenée par Francis Nézeraud, fait figure de petite nouvelle dans le paysage théâtral saintongeais. Inutile de dire que cette énumération n’a rien d’exhaustif et, surtout, ne présume pas du futur. Car les troupes naissent, se fractionnent, donnent naissance à de nouvelles entités, souvent dans un climat d’orage émaillé de quelques brouilles personnelles.

Car, même dans le monde du spectacle amateur, la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Les caractères sont forts et, quelquefois « oh tire des étincelles » comme le dit joliment René Ribéraud (le Vieux Durathieur). Bon côté des choses : quand une troupe éclate, généralement elle essaime ailleurs, disséminant un peu plus la langue saintongeaise.

p35a.jpgSi, parmi les patoisants, existe une famille particulièrement attachante, c’est bien celle des auteurs de pièces de théâtre en charentais. Bien peu de gens s’essaient à l’écriture, tant l’exercice paraît exigeant et compliqué. A l’intrigue de la pièce, si possible amusante, s’ajoute le vocabulaire. Bien sûr existe des glossaires, des lexiques mais il y faut l’étincelle qui enlèvera la partie, fera briller les acteurs et se tordre de rire la salle. Dans ce petit club assez fermé se glissent aujourd’hui Hélène Favroul, Ginette Delavault, Josette Guérin-Dubois, Guy Moraud (un vieux monsieur), les Vestugheons de Chatignât et son fameux Chap’tit, Bruno Rousse (Nono Saut’Paliss), Nicole Paris, Monique Vialle, Birolut, René Ribéraud (les Durathieurs), Jacques-Jean Godon, de Jarnac, Hubert Rouger de Chermignac près de Saintes (dit le Jhavasson) et d’autres encore…

Chaque auteur a son histoire, son vécu, sa manière de faire. Hélène Favroul par exemple a eu la chance d’écrire très jeune en patois, en même temps qu’elle parlait la langue. « J’ai commencé à l’écrire à 10-12 ans et j’en ai maintenant 65. » Côtoyant les personnes âgées, elle se nourrit de leurs histoires » « Je les mets en pièce » dit-elle avec humour. Elle écrit plutôt l’hiver car l’été elle n’a pas le temps mais l’ordinateur est toujours là, à portée de main et quand elle passe à côté, elle rajoute une petite phrase. L’an dernier, elle a écrit dix pièces dans l’hiver. En fait, ce sont plutôt des sketches qui durent au maximum une demi-heure/trois-quarts d’heure. « Je n’ai jamais écrit une pièce de deux heures dit-elle car je trouve cela trop “lancinant”. »

Josette Guérin-Dubois (Qu étou qu’o lé) ne s’est lancée dans l’écriture qu’assez tard. Au début, elle n’écrivait pas les pièces. « Nous jouions les pièces du répertoire. Mais je les trouvais parfois un peu vieillottes et surtout difficiles à jouer, avec des tirades d’une page. » Elle commence donc par remodeler les pièces en indiquant un « d’après… » Mais, très vite, les acteurs réclament des pièces « maison » et bientôt n’en voudront plus d’autres. Aujourd’hui, toutes les pièces de la troupe sont « cousues mains ». « Le gros avantage, note l’auteur, c’est que j’écris pour mes acteurs. Je connais leurs aptitudes, j’adapte les rôles à leurs personnalités. Quand j’écris, je vois déjà la mise en scène. »

p35b.jpgSur scène le rythme est enlevé, le ton vif et alerte J. Guérin-Dubois n’aime pas les longueurs. Professeur de collège à la retraite, elle avoue être assez intransigeante avec ses acteurs. « Comme en classe, il faut que ça marche ! » En principe, elle leur donne les pièces le 1er décembre pour un spectacle au mois d’avril. Depuis 2007, elle livre toujours deux pièces en patois, une pour les adultes et une pour les enfants. Josette Guérin-Dubois exprime sa grande satisfaction d’avoir pu mettre sur pied cette section jeunes. Sur 27 acteurs, 9 ont mois de 15 ans. « Outre le contact et la relation au texte, mon métier d’enseignant m’aide sans doute à réagir face aux enfants. » Pour cette section enfants, elle réfute le terme de « pépinière ». « Je les laisse venir au théâtre. S’ils se sentent bien, ils y restent. Nous sommes dans l’esprit de faire vivre le patois. »

