L’ordre de marche d’Hennessy

10 février 2009

ordre_de_marche_dhennessy.jpgAdaptation des achats au marché, primauté à la qualité, appel à une « rationalisation progressive du vignoble »… Le président change mais le discours demeure, preuve s’il en fallait, que la politique d’Hennessy s’inscrit dans une démarche concertée.

Manifestement, les aspects liés à la production intéressent Roland de Farcy, le nouveau président d’Hennessy. Il les aborde de plain-pied, sans forfanterie mais sans non plus les dérobades d’un débutant. Il emploie le « je » et le « nous ». Et c’est peut-être ce discours « à plat », concerné mais dépassionné, qui en dit le plus long sur cet « ordre de marche » qu’Hennessy s’emploie à dessiner depuis plusieurs années déjà. Sur un ton très tranquille, R. de Farcy énonce par exemple « qu’à moins de se tourner un film », il faudra aller vers une rationalisation progressive et donc une augmentation de la QNV. « Cette transition doit se faire et elle se fera. » Concernant le lien essentiel entre le niveau de QNV et les prix, ses propos ne laissent guère d’ambiguïté. « A 6 de pur, les gens ne peuvent pas vivre. Par ailleurs, écologiquement parlant, il n’est pas forcément optimal de jeter 5 hl AP/ha à la poubelle. Pour partager la “manne” des 6, une solution consisterait à ce que le négoce augmente ses prix d’achat de 25 à 30 %. A ce stade, existent deux alternatives : que le négoce vende plus cher de 30 % ou qu’il absorbe cette hausse dans ses marges. Si tel était le cas, sur les 200 maisons de négoce existant actuellement, à mon avis, il n’y en aurait pas cinq a tenir plus de deux ans. » « Globalement, poursuit-il, le Cognac n’est pas un “business” de grande croissance. Aujourd’hui, sur le marché français, à 135 F la bouteille, un VS se retrouve au même prix qu’un Blend Whisky de 12 ans d’âge. A 170 F, il atteindrait le niveau de prix d’un Blend de 18 ans d’âge. Le consommateur commencerait à tiquer un peu. » « Dans le jeu concurrentiel où nous sommes, poursuit-il, le prix est un élément de l’équation. L’eau-de-vie nouvelle de Cognac est quatre à cinq fois plus chère que le Whisky. La matière première n’est pas la même, le process de distillation plus complexe. Il n’y a pas de honte à cela. En revanche, si l’écart se creusait, il est certain qu’un jour le Cognac disparaîtrait. » On ne saurait être plus clair.

Début septembre, un violent coup de projecteur a été jeté sur la politique d’approvisionnement d’Hennessy. Au cœur du sujet, la clé de répartition des achats entre Fins Bois et Champagnes et la notion « d’exclusivité ». Lors d’un petit déjeuner de presse, organisé le 10 septembre sur les Quais, la maison s’est expliquée sur ses intentions.

Sur les fins bois, toute !

Sur la localisation de ses achats tout d’abord, la société a effectivement confirmé que ses achats allaient être réorientés vers les Fins Bois. « C’est l’évolution naturelle et tout à fait inévitable de nos produits qui le veut car nous-mêmes subissons la volonté des marchés. » R. de Farcy a ainsi indiqué que les ventes de VSOP Fine Champagne ne représentaient plus aujourd’hui que le quart de leur volume de 1992, sous l’effet de la décroissance du marché japonais. Dans le même temps, les gains de parts de marché aux Etats-Unis ont valu à la marque de voir son VS progresser d’un peu plus de deux fois. Alors que VS et VSOP faisaient à peu près jeu égal il y a dix ans, le rapport est aujourd’hui de 1 à 10. La société vend dix fois plus de VS que de VSOP. « En terme de ratios, nos besoins sont dix fois plus élevés en Fins Bois qu’en Grande et Petite Champagnes. Cela signifie que nos achats progresseront de plus en plus vers les Fins Bois car c’est la nature de notre business qui le commande. » Yann Fillioux ne dit pas autre chose. « Les achats d’Hennessy sont dictés par le mix de ses ventes. Pour faire simple, plus de VS signifie plus de Fins Bois et moins de VSOP, moins de Grande et Petite Champagnes. Notre métier consiste à s’adapter. »

