« Une tortue, un couvercle sur le dos »

24 juin 2009

motard_2_opt.jpegFrancis Motard, viticulteur, compare la région délimitée Cognac à « une tortue, un couvercle sur le dos ». De loin en loin, ce couvercle se soulève pour deux ou trois années d’euphorie puis retombe lourdement en de longs cycles de quinze/dix-sept ans. A la veille de la détermination du rendement Cognac 2009 et avant affectation de récolte, le viticulteur voit dans un taux de rotation du stock inférieur ou égal à 6 années le seul moyen pour la viticulture d’échapper durablement au « syndrome de la tortue ».

 

« Le Paysan Vigneron » – Les Charentes n’ont pas assez d’un escargot comme emblème. Voilà que vous les gratifiez d’une tortue !

Francis Motard – La tortue possède l’étrange particularité d’avoir une carapace sur le dos. J’imagine cette carapace se soulevant à l’occasion de quelques années fastes – 1973 / 1975 / 1989 / 1990 / 2007 / 2008 – et puis retombant platement pour de longues années de galère. Je pose la question : existe-t-il vraiment une fatalité à ce que la région de Cognac connaisse de tels cycles ? Personnellement, je pense que non.

« L.P.V. » – Quelle solution proposez-vous ?

F.M. – Une solution toute simple : adapter la production aux sorties en faisant du taux de rotation du stock le seul indicateur qui vaille. On sait que la situation déraille dès que ce taux de rotation dépasse six années. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les tableaux statistiques sur une longue période. En ce qui concerne la campagne 2009, à mon avis, il est urgent de réagir. Alors que les ventes commençaient à baisser depuis novembre 2007, nous avons trop produit en 2008. Une première erreur. Les sorties continuent de baisser. Allons-nous récidiver en 2009 ?

« L.P.V. » – Vous ne faites pas confiance à la formule de calcul du rendement mise au point par l’interprofession ?

F.M. – Je ne connais pas la formule et je ne l’ai jamais connue. A vrai dire, j’ai toujours eu l’impression qu’on nous la cachait. Peu importe d’ailleurs. Je persiste à penser que, « pour sa bonne gouvernance », la région de Cognac n’a besoin que d’un seul indicateur : le taux de rotation du stock. Si l’on ne met pas très rapidement le stock en adéquation avec les sorties, la marchandise ne vaudra plus rien et la viticulture continuera à être sous le couvercle de la tortue. Le remède est simple. Il consiste à ne pas trop distiller, à ne pas s’accorder des facilités telles que les réserves de ceci ou de cela. En 1975, nous avons fait du gelé, en 1992 du bloqué et en 2009 il faudrait faire du climatique et du qualitatif. Arrêtons les erreurs de nos aînés. Arrêtons tout ça !

« L.P.V. » – A être trop malthusien dans sa démarche, ne risque-t-on pas de tuer le marché, clairement de manquer de marchandises le jour où les ventes reprendront ?

Je ne crois pas au manque de marchandises. Dans cette région, il y a toujours eu beaucoup plus de marchandises qu’il n’en fallait. En fait, il y a bien trop d’ha en Charentes. Tout le problème est là. Le négoce a largement de quoi s’approvisionner. Veut-on changer la donne pour pouvoir bénéficier de contrats de 27 ans comme en Champagne de Reims ou veut-on faire perdurer les cycles du Cognac ?

« L.P.V. » – Vous ne contesterez pas que certains négociants ont pu manquer de marchandises les années précédentes, ce qui a expliqué en partie la hausse des prix.

F.M. – L’histoire nous montre que le Cognac a toujours été un produit hautement spéculatif, où les stratégies d’entreprises jouent un rôle déterminant. De tout temps, les acheteurs ont cherché à « croquer leur voisin » à coup de captation du stock, créant du coup des surenchères artificielles. A ce compte-là, je ne parlerai pas exactement de pénurie.

« L.P.V. » – Vous conviendrez alors qu’un rendement trop faible a de quoi étrangler la viticulture face à des coûts de production élevés.

