« Le Paysan Vigneron » – Début 2009, fait-il encore bon vivre en Bons Bois ?
Denis Maurice – En tout cas la crise financière ne frappe pas encore à notre porte. Nous n’en ressentons pas les effets directs. Au moment où je vous parle, il n’y a pas eu de changements brutaux. Les enlèvements se maintiennent. Encore cette année tout partira au Cognac en Bons Bois. Certes, comme partout, des évolutions se font jour. Le prix des vins Cognac a baissé dans notre cru. L’an dernier, des opérations ont pu se réaliser à 850 voire 900 € l’hl AP car la demande était très forte sur le second marché. Aujourd’hui, nous sommes plus proches des 600-650 € l’hl AP. C’est peut-être embêtant à dire mais nous revenons à une certaine logique.
« L.P.V. » – Ressentez-vous quelque chose qui ressemble à la « gueule de bois » (excusez le mauvais jeu de mot) ?
D.M. – Non. Je parlerai plutôt d’une reconstruction. Durant ces deux dernières années, nous nous sommes sentis des viticulteurs comme les autres et non comme les parents pauvres de la région. Culturellement, le sentiment d’être les « parias » de la viticulture charentaise a toujours été très fort ici et peut-être en avons-nous joué. Le fait de mieux vendre a apporté une bouffée d’oxygène aux exploitations. Les viticulteurs ne se sont pas forcément enrichis mais ils ont rééquipé leurs exploitations, qui en avaient bien besoin : cuverie, pressoir, matériel de chai… Bien sûr, des gens à la retraite qui possédaient un stock depuis pas mal d’années en ont profité pour le réaliser. C’était le moment de le faire. Aujourd’hui, les mouvements sur les rassises sont redevenus presque inexistants, en dehors des comptes déficitaires des années 2000 à 2006.
« L.P.V. » – Avez-vous assisté à une contractualisation massive ?
D.M. – Des contrats ont été signés mais pas tant que cela. Ce fut davantage le fait de bouilleurs de cru, qui ont vu là l’occasion de couvrir un peu plus leur distillation. La relative discrétion des livreurs de vin s’explique par au moins deux aspects : d’abord, les livreurs de vins sans contrat n’étaient plus si nombreux et ceux qui restaient n’avaient pas forcément envie de rentrer dans le système. En fait, deux options se présentent au viticulteur : ou bien il choisit la tranquillité pour trois campagnes en signant un contrat, ou bien il préfère rester comme avant. Il faut bien voir que des gens se sont structurés autour d’un certain type de fonctionnement.
« L.P.V. » – Vous semblez dire que les contrats signés n’offrent pas une pérennité à toute épreuve.
D.M. – Pas plus que d’habitude. Ce qui a peut-être changé c’est, qu’en terme de prix, ils se sont alignés sur le prix des grandes maisons. Sinon, ils n’imposent toujours pas plus de contraintes à l’acheteur. Leur durée court sur trois ou quatre ans mais au-delà de la période d’engagement…il n’y a toujours pas d’engagement. C’est pour cela que peu de gens se sont verrouillés complètement avec des contrats alors qu’ils en avaient la possibilité.
« L.P.V. » – Qu’est devenue la diversification dans votre cru ?
D.M. – En dehors de la vente directe, elle a quasiment disparu. Il ne s’est pratiquement pas réalisé de vins de base mousseux ou de jus de raisin durant ces vendanges.
« L.P.V. » – Dans les années de crise, un GIE avait été créé, pour la commercialisation des Cognacs, Pineaux et « vins autres destinations ».
D.M. – Le GIE fonctionne toujours. Même si des opportunités de marché continuent de circuler par son intermédiaire, il n’est plus très actif en terme de commercialisation, faute de marchandise disponible. Il s’est plutôt rabattu sur les fournitures viticoles, les appro. Mais l’outil existe. Si, demain, besoin s’en fait sentir, nous pourrons le réactiver. A une époque, le GIE comme l’OGAF viticole Bons Bois ont sans doute contribué à une mobilisation des esprits. Le peu qui a été fait a permis de renforcer les structures qui avaient envie de l’être. Plus fondamentalement, nous avons su nous réunir et avancer ensemble. Cette réflexion commune, nous continuons de l’entretenir. Le GIE compte une soixantaine d’adhérents sur les deux départements, d’ailleurs davantage en 17 qu’en 16.
« L.P.V. » – Comment les exploitations évoluent-elles en Bons Bois ?
