Renaud Fillioux de Gironde, le maître assembleur

27 août 2018

La Rédaction

Depuis un peu plus d’un an, il est désormais celui qui porte l’image de la qualité des productions dans la maison Hennessy. Renaud Filloux de Gironde est le 8e du nom à occuper la fonction de maitre assembleur chez le numéro 1 du Cognac. A seulement 40 ans, il réunit chaque jour, à 11 heures précises, une équipe de 6 dégustateurs experts pour procéder à l’examen de chaque lot à acheter ou en stock dans la maison. Ce rituel de dégustation qui s’exerce sous une forme extrêmement codée et hiérarchisée est aussi l’une des signatures de la maison.

LPV : Vous avez été choisi pour succéder à votre, oncle Yann Fillioux, à l’une des fonctions les plus prestigieuses de la maison Hennessy, était-ce votre destinée ?

Renaud Fillioux – De Gironde : Absolument pas. Rien n’était écrit et je n’ai jamais vécu la moindre pression de la maison ou de mes proches sur le sujet. A l’issue de mes études de commerce, en 2001, j’ai été invité par le président de l’époque, Mr Navarre , qui m’a proposé de travailler pour la maison Hennessy. J’y ai exercé plusieurs fonctions, à commencer par les relations avec les viticulteurs. Années après années, j’ai eu la chance de pouvoir être initié à l’exercice de la dégustation par mon oncle Yann. Lorsque celui-ci a estimé que j’étais prêt, la maison a décidé que son histoire se poursuive de cette manière.

 

LPV : En quoi est-ce aussi important pour la maison Hennessy de mettre en avant la continuité générationnelle dans la fonction de maître de chai ?

Renaud Fillioux – De Gironde : Nous évoluons dans un univers viticole et les viticulteurs savent mieux que quiconque l’importance de la transmission dans nos métiers. Je pense bien sûr au savoir-faire mais aussi à des notions beaucoup plus subtiles telles que les valeurs de l’entreprise ou la vision d’avenir de la maison. Ce sont des éléments qui s’apprennent, et parfois même qui  se vivent. Leur transmission est plus facile lorsqu’il existe une relation de confiance sans équivoque entre deux hommes. Notre famille a toujours travaillé pour la maison Hennessy et nous traitons chacune de ces eaux de vie comme s’il s’agissait de notre propre héritage.

 

LPV : Et ces valeurs, quelles sont-elles ?

Renaud Fillioux – De Gironde : Nous avons le devoir de garantir la constance de la marque et de chacun des éléments de la gamme. La coupe de notre VSOP est inchangée depuis 1818 celle de XO date de 1870. Il est primordial pour chacun de nos clients de savoir que la continuité de la qualité de chacun de ces produits est assurée par une personne centrale dans l’entreprise. Ma place se situe donc dans cette salle de dégustation pour préserver et transmettre ce patrimoine et faire en sorte de toujours tendre vers la perfection.

 

LPV : Pourriez-vous définir quel est le style de la Maison Hennessy ?

Renaud Fillioux – De Gironde : Nous encourageons nos livreurs à exploiter le meilleur potentiel de leurs vins et de leurs terroirs en les aidant si nécessaire mais nous nous attachons à ne pas interférer dans leurs pratiques quand les résultats sont à la hauteur de nos attentes. Les méthodes sont multiples pour parvenir à l’excellence et nous faisons confiance à l’expertise de nos partenaires pour la connaissance et la mise en valeur de leur potentiel. Le juge de paix est notre dégustation. Une fois que les eaux de vie entrent dans notre stock, la dégustation prend un nouveau rôle : nous allons orienter chaque eau de vie sur un cycle de vieillissement ou un débouché potentiel pour révéler son potentiel. Notre rôle est d’identifier l’aptitude de certains lots à se révéler au vieillissement ou, pour d’autres, à être consommés jeunes. Par exemple, s’il s’agit d’une eau de vie destinée au VS, elle devra être parfaite sur ses fondamentaux. C’est une qualité versatile mais avec une vrai identité.

 

LPV : Qu’entendez-vous par « révéler au vieillissement » ?

Renaud Fillioux – De Gironde : Avant d’arriver à l’étape ultime de l’assemblage final, il existe tout un processus de sélection des eaux de vie au fil de leur vieillissement. L’important est de savoir détecter le potentiel de chacune pour la placer sur la bonne voie. Une belle eau de vie mise dans des conditions optimales de vieillissement au vu de ses caractéristiques donnera naturellement un excellent Cognac.

 

LPV : Quelles sont les grandes étapes de dégustation d’une eau de vie lorsqu’elle a intégré votre stock ?