F.M. – Chaque situation comptable est différente mais la capacité de la viticulture à s’adapter me semble importante. Quand elle était à 6 hl AP/ha, la viticulture n’a certes pas investi mais elle est toujours là et les ha aussi. Grâce au formidable boulot réalisé par le commerce de Cognac ces dernières années, nous avons pu réinvestir sur nos exploitations. La peinture est neuve. Pendant quelque temps, sachons nous montrer raisonnables en terme volumique, pour la bonne cause.

« L.P.V. » – Que pensez-vous de l’affectation aux autres débouchés, jus de raisin, vin de table. Peuvent-ils justifier de « lâcher du lest » sur le rendement Cognac ?

F.M. – J’ignore si les gens, ici, sont au courant mais, dorénavant, toutes les régions viticoles d’AOC ont droit d’affecter une partie de leurs surfaces aux autres destinations. Dans ces conditions, il est clair que les prix des vins de table, vins de base mousseux et autres jus de raisin ne vont pas grimper, d’autant que l’on nous a supprimé le garde-fou de l’article 28 qui établissait un prix plancher. Arrêtons de penser que l’on peut gagner de l’argent sur ces autres débouchés même si cette campagne les opérateurs vins de table régionaux auront sans doute à cœur de proposer des prix corrects, après deux années blanches. Mais je vous laisse imaginer ce qui se passerait après deux grosses récoltes consécutives. A terme, je crains malheureusement que nous soyons obligés de laisser des raisins dans les vignes, à moins d’accepter le débouché brandy.

« L.P.V. » – Dans le contexte charentais, il s’agit d’une proposition iconoclaste.

F.M. – Cessons l’hypocrisie qui consiste à ne pas voir que l’essentiel du brandy français vendu dans le monde passe par la région des Charentes. Le succès remporté par les maisons de Cognac ces dernières années apporte la preuve manifeste que le brandy ne fait pas d’ombre au Cognac. C’est comme si l’on disait que le mousseux fait de l’ombre au Champagne. Le danger ne vient pas du brandy mais pourrait venir d’un Cognac à bas prix qui contredirait l’image du Cognac, premier alcool au monde par sa qualité. Ce n’est pas en se focalisant sur le brandy qu’on luttera contre cet écueil mais bien en se montrant inflexible sur l’adéquation du stock au niveau des sorties. Sinon, c’est la porte ouverte au marché à la casse et là, oui, la concurrence entre le brandy et le Cognac devient éminemment dangereuse. A mon avis, à la vitesse où ça va, il n’y a pas de temps à perdre. Serrons le pas de la production, pour éviter de rentrer dans une zone à haut risque.

« L.P.V. » – Les négociants de Cognac ne sont peut-être pas de votre avis, soucieux de préserver le développement futur de leurs marchés.

F.M. – C’est possible mais on peut aussi considérer qu’un rendement revu à la baisse jouerait comme une bouffée d’oxygène pour un acheteur dont les ventes sont en panne et qui a du mal à trouver de l’argent de son banquier. Dans le contexte actuel, je ne suis pas sûr qu’un faible niveau de production contrarierait beaucoup les acheteurs.

« L.P.V. » – Qu’adviendrait-il des jeunes qui ont besoin de produire pour faire face à leurs investissements.

F.M. – Pour ma part, ayant un fils sur l’exloitation, j’aimerai lui laisser un avenir plus serein.C’est penser aux jeunes et se comporter en personnes responsables que d’éviter qu’il y ait trop de stock et que la marchandise ne vale plus rien. Ceci dit, je peux me tromper dans mon analyse. Je l’admets tout à fait et suis ouvert au dialogue.

Francis Motard exploite trente ha de vignes et une petite surface de céréales. Vendeur direct de Vins de pays, Pineau, Cognac, il tire la principale partie de son chiffre d’affaires de la vente en bouteilles. Membre des Vignerons indépendants, mouvement dans lequel il dit se sentir en affinité, le viticulteur adhère à aucun syndicat même s’il a « de bons échanges » avec les membres de ses formations. F. Motard fait partie du conseil d’administration de l’UCVA ainsi que du conseil d’administration de l’UFAB, la branche brandy de la coopérative de distillation de Coutras.

 

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