D.M. – Comme partout, elles sont en train de s’agrandir. Les petites exploitations de 4-5 ha de vignes disparaissent au profit des 15, 20 ou 40 ha de vignes. Aujourd’hui, la moyenne se situe sans doute entre 20 et 40 ha.
« L.P.V. » – D’un point de vue global, envisagez-vous l’avenir de manière plus sereine ?
D.M. – En ce qui concerne l’avenir des Bons Bois, je pense en effet que nous sommes plus rassurés qu’il y a dix ans. Le mouvement qui consistait à arracher pour toucher la prime semble derrière nous, à moins que nous retombions dans un marasme encore plus grand que par le passé. D’une façon ou d’une autre, aujourd’hui, les viticulteurs ont le souci de reprendre les vignes. Ceci dit, la région a été secouée. Sur certaines communes ne restent plus qu’un ou deux viticulteurs. Chez nous, la restructuration a été faite. Notre cru est le seul, avec les Bois Ordinaires, à avoir vu sa surface diminuer depuis 1962. Dans tous les autres crus, la surface de vigne s’est étendue, en Fins Bois, en Champagnes. Pour l’instant, la déprise paraît s’être stabilisée. Des cantons demeurent très viticoles comme Baignes, Montendre. Par contre, les cantons de Brossac, Chalais, Montmoreau sont beaucoup plus clairsemés.
« L.P.V. » – Avez-vous le sentiment que le négoce de Cognac s’intéresse plus à vous ?
D.M. – C’est évident que le négoce cognaçais s’est davantage intéressé aux Bons Bois car des contrats pouvaient être récupérés alors que les circuits étaient relativement « bétonnés » en Fins Bois et ailleurs. Toutefois j’ai la faiblesse de penser que la tension de marché n’est pas notre seul argument. Malgré tout, un relatif équilibre des ventes s’instaure entre les crus, fondé sur la qualité. Aujourd’hui, la qualité intéresse les négociants, quel que soit le cru. Ce facteur valorisant, nous essayons de le cultiver, à notre niveau. Tous les ans le GIE organise une dégustation comparative des Cognacs et Pineaux des adhérents, des achats de fûts groupés se pratiquent. Grâce à la progression de la qualité, souhaitons que les Bons Bois restent dans la mouvance, comme c’est le cas aujourd’hui.
* Denis Maurice, de Guizengeard (Bons Bois 16), fut le président fondateur de l’AVI (Association viticole interdépartementale 16/17/33), en 1995. La structure porta le projet de constitution de l’OGAF filière viticole Bons Bois, lancée en 1998. Son objectif était notamment de s’interposer aux « délocalisations » des droits de replantation.
Publication
L’ouvrage d’un tonnelier, Jean-Noël Pelletan
Après son master professionnel droit, gestion et commerce des spiritueux, effectué en un an à Segonzac, Jean-Noël Pelletan a souhaité publier son mémoire de fin étude, soutenu sous la direction de Denis Rochard, professeur à l’université de Poitiers. L’ouvrage est paru en octobre 2008 sous le titre «Le Cognac, les aspects juridiques de son élaboration ». Publié à compte d’auteur, tiré à 350 exemplaires, l’ouvrage s’adresse à ceux qui voudraient découvrir l’environnement juridique du Cognac. Vendu au prix de 50 € TTC, il est disponible en deux endroits – la Maison de la presse à Segonzac, la librairie Le Classique à Cognac – en plus de la tonnellerie Yves Pelletan à Mainxe. Car si Jean-Noël Pelletan taquine la fibre juridique, il est aussi artisan tonnelier et même, aime-t-il le souligner, « maître tonnelier » (reconnaissance délivrée par la Chambre des métiers après passage devant une commission régionale). Agé de 29 ans, ce jeune homme insomniaque – il dort de 2 à 6 heures par nuit – présente la particularité d’empiler les formations comme les merrains s’empilent dans son parc à bois. Son BTS viti-œno, il l’a prolongé d’une licence des métiers de la vigne et du vin à Bordeaux, réalisée entre Enita et fac d’œnologie. Puis le master professionnel de Segonzac a suivi. S’arrêtera-t-il là ? Pas sûr. J.-N. Pelletan s’est découvert une passion pour le droit, doublé d’une bibliophilie axée sur le Cognac. Quant à son métier de tonnelier, il l’exerce avec trois ouvriers, dans le respect du bel ouvrage. L’entreprise fondée par son père, Yves Pelletan en 1973, a délibérément choisi un développement sélectif. Son activité se partage entre de grands crus bordelais et une clientèle de viticulteurs charentais. Ce parti pris de rareté, Jean-Noël Pelletan l’assume pleinement.