"Une récolte comme ça, je suis prêt à signer pour 30 ans » constate en souriant un viticulteur de Fins Bois. Et c’est vrai que le millésime 2010 devrait laisser un bon souvenir dans les mémoires : excellentes conditions de récolte, vendange saine, belle maturité, températures convenables même si « un poil trop chaudes » durant quelques jours, acidité suffisante pour ouvrir la voie à de bons Cognacs et des volumes au rendez-vous. A dire vrai, le seul bémol concernerait justement ces volumes, non pour déplorer un manque mais au contraire des excédents parfois. Et comme la viticulture a « horreur de jeter ».
C’est presque une rengaine. L’hétérogénéité aura été le maître mot du rendement en Charentes cette campagne, une hétérogénéité qui ne se retrouve pas forcément ailleurs. Dans les autres régions françaises, on parle plus volontiers de récolte « jalouse », marquée soit par la sécheresse, soit par la pluie. En Charentes, la sécheresse a certes sévi mais sans trop altérer les rendements, hormis sur les terres séchantes ou les situations d’enherbement massif. A priori les viticulteurs charentais, dans leur grande majorité, feront leur « quota ». Le chiffre de 120 hl vol./ha annoncé par la Station viticole semble tenir la route et pourrait même être dépassé. Une fois encore le triangle Archiac, Pons, Gémozac avec une pointe vers Jonzac fait « carton plein ». Il n’est pas rare d’y croiser des rendements de 150-160 hl vol./ha avec même des quantités « naturelles » de 300 voire 400 hl vol./ha. A Archiac, un bon arrosage, trois semaines avant les vendanges, « a mis du jus dans les grappes ». Un viticulteur du cru annonce, sur ses 60 ha, une moyenne de 135 hl vol. à environ 10 % vol. Surtout il note un pH bien meilleur que l’an passé, c’est-à-dire plus bas. Même tendance sur les cantons de Barbezieux et Baignes où des rendements peuvent grimper à 150 hl vol./ha. Sur Montguyon, en terres plus séchantes, les volumes risquent d’être moindres. La région de Rouillac a bénéficié de précipitations début septembre. Dans certains secteurs, ces pluies ont pu dépasser les 40 mm. D’où des rendements honorables de 130-140 hl/ha. Ce niveau de rendement se rencontre aussi dans la région de Burie-Brizambourg mais avec des situations plus contrastées. L’eau tombée ou pas début septembre aura fait la différence. Dans des argiles assez compactes, peu arrosées, les volumes seraient plus près des 110-120 hl vol./ha et encore sur des exploitations qui comptent pas mal de vignes étroites. Heureuse surprise cependant : « le nombre de grappes a compensé en partie le manque de jus ». Globalement, la région de Grande Champagne est celle qui connaît le plus de déconvenues. Un viticulteur de la région de Segonzac s’attendait à 130 hl vol./ha. Il est plus près des 110 hl vol. à 10,5 % vol. Dans certaines zones, la gelée de printemps a fait plus de mal qu’on ne le pensait. Sur des vignes gelées, il n’est pas rare de voir les rendements plafonner à 25 hl vol./ha. Mais là encore, c’est très hétéroclite. A 3 km de distance, une exploitation affiche une moyenne de 200 hl vol./ha. Elle aussi a été touchée par la grêle. Mais il suffit qu’elle compte un peu plus de jeunes vignes, beaucoup d’arcures hautes et de cordons, moins sensibles à la gelée et, pour faire bonne mesure, qu’elle ait grêlé l’an dernier. Cette disparité à tous crins, un opérateur rompu à l’estimation du potentiel de récolte la confirme – « On entend tout et le reste et a priori c’est exact. Dans un mouchoir de poche, les rendements peuvent passer du simple au double. »
Motif de satisfaction pour les responsables viticoles. Cette année, il ne devrait pas y avoir de débordements sur les rendements « débouchés industriels » vin de table, jus de raisin. Le message de la modération est bien passé, chez les viticulteurs comme chez les courtiers. La raison a prévalu.
