Le besoin d’assurer le rendement pour se défendre des aléas climatiques, pour assurer les ventes, pour conserver au Champagne ses bulles a depuis longtemps forgé la philosophie dominante de la Champagne. « Il nous faut 13 000 kg de raisin », sachant qu’il s’agit du rendement maximum de l’appellation et que le rendement moyen est plus proche de 12 000 kg/ha. François Lhotte, responsable Vignoble chez Moët et Chandon – le plus gros vignoble champenois avec le contrôle de 800 ha, 700 exploités directement, 100 donnés à des métayers – n’en fait pas mystère. Il est très circonspect face à une technique comme l’enherbement. « Depuis dix ans, nous avons la chance d’échapper aux gelées mais en ces matières, il convient d’avoir une vision à 30 ans. » Il n’oublie pas d’établir le distinguo entre un vin de Bourgogne tout acquis à la concentration et un vin de Champagne où les bulles jouent comme un exhauseur de goût, un précurseur d’arômes. C’est toute la différence entre un vin tranquille et un vin mousseux. « Le Chardonnay, dit-il, est un cépage un peu magique qui supporterait sans doute un rendement un peu au-delà de notre appellation. » Le Pinot Meunier (40 % de l’encépagement) s’auto-régule tandis que le Pinot noir n’est pas ennemi des excès et sa qualité s’en ressent, surtout dans des terres froides comme en Montagne de Reims. Il faut le garder à l’œil. Mais F. Lhotte le répète : « Pour nous le rendement n’est pas un focus. Savoir s’il faut 10 ou 15 bourgeons sur un pied n’est pas vraiment le problème. Notre vision qualitative ne se situe pas là. Il y aurait sans doute plus à perdre à élargir inconsidérément la zone d’appellation. » Le rendement reste en Champagne une grille d’évaluation entre viticulteurs.
Etre meilleur que son voisin, c’est récolter plus de raisins. A l’inverse, ne pas avoir des vignes « faites comme un jardin » ou afficher des rendements moindres, c’est prendre le risque d’être montré du doigt. La maison Louis Roederer s’expose à ce type de critiques. A contre-courant de l’idée dominante, elle fait depuis quelques années du contrôle des rendements un facteur qualitatif. Une mini-révolution culturelle. Il faut dire qu’elle en a les moyens. Plus gros vignoble privé de Champagne – 200 ha dans les meilleurs crus – elle maîtrise, suivant les années, entre 50 et 60 % de son approvisionnement. C’est l’exception de la Champagne et la richesse de la maison. L’un des trois chefs vignerons de la maison raconte : « Mon poids de grappe est toujours inférieur de 20 à 25 % à celui de mes collègues (110 g contre 140-180 g) mais le degré grimpe de 1 % vol., voire 1,2 % vol. » Dans des conditions exécrables comme purent l’être les vendanges 2001, il estime avoir tiré le meilleur parti de la vendange et disposer d’un avantage compétitif qui se retrouve à la dégustation.
Une qualité plus resserrée
A côté du volume de récolte, le degré représente un autre enjeu : au-dessus de 12 % vol., le vin perd de sa fraîcheur, il ne correspond plus aux canons du Champagne. En dessous de 8,5 % vol., cela ne fonctionne pas non plus. Le bon équilibre sucre/acidité se situe sans doute dans une fourchette de 9 à 10,5 % vol. Pour ce faire, il faut avoir un matériel végétatif performant. Sachant qu’il existe très peu de produits curatifs en viticulture, la question est de savoir « s’il faut faire du préventif systématique ou du préventif raisonné ». Depuis 25 ans en Champagne, François Lhotte a assisté « au développement faramineux de la connaissance des plantes et des produits ». Programme Magister, système expert, modélisation… Le CIVC, le SRPV, les coopératives, le négoce se sont engagés à fond dans la viticulture raisonnée, avec le sentiment d’être toujours sur le fil du rasoir, entre l’obsession de ne pas se laisser déborder par les maladies et la tendance lourde du respect de l’environnement.