Il ne l’est pas vraiment, linguiste, le chef de troupe des Durathieurs d’Jhonzat. Mais il en possède les connaissances, la culture et surtout le feu sacré. Son désir, sa mission ! Ecrire une grammaire et un glossaire du Saintongeais pour que la langue reste vivante auprès du plus grand nombre.
Cette langue saintongeaise, vous la connaissez bien. Vous l’avez étudiée ?
Je l’ai fait tout naturellement, en autodidacte. Le patois, je l’ai toujours parlé avec ma mère. Elle le parlait, je le parlais. Une langue maternelle, ça ne s’oublie pas. Mais c’est marrant de voir combien on peut s’identifier à une langue. Ma sœur par exemple, n’a jamais eu la même inclinaison. « Quelle horreur ton patois ! ». Passée l’adolescence, je suis parti, j’ai travaillé à Limoges, à Bordeaux. Pourtant, quand je revenais chez moi, à Mortiers, Neuvicq-de- Montguyon, je parlais patois. Un jour, quelqu’un est venu me chercher pour jouer avec les Buzotiat d’Jhonzat. C’était en 1992. Je pense que Mme Constantin, qui jouait dans la troupe, en avait parlé à Birolut. Le patois me plaisait mais j’étais très timide. La première année, on me confia un tout petit rôle de trois ou quatre phrases. J’en avais bien assez. Et puis, comme cela arrive souvent, la troupe s’est scindée en deux et les Durathieurs sont nés, en 1994. Dès le départ, j’ai acheté des glossaires, des dictionnaires. J’ai découvert cette langue, sa richesse, sa précision. Un jour, quelqu’un m’a dit que j’étais un « linguiste ». Bien sûr que non. Mais j’aime la langue, sa prononciation. Je suis à cheval sur le vocabulaire. Quelque part, je voudrais que le patois saintongeais soit le plus « pur » possible.
Vous avez commencé à écrire une grammaire charentaise. Celles qui existent ne vous satisfont pas ?
Tous les documents dont nous disposons sont de très bons supports techniques mais uniquement destinés aux professionnels que sont les patoisants. De plus, ils datent souvent de la fin du 19e, du milieu du 20e. Les situations qu’ils évoquent sont très éloignées de l’univers de nos contemporains. Ainsi sont-ils relativement inexploitables par les novices, les non-initiés. Il faut absolument vulgariser les écrits sur le patois, afin qu’ils deviennent accessibles à tous. Raymond Doussinet par exemple a produit une grammaire extraordinaire : « Le parler savoureux de Saintonge ». Mais, pour en goûter toute la substance, mieux vaut déjà être bon connaisseur. Lorsqu’un patoisant moyen rencontre une expression qu’il n’a jamais entendue, que fait-il ? il passe à la suivante sans s’arrêter. Je rêve d’un glossaire complet, associé à une grammaire, qui serait à la fois exhaustif – inventaire de tous les mots patois et non patois utilisés dans notre langue – qui indiquerait la prononciation de chaque mot et en donnerait le sens. Pour qu’une langue soit vivante, le minimum exigé est d’en transmettre les clés. Ce n’est qu’à cette condition qu’elle sera « complète », même si cette expression peut prêter à discussion.
A titre personnel, qu’en pensez-vous ? Le patois charentais est-il, oui ou non, une langue « complète » ?
Le saintongeais fut pendant des siècles une langue exclusivement orale. Les hommes ont toujours parlé pour communiquer entre eux. Dans le vocabulaire saintongeais, se retrouvent tout aussi bien des racines latines, germaniques, celtes, des mots très anciens qui mirent des milliers d’années à évoluer, au fil des circulations, des échanges. Langue orale, il s’agissait forcément d’une langue simple, que tout le monde pouvait comprendre et mémoriser, du plus intelligent au moins intelligent. D’où un patois saintongeais réduit à 5-6 000 mots – la capacité de mémorisation d’un homme « normal » – quand la langue française en possède 60 000 (dictionnaire Robert) et compte pas moins de 300 000 sens, soit, en moyenne, cinq sens par mot. Si la langue française est une langue foisonnante, le patois charentais, lui, a le mérite d’être extrêmement précis. En patois, les mots n’ont généralement qu’un sens voire deux, un sens propre et un sens figuré. Il s’agit d’une langue de la vie familiale, du travail, du commandement. A tâches précises, vocabulaire et syntaxe précis, contrairement au français, beaucoup plus vague et flou.