Non, le véritable problème de la campagne, s’il doit y en avoir un, sera celui des excédents. La région table sur un niveau d’excédents compris entre 500 000 et 1 million d’hl vol. avec un cœur de cible autour de 800 000 hl vol. selon un calcul théorique assez simple. Si la récolte 2010 se rapproche de celle de 2006 (moyenne de 120 hl vol./ha) cela donne une quantité totale de 8,8 millions d’hl vol. pour des quantités autorisées de l’ordre de 7 millions d’hl. Ceux qui ont affecté aux « autres débouchés » disposent d’un certain delta pour ajuster leurs volumes, mais les autres ? Ne pas récolter ! C’est courir le risque de voir sa vigne considérée en non-production, sans parler des problèmes d’épuisement des ceps. Vendanger bennes levées ! Le raisin par terre est avant-coureur de mildiou, d’acidification des sols, de mortalité des pieds. « Benner au tas de rappes » ou « envoyer le vin au fossé »… La nature – et peut-être pas seulement elle – y trouverait à redire. Alors, que reste-t-il comme solution ? La réserve de gestion de 0,5 hl AP – officiellement actée (voir page 7) va conférer une flexibilité supplémentaire. Les viticulteurs vont certainement continuer d’abonder leur réserve climatique. A quel niveau ? Si certains prévoyaient un tiers du volume de l’an dernier, ils pencheraient maintenant pour la moitié « car les viticulteurs ne veulent pas jeter ». Un courtier se montre plus réservé : « Mes clients vont finir de remplir la cuve mais n’iront pas au-delà. Ils n’achèteront pas une nouvelle cuve. Par ailleurs, la fiscalité les a refroidis l’an dernier. » Reste alors comme unique exutoire l’envoi à la distillerie communautaire. Une solution somme toute indolore car, cette année encore, la distillation des vins voués aux excédents devrait se faire à coup zéro pour le viticulteur. C’est en tout cas l’information qui filtre de plusieurs distilleries. Reste que distiller 200 000 hl vol. comme l’an dernier ou potentiellement 800 000 hl vol. cette année, ce n’est pas exactement pareil. Si pertes il y a, elles seront maximisées. C’est pourquoi une réunion a été programmée le 26 octobre entre les distillateurs agréés et l’interprofession du Cognac pour voir si des pistes de règlement existent
Qu’une belle récolte pose problème, c’est évidemment une situation nouvelle et paradoxale pour tout viticulteur normalement constitué. Accessoirement, elle ouvre un boulevard à ceux pour qui la solution ne passe pas par l’affectation. Dans ce contexte, des témoins prédisent « une grogne de la viticulture », grogne d’autant plus forte, disent-ils, « que les viticulteurs adorent se mettre en colère quand cette colère n’altère pas leurs relations avec leurs acheteurs ». Les excédents de récolte, un bouc émissaire tout trouvé ! Ceci dit, force est de reconnaître le caractère contre nature et pour le moins frustrant de la situation : produire pour détruire. D’abord cela génère un coût, ensuite c’est insatisfaisant. Faut-il en accuser les opérateurs vin « qui ne se seraient pas montrés à la hauteur de la situation ? » Cela paraît difficile dans la mesure où ce ne sont pas eux qui ont rempli la déclaration d’affectation. Certes, on peut peut-être regretter qu’à 20 ou 22 € de l’hl vol., les prix des moûts de vinif. aient été un peu en deçà du souhaitable. « A 23-24 € l’hl vol., c’eut été un signal fort de l’affectation, pour cette campagne et pour la prochaine. » Mais cet élément n’a pas joué seul. Il faut y ajouter la pression exercée par les négociants pour « trier les vins ». D’où la nécessité d’en avoir trop pour en avoir assez.
Cette année encore, la région s’accommodera, peu ou prou, du peu de place accordée – ou prise – par la diversification. Mais c’est parce que le Cognac va bien. Que se passerait-il dans un contexte différent ?
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