Détruire les excédents Cognac à coût zéro ! Techniquement, Revico sait faire mais son modèle économique repose sur quelques paramètres qui dépassent le strict cadre régional.
Voilà plus de vingt ans que la société Revico exploite la technique de la méthanisation pour traiter les résidus de distillation. Le process technique repose sur le schéma suivant : la méthanisation des vinasses dégage de l’énergie, sous forme de biogaz. Cette énergie – vapeur et énergie électrique – est consommée sur place ou vendue à EDF. Sur place, elle sert à distiller à la colonne les vins des articles 27 et 28 ainsi qu’à détartrer les vinasses (production de tartrate de chaux). Ce système fonctionne en circuit fermé : ni rejet de gaz carbonique ni consommation d’énergie fossile (notion de boucle énergétique). Il n’en fut pas toujours ainsi. A l’époque de sa création, en 1965, l’usine de dépollution des vinasses créée par les négociants de Cognac utilisait le pétrole pour évaporer l’eau des résidus de distillation et récupérer l’acide tartrique. Mais les différents chocs pétroliers, conjugués à la chute du prix des tartrates, sapent l’équilibre économique. A la fin des années 70, Marcel Menier, le directeur du site, a connaissance d’une expérience de méthanisation de résidus viticoles à Bologne. Déplacement éclair en Italie des principaux actionnaires de Revico – dont René Firino Martell – et décision d’appliquer au plus vite la méthode aux Charentes. De 1977 à 1984, Marcel Menier peaufine le procédé. Revico s’équipe d’un fermenteur anaérobie, présenté à l’époque comme le plus gros du monde. Aujourd’hui, une cinquantaine d’exemplaires de ce type existe en France (papeterie, sucrerie, industrie fruitière…). On en retrouve un en Afrique du Sud, dix en Inde, trois en Espagne, un en Irlande dans le domaine laitier… Un temps détenteur d’un process, Revico sera beaucoup copiée. Aujourd’hui encore, on reconnaît à Marcel Menier et à son usine un « tour de main » en matière de méthanisation.
Le fermenteur (ou digesteur) s’inspire directement de l’appareil digestif de la vache, le rumen. Ce n’est ni plus ni moins qu’un gros bidon où des bactéries sélectionnées et portées à température de 37 °C se nourrissent de matière organique avant de la transformer en gaz carbonique et en méthane. « Je peux traiter ici les rejets journaliers d’une ville de 1,5 million d’habitants », signale M. Menier. Le technicien reconnaît que dès sa création, en 1965, l’usine Revico était surdimensionnée. « C’est le négoce qui a payé la différence », dit-il. Mais cette taille XXL a conféré à l’outil son caractère évolutif. C’est encore cette même flexibilité qui a valu à Marcel Menier de pouvoir répondre à la commande du négoce.
La commande du négoce
Car les principaux actionnaires de Revico – Hennessy, Martell, Courvoisier – lui ont demandé de réfléchir au meilleur moyen de détruire du vin à un coût zéro pour la viticulture. Passionné de technique, le directeur de Revico s’est remis à la recherche. Si le vin n’est pas difficile à méthaniser, il faut néanmoins changer son pH et passer par une phase d’acidification – produire du vinaigre – avant de le livrer à la voracité des bactéries. Ces bactéries consommatrices de sucre et d’alcool sont elles-mêmes un peu différentes de celles qui « boulottent » les vinasses. Sinon le principe reste inchangé : les vapeurs issues de la méthanisation servent à distiller le vin, sur la base d’un rapport de 1/3 / 2/3, 1/3 de vin méthanisé pour 2/3 de vin distillé. Coût énergétique nul et le négoce charentais s’est engagé à couvrir les frais de fonctionnement. Dans le cas de la destruction des excédents Cognac, est émise l’hypothèse d’une vente de l’alcool à la carburation, après un passage dans une usine fabricant du carburol. Pour l’alcool de carburation, on parle d’un prix de marché de 21 € l’hl AP, une rémunération nécessaire à l’équilibre des comptes mais certainement pas suffisante. Pour que le modèle économique fonctionne, il doit passer par les fourches caudines du ministère de l’Economie et des Finances, quelque part celui qui ouvre et ferme les vannes de la biocarburation en France en accordant les lignes de détaxation à la TIPP. On a également vu que la DGCCRF nourrissait certaines craintes à l’égard des règles de libre concurrence (voir page 20). « C’est une question de volonté politique », reconnaît Marcel Menier. Ce dernier a remis son rapport technique de deux feuillets au directeur du BNIC. On y trouve la confirmation que l’outil Revico peut traiter 1,2 million d’hl vol. provenant des excédents Cognac, en plus des 3 millions d’hl déjà traités aujourd’hui. Les chaudières à colonnes distillent jusqu’à 8 000 hl de vin par jour (220 000 hl vol. par mois). Il suffirait donc de rallonger la campagne de cinq mois – en fait maintenir l’usine en activité toute l’année – pour boucler l’opération. Mais cette belle construction intellectuelle reste suspendue à pas mal d’inconnues, politique, réglementaire, fiscale. Quelle place serait-on prêt à accorder aux 100 000 hl AP d’alcool vinique en provenance des Charentes ? En toute logique, les discours sur le réchauffement de la planète comme le prix du baril de pétrole devraient aider à la manœuvre.