A la question de savoir pourquoi Hennessy a maintenu ses achats en Champagnes ces dernières années, nouant même des relations avec de nouveaux partenaires, le directeur de la société apporte la réponse suivante : « le système des Bonnes Fins Cognac – achat de Petite et Grande Champagnes, payées à échéance sur une base Fins Bois – ne pouvait qu’être une solution de transition. Il est tout à fait normal que les Champagnes aspirent à vendre dans leurs crus. En 2000 et 2001, une recherche difficile de Fins Bois de qualité nous a amené à souscrire des Bonnes Fins Cognac, mais il était clairement dit que ces Bonnes Fins avaient un caractère ponctuel et ne présentaient aucune pérennité. En 2002, la diminution des contrats d’un autre négociant de la place a mis sur le marché des volumes très importants de Fins Bois de qualité, ce qui n’était pas le cas en 2000 et 2001, d’où notre réorientation vers des Bonnes Fins Fins Bois qui sont une solution d’avenir, contrairement aux Bonnes Fins Cognac qui, elles, ne sont pas une solution d’avenir. » Est-ce à dire qu’Hennessy n’achètera plus en Petite et Grande Champagnes ? « Si nous sommes amenés à nous retirer en partie des Grandes et Petites Champagnes, avec un transfert inévitable des volumes, il ne s’agit pas non plus de supprimer les Bonnes Fins Petite et Grande Champagnes. Les Champagnes possèdent une capacité à veillir que n’ont pas les Fins Bois et il y a quand même un peu de Petite et Grande Champagnes dans nos VS ! »

Premier critére : le terroir.

Il ne faudrait pas penser non plus que la voie qui s’ouvre aux Fins Bois s’apparente à un boulevard. Le négociant prend soin de l’encadrer de critères qualitatifs. Le premier et le principal tient au terroir. « Hennessy a le souci de l’excellence. Il existe de très bons Fins Bois et des Fins Bois faibles, des terroirs en Fins Bois qui ne produisent pas d’eaux-de-vie de qualité. A contrario, nous pouvons acheter 80 à 90 % de certaines communes de très bonne origine. Nous connaissons des communes sans aucun problème, des communes sans trop de problème et des communes qui n’ont que des problèmes. » Le second critère est lié à l’homme, dans son talent à révéler le terroir. « Les audits sont là pour vérifier cette capacité et apporter les conseils nécessaires. » Ces deux critères réunis, la société se dit prête à développer les Bonnes Fins Fins Bois. « Nous le ferons dès cette année. »

La notion d’exclusivité a fait couler beaucoup d’encre. Hennessy allait demander à ses livreurs de devenir exclusifs, c’est-à-dire de livrer 100 % de leur volume ou de ne pas livrer du tout ! Faux, s’insurge la maison par la voix de Yann Fillioux. « Hennessy n’a jamais eu l’intention d’avoir une politique de livreur exclusif. Nous travaillons avec 1 700 partenaires et plus de la majorité d’entre eux vendent à d’autres maisons. Le problème est venu de quelques livreurs de Petite et Grande Champagnes, qui étaient à 100 % pour la récolte 2001, et à qui nous avons pu consentir une dérogation en 2002, malgré notre volonté de nous réorienter vers les Fins Bois. Ceci ne concerne pas plus de 20 à 30 livreurs, quelques centaines d’hl AP soit, dans nos achats, quelque chose de totalement marginale. » Si Hennessy confirme que « l’exclusivité n’a jamais été une exigence », la société ne nie pas sa volonté de travailler à terme avec des viticulteurs chez qui elle représentera « une part significative ». Cette « position significative », la marque l’a situe à 50 % des achats et en fait « une attitude générale vis-à-vis de ses livreurs pour qu’ils deviennent des partenaires ». Interrogés sur une éventuelle stratégie de diminution de ses livreurs, la société a répondu par la négative. « On ne limite pas le nombre de nos livreurs. Si nous arrêtons de travailler avec un certain nombre de livreurs de Petite et Grande Champagnes, nous travaillerons avec davantage de livreurs de Fins Bois. Dans notre démarche, il n’y a ni stratégie d’exclusivité ni stratégie de diminution du nombre de nos livreurs. » Roland de Farcy a demandé à ce que l’on n’élude pas ce qui constituait une « bonne nouvelle pour la région » : l’augmentation des achats d’eaux-de-vie par Hennessy. « En 2001, Hennessy a acheté 60 % de plus qu’en 2000 et les achats 2001 ont représenté près du double de 1999. En 2002, la maison achètera plus que l’an dernier. Hennessy a la chance méritée – et je le dis d’autant plus facilement que je n’étais pas là – de bien se porter et de voir sa part de marché avoisiner les 40 %. Il est assez légitime que cette position suscite envies, jalousies. Mais cette bonne santé d’Hennessy est aussi une bonne nouvelle pour l’ensemble de la viticulture. Car ce qui fait vivre les viticulteurs de cette région, ce sont ceux qui achètent. »

