Un vieil adage vigneron ne dit-il pas « qu’une belle récolte est toujours plus belle que l’on ne croit et une faible récolte toujours plus faible ». En 2012, sera-t-on dans le second cas de figure ? On peut le penser. Alors que la récolte, en Charentes, a débuté au cours de la première semaine d’octobre et de façon plus massive le lundi 8 octobre, le rendement est « déceptif ». De 80 à 110 hl vol./ha, à 8,5 ou 9 % vol : tel semble être le « cœur de cible ». Par rapport au rendement Cognac autorisé – 10,83 hl AP/ha – l’on s’attend à un déficit de récolte moyen
allant de 0,5 hl AP/ha à 2 hl AP/ha. Certes des viticulteurs seront en mesure de le compenser en mobilisant leur réserve climatique. Mais pas tous. Car la climatique ne concerne que la moitié de la viticulture. Ainsi, mathématiquement, la région s’oriente vers un manque de marchandise. La principale crainte concerne les PME du Cognac, les plus exposées. Le prix des eaux-de-vie jeunes va-t-il se retrouver « boosté » par cette situation ? A voir. A l’exception d’une grande maison, les autres acheteurs ne s’étaient pas encore prononcés début octobre. Dans un tel contexte, une chose est sûre ! La demande récurrente du négoce de voir « planter de la vigne » ne pourra que prospérer. Pour l’heure, force est de reconnaître que des rendements faibles à moyen « plombent tout le monde », viticulture comme négoce.
A la recherche des causes de cette récolte un peu trop chiche, le premier réflexe viserait à incriminer le mildiou. A y regarder de plus près, ce serait une fausse piste. Par rapport aux « grandes années mildiou » comme 2007, 2000, 1999 et même 1988 et 1977 pour remonter plus loin, 2012 serait de la « petite bière ». « A condition de se montrer assez réactif, les attaques mildiou n’étaient pas insurmontables » affirme un technicien de terrain. « Dans mon groupe, beaucoup ont réussi à le contenir sans pratiquer 15 traitements. » Un responsable professionnel pointe la sécheresse de l’année. « Les grappes sont très serrées et la peau très épaisse. Normalement, il faut 110 kg de raisins pour extraire 100 l de jus. Cette année, il en faut 130 et, dans le Midi, 160 kg. » Un conseiller viticole accuse pour sa part la sécheresse de 2011, bien plus que celle de 2012. « Je remarque que les vignes qui ont beaucoup souffert de la sécheresse l’an dernier ont produit peu de bois de taille. Conséquence : elles donnent de petits rendements. On le constate chez des viticulteurs qui travaillent bien, que le mildiou n’a pas pénalisés. Simplement, ils sont sur des terres à faibles réserves hydriques, comme vers Châteauneuf, Saint-Simeux ou certains coteaux de Grande Champagne. La sécheresse de 2012 a certainement creusé le trait mais je pense que la sécheresse du printemps dernier a été bien plus impactante. » Le même remarque que, souvent, le faible TAV des moûts (entre 8 et 8,5) s’accompagne d’une faible acidité, comme si le phénomène de blocage avait joué à la fois sur l’acidité et le TAV (titre alcoométrique volumique ou degré).
Ensuite, il faut bien voir qu’un peu partout, des viticulteurs réussissent à « tenir leurs rendements » et « faire le quota ». Chacun cite dans son voisinage celui qui récolte 150 hl ou 200 hl vol./ha. Une fois de plus, c’est à mettre sur le compte d’une « très forte hétérogénéité », qui semble être l’une des caractéristiques du vignoble charentais. Très forte hétérogénéité des rendements – du simple au double – mais aussi hétérogénéité de maturité, dans toute l’acception du terme « maturité » : TAV potentiel, acidité totale, azote assimilable.
Les grosses exploitations sont souvent désignées pour leur propension à « décrocher ». Pas si simple. C’est sur la capacité ou non « d’organiser le travail » que, souvent, la ligne de partage s’établit. Exemples de structures importantes qui, effectivement, « décrochent » et d’autres qui assurent le rendement là où de petites exploitations n’y parviennent pas. A l’évidence, l’exploitation familiale « simple » (15-20 ha) ou « + » (jusqu’à 30 ha) a davantage de facilité pour exercer un suivi « idéal » : remplacement des pieds, entretien du sol, protection ajustée. A l’autre bout de la chaîne, les vignobles XXL cherchent à faire tomber les charges, recourent à plus de mécanisation (les 35 heures), ont tendance à privilégier la « généralisation ». Mais rien n’est rédhibitoire « à condition de savoir organiser le travail ». « C’est ce qui fait la différence entre une exploitation qui fonctionne bien et une exploitation qui fonctionne mal » diagnostique un technicien très impliqué dans la mobilisation des ressources productives. Il rappelle que l’on peut savoir organiser le travail sur 25 ha et ne pas savoir « donner des ordres » sur une exploitation de 50 ou de 70 ha. Un changement de dimension, presque un changement de philosophie. « Des exploitations qui ont grandi trop vite vont payer le prix fort cette année » dit-il, avant d’émettre des réserves sur le « tout agrandissement » qui semble avoir le vent en poupe depuis quelques années. « Avant de s’agrandir, les jeunes et les moins jeunes devraient se demander s’ils sont capables de produire 12 h AP/ha. La bonne santé du Cognac n’empêche pas de réfléchir à ces questions. C’est une manière de consolider l’édifice. »
Pas rapport aux années précédentes, si un vrai motif de satisfaction existe, c’est celui du travail au chai. Des températures « ni trop chaudes ni trop froides » permettent aux fermentations de bien se dérouler. Elles démarrent dans de bonnes conditions, ne montent pas trop haut en température (entre 25 et 27 °) et durent le temps qu’il faut, entre 5 et 6 jours. « Nous sommes proches des conditions idéales » confirme une œnologue. « C’est très positif pour la qualité des vins de distillation. »
De mémoire de négociant en vin de bouche, c’est peut-être la première fois que la pénurie de vin se fait sentir dans toute l’Europe. La Sicile est le seul vignoble de l’UE à produire plus que l’an dernier. La raison ! Elle avait procédé à des vendanges en vert l’an dernier, qu’elle n’a pas reconduit cette année. Sinon, ailleurs, tous les vignobles affichent des baisses de rendement par rapport à 2011. En France, manque à l’appel entre 20 et 22 % des volumes. « C’est compliqué cette année, surtout sur les blancs » confirme un opérateur. En Charentes, le marché potentiel des Vins blancs des Charentes s’élèverait à plus d’un million d’hl. Bien sûr, il ne sera pas satisfait en totalité, loin de là. Des négociants régionaux s’apprêtent à payer 50 € l’hl vol. les moûts UB et même un peu plus (52 € pour les Colombard). « Ce n’est pas ridicule pour un paiement fin décembre. Il est normal qu’un partage s’instaure avec des gens qui nous ont suivis et qui nous font confiance. » A noter qu’au niveau national la hiérarchie des prix se tasse entre les Ugni blancs et les vins de cépages. Comme si, à un moment donné, il s’était planté trop de Chardonnay et de Sauvignon.