Renaud Fillioux – De Gironde : Elles sont multiples. Durant la campagne de distillation, nous nous concentrons prioritairement sur la dégustation des eaux de vie nouvelles. A partir du mois de mars-avril, à l’occasion de l’inventaire, nous procédons à l’évaluation de l’ensemble du stock en partant des lots les plus jeunes jusqu’aux plus âgés. Pour les assemblages nous partons d’une trame et nous sélectionnons les profils d’eau de vie les plus en adéquation avec cette cible. L’analyse interfère assez peu à cette étape du processus, à l’exception des paramètres comme les phtalates lors de l’achat par exemple. Nous tenons à ce que la dégustation soit le socle de chacune de nos décisions car c’est le moyen d’analyse le plus précis au final. Pour illustrer notre soucis du détail, nous évaluons l’impact ce chaque nouveau matériel qui intervient dans notre processus et même la qualité des matériaux au contact comme le verre, par exemple, dont la qualité peut interférer sur le contenu. C’est ainsi que nous avons pris la décision d’installer, sur la nouvelle chaine de mise en bouteille de Pont Neuf, un carrousel 10% plus grand que le module standard du fournisseur. Cela nous permet de remplir plus lentement chaque bouteille et d’améliorer substantiellement la qualité finale pour le consommateur.

 

LPV : Disposez-vous d’un stock suffisamment confortable pour garantir la qualité de vos productions ?

Renaud Fillioux – De Gironde : Être constant dans la qualité lorsqu’on traite de grands volumes, c’est effectivement un gros challenge mais si les eaux de vie sont bien sélectionnées et bien vieillies, il n’y a pas de crainte à avoir sur ce point. Concernant les disponibilités, s’il existe des tensions sur l’approvisionnement, notre approche qualitative ne changera pas. En clair, si nous ne disposons pas de suffisamment d’eau de vie prêtes à la commercialisation, nous ne produirons pas et nous ne vendrons pas.

 

LPV : Lorsque Hennessy a réduit progressivement les achats de bonne fin auprès de la Sica de Bagnolet pour intégrer des eaux de vie plus tôt dans le stock, n’était-ce pas dans le but d’anticiper la préparation des lots, et donc de commercialiser des eaux de vie plus jeunes ?

Renaud Fillioux – De Gironde : Il faut d’abord souligner que les volumes de la Sica de Bagnolet ne représentent qu’une petite partie de notre approvisionnement. En réalité, l’objectif de cette nouvelle organisation était surtout de pouvoir commencer à préparer les eaux de vie plus tôt car nous étions parfois limités par la « dead line » du premier avril. Nous avions atteint la limite d’un système compte tenu de notre développement.

 

LPV : Parlez-nous du comité de dégustation.

Renaud Fillioux – De Gironde : J’ai la chance d’avoir des personnes extrêmement compétentes à mes côtés. Chacun apporte un niveau d’expertise dans sa spécialité : Benoit Gindraud, pour la Tonnellerie et le Vieillissement, Jean-Pierre Vidal et Olivier Paultes pour la distillation et Alain Deret pour le vieillissement. Assistent également 2 membres en cours de formation qui sont habilités à prendre des notes mais qui ne peuvent pas s’exprimer durant les séances, il s’agit de Mathilde Boisseau pour les Vignobles la Vinification et de Felix Pouyanne-Lafuste pour la distillation. A l’issue d’une dizaine d’années de formation, ces derniers seront en mesure de siéger au comité pour remplacer leurs pairs.

 

LPV : Comment avez-vous trouvé la qualité du millésime 2017 ?

Renaud Fillioux – De Gironde : Nous étions inquiets pour ne pas dire sceptiques suite à l’épisode de gel et nous nous interrogions sur la façon dont la vigne allait réagir. Nous avons vu passer quelques échantillons herbacés et amers mais le niveau global du millésime fût meilleur que ce que nous avions anticipé et d’une façon générale, le millésime 2017 est d’une plus grande qualité que 2016. Cela veut dire que nos livreurs se sont beaucoup impliqués pour tirer le meilleur parti de ce millésime compliqué. Il est central pour nous d’impliquer tout le monde dans la chaine de la qualité. Cela concerne les viticulteurs, mais aussi nos équipes sur le vieillissement ou le conditionnement.

 

LPV : Le rôle d’un maître assembleur est aussi de créer de nouveaux produits et la tendance à Cognac est aujourd’hui à l’innovation. Qu’en pensez-vous ?

Renaud Fillioux – De Gironde : Chez Hennessy, nous sommes fiers de notre histoire et de notre patrimoine. Nous pensons qu’il existe beaucoup de manières d’innover sans pour autant renier ces valeurs que ce soit au travers de la présentation des produits ou leur consommation. La série spéciale « Master blender » ou le « Hennessy 8 » illustrent bien la façon dont nous percevons l’innovation chez Hennessy. Ces questions se discutent en ce moment au BNIC dans un groupe de travail auquel je participe. Le débat y est saint et je m’en félicite.

 

 

 

 

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