Vous avez des exemples concrets ?
Arrêtons-nous au pronom « lui ». Le français l’utilise indistinctement au sujet d’un homme ou d’une chose – « C’est lui » (l’homme) » ou « Je lui donne une feuille ». A contrario, le charentais va dire « O lé li » pour l’homme et « je zi doune une feuille ». C’est beaucoup plus clair. Même chose pour notre fameux pronom neutre o par rapport au « il ». En saintongeais, on ne dit pas « il faudrait qu’il pleuve pour qu’il travaille » mais « O faudrait qu’o mouille pour qu’il travaille ». Vous appréciez la nuance ! Encore un exemple. Le français utilise le verbe être pour l’action de tomber : « je suis tombé », une aberration. En saintongeais, on dit « j’ai ché ». C’est beaucoup plus juste. Et la liste est immense.
On entend souvent dire que le patois harentais est du français déformé. Qu’en pensez-vous ?
Le problème du patois charentais, comme toutes les langues d’oïl, c’est qu’il a servi de creuset au français. Quand elle s’est constituée, la langue française a bien dû puiser quelque part et elle l’a fait à partir du bassin parisien et au-delà. Si la langue française s’était appuyée sur la langue d’oc ou la langue bretonne, aujourd’hui, la langue saintongeaise ferait figure de langue « pure », car totalement différente du français. Au contraire, le français lui a emprunté beaucoup de termes. Dit autrement, saintongeais et français partagent un vocabulaire nombreux. Malheureusement, tous ces mots « empruntés » n’ont pas été répertoriés par les glossaires saintongeais. Ce qui renforce l’impression d’une langue inaboutie, « incomplète ».
A-t-on une idée de l’époque où les « canons » – les règles – du saintongeais furent posés ?
Moi je considère que le patois charentais s’est arrêté d’évoluer vers 1700, quand le français a commencé à vraiment coloniser la France. Il fallait bien un sabir commun pour se déplacer de région en région. Paradoxalement, c’est alors qu’elle n’était pas écrite que la langue saintongeaise était vivante. Le début de l’écriture du saintongeais a coïncidé avec son déclin, même s’il ne faut pas forcément y voir de lien de cause à effet.
De quand datent les premiers écrits sur le saintongeais ?
Au début, le patois était uniquement écrit par des gens instruits, qui se faisaient un plaisir de coucher sur le papier « la langue du peuple ». Le plus vieux document connu remonte à 1738. Ce sont les « Manuscrits de Pons ». Nous sommes restés longtemps – jusqu’après 1970 – à ignorer qui en était l’auteur. En fait, il s’agit de Jacques Besse (1706-1771), curé d’Annepont, petite commune du canton de Saint-Savinien, près de Taillebourg. En plus de noter tout ce qui se passait dans sa paroisse, Jacques Besse composa un recueil de poèmes, en français et en patois. A la lecture, je me demande s’il n’y a pas un certain mélange de saintongeais et de poitevin, entre les « jhe », saintongeais et les « i » poitevins. Mais c’est très intéressant. D’autres auteurs vinrent compléter l’édifice comme Pierre Jônain (1799-1884), originaire de Gémozac, par ailleurs professeur d’anglais à Bordeaux, Burgaud des Marets, auteur de pièces de théâtre (Jarnac, 1806-1873), Marc Marchadier, Marcel Pellisson, Raymond Doussinet, instituteur à Bréville de 1922 à 1954, mort en 1978…
Peut-on soutenir que le saintongeais vit encore ?
