L’accord politique sur l’OCM vin a été adopté le 19 décembre dernier par le Conseil des ministres de l’Agriculture de l’Union européenne. Ce même Conseil devrait valider réforme. Parce qu’ils sont transversaux ou parce qu’ils touchent davantage la sensibilité régionale, certains sujets apparaissent plus saillants que d’autres. C’est le cas des distillations, du régime des plantations ou encore de l’étiquetage des vins de table et de pays.
C’est un fait, au niveau communautaire, toutes les distillations disparaissent. Par contre, certaines « disparaissent plus que d’autres ». La distillation « Charentes » de l’article 28 par exemple. Elle n’existera plus le 1er août 2008, sans autre forme de procès. Cette suppression « pure et simple » se fera sans période transitoire. Ce n’est pas le cas de deux autres distillations aidées, distillation de crise (article 30) et distillation alcool de bouche (article 29) qui, elles, pourront connaître une rémission de quelques années. A leur sujet, l’accord du 19 décembre prévoit en effet que les Etats membres qui le souhaitent puissent les maintenir pendant quatre ans mais uniquement sur enveloppes nationales* et encore avec un « rétropédalage » (aides dégressives dans le temps) pour la distillation de crise. En ce qui concerne la distillation alcool de bouche, c’est plus flou. Si le texte accorde bien aux Etats membres la même période transitoire de quatre années, il ne dit rien des modalités financières, au grand dam des opérateurs brandies, plongés dans l’expectative face à leurs clients. Satisfaction plus franche du côté des distilleries d’alcool, coopératives ou privées (UCVA, Douence…) qui, elles, poussent un vrai soupir de soulagement. Alors qu’il y a six mois encore, ces mêmes distilleries envisageaient la mort certaine de leurs entreprises, aujourd’hui, elles ont tout lieu d’espérer sauver leurs outils de production. Pour des raisons environnementales, la Commission a accepté de maintenir la distillation des prestations viniques, certes au bon vouloir des Etats membres et à condition que cette distillation soit financée sur enveloppes nationales. Par contre, l’accord politique de l’UE n’assigne pas de durée dans le temps à cette distillation. « Par rapport aux projets initiaux, il s’agit d’une avancée très positive même si beaucoup reste à faire en peu de temps » note Frédéric Pellenc, directeur de la FNDCV, la Fédération nationale des distilleries coopératives vinicoles. « C’est vrai en terme de négociation sur la traduction réglementaire de l’accord politique de décembre 2007 et sur les règlements d’application. C’est vrai en terme organisationnel, sur la gestion des alcools qui seront produits la campagne prochaine par rapport au stockage et à la mise en marché. » Certes l’essai doit être transformé, c’est-à-dire que l’Etat français inscrive effectivement la distillation préventive parmi la dizaine de mesures financées sur enveloppe nationale. Cependant on voit mal comment un ministre de l’Agriculture français qui s’est battu bec et ongle pour maintenir le principe de distillations des prestations des marcs et des lies pourrait renoncer sur la dernière ligne droite. Ceci dit, il ne faut pas rêver ! Ce ne sera pas le Pérou ! L’Europe encadre strictement le budget des aides aux distillations. Pour les prestations viniques, les aides ne pourront couvrir que les frais de collecte et de distillation des sous-produits. La matière première ne sera plus payée aux viticulteurs, comme n’existera plus la prise en charge des alcools. A priori, ces
alcools devraient être vendus sur le marché de la bio-carburation.
la « mort de la double fin charentes »
Pour revenir à la distillation de retrait article 28, jusqu’à présent au cœur de la problématique charentaise, Azziz Allam, directeur du département des affaires juridiques du BNIC, confirme sa disparition imminente : « La
Double fin Charentes est bel et bien morte. Il ne faut plus nourrir d’illusion là-dessus. Sa disparition était d’ailleurs programmée depuis la validation du Plan Zonta par le gouvernement français. » Si le principe d’affectation parcellaire – censé remplacer les effets de la distillation article 28 – manifeste quelque retard à l’allumage, faute de validation juridique imparable, le juriste de l’interprofession se montre confiant : « Je ne connais pas de problème sans solution. Il n’y a pas de crainte à avoir. Ce n’est qu’une question de gestion. »
La libéralisation annoncée des droits de plantations en 2015 (voire 2018 au niveau national) a fait grand bruit depuis le 19 décembre. A juste titre d’ailleurs. Avec elle, c’est tout un pan de la politique viticole, nationale et communautaire qui est menacé de naufrage. Existe-t-il un meilleur mode de gestion que celui qui consiste à maîtriser la production en amont ? La CNAOC (Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie à appellations d’origine contrôlées) ne le pense pas.