Au départ, les enfants reçoivent le patois comme une langue étrangère. « Nous sommes obligés d’enregistrer les textes. Ainsi les enfants s’imprègnent des sons. » Pendant un mois, les jeunes travaillent à l’oreille. Mais petit à petit le sens s’éclaire et avec lui arrivent les émotions et le jeu. « On n’exprime bien que ce que l’on comprend. » Mauricette Boutin, de la troupe des Guerlets d’Condion, confirme cette attraction de la « langue étrangère » auprès des enfants. Attendrie, elle relate une réflexion de son petit voisin : « Maman, dis à Mauricette que je veux faire le patois dans la même langue qu’elle. » « C’est trop mignon dit-elle. Les enfants apprennent très vite. »

On ne s’étendra pas sur les vertus du théâtre, qu’il soit en patois ou en français. Confiance en soi, prise de parole en public, développement de la mémoire… Longue est la liste des bénéfices associés à ce « magister » qu’est le théâtre. Car c’en est un. Mais adouci, transcendé par la récompense du public. Les anecdotes fourmillent de ses anxieux, de ces complexés qui s’épanouissent sur les planches. « Une jeune fille en surpoids était hypercomplexée. Maintenant, il faut la freiner. »

Mauricette Boutin se souvient d’une personne qui avait perdu sa fille de 20 ans puis son mari. « Pourtant elle a toujours assisté aux répétitions. Je ne veux pas dire que le théâtre est une thérapie mais il y contribue quand même. Répéter, c’est quatre heures de boulot mais quatre heures de bonheur aussi. Psychologiquement, humainement, cela vaut le coup. »

Josette Guérin-Dubois constate cet effet « libératoire » du jeu. « Un de mes acteurs a toujours peur de ne pas y arriver. A trois-quatre répétitions du spectacle, il m’inquiète. Vous le mettez devant un public et il donne sa pleine mesure. »

Le point de départ, la rampe de lancement des troupes de théâtre patoisant est souvent le même. Au détour d’un événement – commémoration du bicentenaire de la Révolution, du centenaire de l’école communale… – des personnes jouent ensemble une première fois et puis n’ont pas envie que l’aventure s’arrête là. Bien sûr, il y faut un terreau fertile – comité des fêtes dynamique, amicale laïque, association des arts et tradition populaires… – et, facteur essentiel, quelqu’un qui fédère, anime, donne l’impulsion et assure la cohésion. En un mot, l’âme, le ciment du groupe.

Ces chevaliers – et gentes dames – du patois partagent tous en commun la passion de la langue. Souvent, ils l’ont appris dans leur enfance, auprès de grands-parents, oncles, tantes. « Je l’ai stockée. Je la garde en moi » confie Josette Guérin-Dubois.

Tout l’enjeu aujourd’hui est de faire vivre la langue. Objectivement, force est de reconnaître que le patois saintongeais est en passe de devenir une langue « morte », au sens où il ne se parle plus – ou si peu – en famille. Dans les dix ou quinze ans prochains, qui pourra se prévaloir du patois saintongeais comme de sa langue maternelle, la langue parlée par sa mère ? Pour autant, est-on condamné à ne plus l’entendre, à ne plus le comprendre ? « Comme nous restaurons le patrimoine bâti de nos églises, de nos châteaux, conservons notre langue, le patois saintongeais. C’est notre patrimoine culturel le plus précieux » soutiennent les patoisants. Comble de l’élégance : ils le font avec humour. Car le rire est le propre de l’homme et « qui garde sa langue garde sa tête » (proverbe turc).

 

A lire aussi

L’appel à l’aide de l’US Cognac Rugby

L’appel à l’aide de l’US Cognac Rugby

C'est un constat qui a fait le tour des médias, sportifs ou non: l'US Cognac va très mal. Malgré les efforts de Jean-Charles Vicard pour tenter de redresser la barre, le club se retrouve dans une difficile situation financière.  La direction a de fait décidé d'envoyer...

error: Ce contenu est protégé