Objectivement, pour moi, il est en train de vivre ses dernières décennies. Cela ne veut pas dire que personne ne le parlera plus. Mais, en tant que langue vernaculaire, transmise dans le giron familial, il est en train de s’éteindre inexorablement, avec la disparition des octogénaires, des nonagénaires. Bien sûr, toute règle connaît son exception. Dans la troupe des Durathieurs nous avons une jeune fille de 25 ans, Florine, qui parle le charentais « à pienne goule ». Elle l’a appris de ses parents. Chez elle, le saintongeais ne disparaîtra pas. Elle le gardera. Il ne disparaîtra jamais. Par ailleurs, on peut toujours l’apprendre et les « convertis » le parlent parfois mieux que les « natifs ». Tout le monde n’a pas la même facilité. Par contre, une expérience ne trompe pas, c’est celle de l’improvisation. N’improvisent en patois que les gens qui l’ont entendu au berceau. Dans notre troupe, Michel fait partei de ceux-là. Lui, il ne fait pas d’efforts pour trouver ses mots. Ils lui viennent naturellement.
Au fil du temps, craignez-vous une sorte « d’abâtardissement » de la langue saintongeaise ?
Si l’on n’y prend garde, bien sûr. La langue s’éloigne de nous à la vitesse de l’éclair. Quand je dis nous, je ne pense pas aux patoisants, spécialistes de la langue, mais aux personnes qui nous entourent. Certes, tout le monde connait le sens de « o mouille », « un cheun » mais c’est un peu court. Je constate aussi que les gens, de plus en plus, veulent rire et se divertir en venant écoutant du patois. Il faut composer avec. Ce qui me fait bondir littéralement, c’est que nous sommes en train de perdre notre pronom neutre, le fameux o. Les gens, croyant parler charentais, disent facilement – « i mouille ». Le « i » n’est pas charentais. En charentais, on dit « o mouille ».
Vos projets pour demain ?
Je m’attelle à ma grammaire et au glossaire. J’y crois. Je voudrais surtout que ce soit l’occasion de nous réunir entre patoisants et non patoisants, pour travailler la prononciation et l’écriture du patois charentais. Prenons l’expression « O l’ét ». Se présente une vingtaine d’écritures différentes. J’aimerais que nous nous mettions d’accord. A trop laisser faire « la main invisible du parlé », que se passera-t-il ? Nous risquons de nous rapprocher de plus en plus de la langue française, ce qui serait désolant. Si j’en ai le courage, je souhaiterais aussi faire des relevés dans les maisons de retraite. Il n’est que temps. Nos anciens disparaissent. Et il y a encore tellement d’expressions charentaises à capter, d’histoires à raconter. Nous savons protéger nos églises, notre patrimoine bâti. Mais nous oublions gaillardement notre patrimoine le plus riche, la langue régionale.
Les Durathieurs, marathoniens du théâtre saintongeais
Qui dit mieux ! La troupe des Durathieurs d’Jhonzat a interprété, depuis sa création en 1994, 63 pièces en patois. Et chaque année, elle propose une vingtaine de représentations dans les communes de Charente, Charente-Maritime et même du pays Gabaye, ce nord-Blayais qui parle saintongeais. Les « hostilités » démarrent en janvier pour se conclure fin avril. Entre-temps, la troupe se sera déplacée de Plassac à Sainte-Césaire en passant par Saint-Laurent-de-Cognac, Reignac-de-Blaye, Saint-Aigulin, Jonzac… Un record qui fait d’elle un véritable marathonien du théâtre saintongeais. Dans la galaxie patoisante, il s’agit sans doute de la troupe qui « tourne » le plus. La norme est davantage à cinq-six représentations, un week-end ou deux.
Composée d’une dizaine d’acteurs chevronnés, la troupe n’a pas de section jeunes. Lors des répétitions, René Ribéraud regrette de ne pouvoir consacrer plus de temps à l’expression des visages, à la gestuelle. « Le patois est une chose mais cela reste du théâtre. Pourtant les acteurs ont du mal à jouer sans spectateur. C’est quand il y a du public qu’ils donnent leur pleine expression. » Et de noter que « les acteurs joueront d’autant mieux que la salle sera bonne ». Par « bonne salle » il faut entendre une salle rompue au patois, qui capte toutes les subtilités d’un théâtre qui n’en manque pas.