A la recherche de systèmes alternatifs – dans la perspective de la réforme communautaire – la CNAOC a posé la question à un cabinet d’avocat bruxellois. Après étude, ce dernier n’a pas trouvé mieux que les droits de plantations. Tout le monde s’accroche au rapport d’étape de 2012-2013 prévu par la Commission comme à une bouée de sauvetage. « Il faudra faire très attention à ce rendez-vous. » Entre-temps, la CNAOC envisage de se rapprocher d’autres filières de qualité, elles-mêmes menacées de voir disparaître leurs outils d’encadrement (quotas laitiers par exemple). « La Commission devra réfléchir aux instruments de maîtrise de nos filières de qualité » indique Pascal Bobillier-Monnot, directeur de la CNAOC. Autre sujet d’inquiétude des représentants des appellations viticoles : « Le manque d’audace » de la nouvelle l’OCM. Par le biais des enveloppes nationales, ne risque-t-on pas d’assister à une renationnalisation larvée de la politique viticole ? Pire ! Les Etats membres n’en profiteront-ils pas pour soutenir à nouveau une politique défensive (aides aux moûts, aux distillations) contre une politique offensive d’aides à la promotion, à la restructuration des entreprises, à l’adaptation du vignoble ? P. Bobillier-Monnot cite un éventuel dommage collatéral : « La disparition programmée de l’OCM viti-vinicole. »
vin sans IG : la mention de cépage autorisée
Les règles d’étiquetage constituèrent un autre chapitre bataillé du projet d’OCM et force est de constater que tout le monde n’en ressort pas gagnant. C’est le cas des Vins de pays qui, au 1er août 2009, devront partager la mention de cépage avec les vins sans IG (sans indication géographique, tels les vins de table par exemple). La Confédération française des vins de pays, présidée par Jean Huillier, y voit un risque de déperdition de la qualité qui nuira, à terme, à l’image des vins de cépages, vins de cépages dont la France domine largement la production. Certes, le ministre de l’Agriculture français a obtenu que les vins sans IG mentionnant le cépage soient soumis à des conditions de contrôles, de traçabilité, voire d’agrément. Mais jusqu’où iront-ils et de quelle manière ? Certes, il a obtenu que les vins de cépages des différents pays de l’UE ne puissent pas être assemblés… sauf si les Etats membres concernés en sont d’accord. Dans ces conditions un Chardonnay italo-espagnol aura tout à fait droit de cité. Réflexion de Jérôme Rouzier, directeur de la Confédération française des Vins de pays : « Tout ce que nous avions mis en place en terme de suivi qualité et qui portait ses fruits risque d’être annihilé demain. » Il souligne par ailleurs le problème de lisibilité entre un vin sans IG mentionnant le cépage, un vin de pays de cépage et un AOC indiquant lui aussi le cépage. « Le consommateur sera de plus en plus perdu. »
Pour faire bonne mesure, les vins de pays vont devenir des IGP (comme les AOC aujourd’hui). S’appliqueront à eux le système des ODG, des OC (organisme de contrôle), des OI (organisme d’inspection), même si des assouplissements se négocieront certainement avec l’INAO. Que sera l’agrément des vins de pays ? En tout cas, leurs cahiers des charges répondront à un formalisme plus lourd (modifications entérinées aux niveaux français et communautaire). « Tout ceci ne va pas dans le sens de la réactivité propre aux vins de pays » notent les représentants de la filière. Leur crainte ? Qu’un fort transfert se réalise vers les vins sans IG avec mention de cépage, même si les défenseurs des vins de pays vont demander que soit « musclé » l’agrément de ses vins sans IG « pour maintenir un niveau qualitatif assez élevé ». En face d’eux cependant, il y a la profession des négociants qui, visiblement, « souhaitent un minimum de contraintes ». Conclusion : ce sera compliqué !
* Enveloppes nationales : ce sont les enveloppes que l’Europe, dès le 1er août 2008, va mettre à disposition des Etats membres pour les aider à s’adapter au nouveau régime. Car la Commission a pris l’engagement que la nouvelle OCM fonctionnerait à « budget constant » – 1,5 milliard d’€ par an – par rapport à l’ancien format. Pour 2008-2009, l’enveloppe française est fixée à 172 millions d’€. Ce montant est prévu d’aller crescendo. L’argent devra servir à financer une dizaine de mesures, à charge pour chaque Etat membres d’effectuer les arbitrages internes, entre distillations, restructuration du vignoble, communication, aides aux entreprises… Dans ce cadre-là, sans doute la région délimitée Cognac aura-t-elle des arguments à faire valoir, elle qui doit s’adapter, « sur le grill », à un nouveau régime (pour mémoire, la distillation de retrait article 28 coûtait à l’Europe environ 10 millions d’€ par an).
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