Circonspect sur le marché français

« On n’abandonnera pas le marché français mais est-ce que l’on dépensera beaucoup d’argent pour le reconquérir ? » En elle-même la question posée par Roland de Farcy vaut réponse. Les raisons invoquées tiennent bien sûr à l’hégémonie de la grande distribution qui « avale toute marge possible », le brouillage des marques distributeurs. Mais une autre raison est avancée. Celle de dire que les nouvelles formes de consommation relèvent « d’une œuvre de longue haleine, bien plus longue peut-être que prévu. Des efforts ont été faits dans ce sens, notamment par le BNIC, mais combien de temps investir et pour quel résultat ? » Hennessy n’élude pas pour lui-même semi-échecs ou semi-réussites. « Parmi nos produits lancés depuis 8 ou 9 ans, tout n’a pas vraiment fonctionné. » Ainsi, les Single distilleries, directement inspirées des Single malts n’ont pas forcément trouvé leur place dans l’univers du Cognac. « Mais a-t-on mis tous les moyens qu’il fallait ? » Pure White « reste un combat de très longue haleine » même si R. de Farcy dit trouver le produit remarquable par sa mixabilité. Quoi qu’il en soit, l’heure est à la prudence. « Il convient de garder une certaine constance dans la gamme car, aussi bien pour le VS que sur le VSOP ou l’XO, les consommateurs d’alcool restent très conservateurs dans leurs goûts. L’introduction de nouveaux produits doit être regardée avec pas mal de circonspection. »

Le VSOP plus profitable que le VS

Une maison de négoce a-t-elle la capacité d’orienter le marché ? Dans un contexte de différenciation des achats, la question n’est pas neutre. En clair, Hennessy aurait-il intérêt à pousser le VS contre le VSOP ou l’XO ? Sans hésitation, le président d’Hennessy répond par la négative. « En ce qui concerne la faculté d’orienter les marchés, j’aimerais bien que ce soit le cas mais ce qui est considérée comme une grande marque de Cognac reste, à l’échelon mondiale, d’une taille relativement modeste. Elle ne dispose donc pas d’une capacité véritable à influencer le marché. Sur l’arbitrage entre qualités jeunes et qualités vieilles, la plus grande profitabilité va à l’évidence aux qualités vieilles. Un XO vendu 100 $ ou un Paradis 250 $ recèlent des marges très très honorables. Le vieillissement est payé par le consommateur et c’est la base même de notre métier de négociant. La stratégie que nous sommes en train de mettre en place au Japon va complètement dans ce sens.

 

 yann_fillioux.jpg« Travailler avec les meilleurs »

Yann Fillioux, directeur général d’Hennessy, revient sur la politique d’achat de la maison et les relations avec ses livreurs.

« Revue Le Paysan » – Vous dites souhaiter représenter une part « significative » chez vos livreurs. Qu’entendez-vous par là ?

Yann Fillioux – Notre vision est toujours sous-tendue par deux choses : l’instantané et la situation durable, c’est-à-dire le moyen/long terme. Dans le moyen/long terme, c’est-à-dire à échéance de 3-5 ans, nous souhaitons représenter une part significative des ventes de nos livreurs. Cette part significative, nous la plaçons à 50 %. Par contre, l’exclusivité n’a jamais été une stratégie d’avenir pour Hennessy. Sous prétexte de quelques cas réglés ponctuellement de cette manière, nous avons été choqués de voir qu’un tel message de destabilisation puisse être envoyé à nos partenaires. Presque les deux tiers d’entre eux travaillent avec d’autres acheteurs et nous ne voulons en aucun cas remettre cela en question.

« R.L.P. » – Comment définiriez-vous la politique d’achat d’Hennessy ?

Y.F. – La maison va chercher à intensifier ses relations avec les gens qui travaillent bien et évidemment se désengager des gens dont la qualité ne lui convient pas. D’une façon nuancée, je voudrais dire que l’approvisionnement Hennessy relève d’un grand « concours ». Ceux qui travaillent bien auront toujours plus de place chez nous que les autres. Nous privilégierons les meilleurs livreurs, quelle que soit la filière d’approvisionnement. Ce qui compte pour nous, c’est l’excellence de la qualité. La qualité ne s’assimile pas à de la comptabilité ou à de la reconduction. Ce challenge qualité, c’est donner la possibilité à ceux qui font mieux de travailler davantage avec nous. C’est vrai dans tous les crus mais encore plus vrai dans un contexte de baisse des volumes dans certains crus. La pression se fera sur la qualité.

« R.L.P. » – Concrètement, que demandez-vous à vos livreurs ?

Y.F. – Parmi les critères qualité, un des principaux tient à l’origine, c’est-à-dire au terroir : de bonnes terres pour faire du bon Cognac. Et dans chaque cru, il existe des différences. Vient ensuite la capacité de chaque livreur vis-à-vis de son équipement, de la technique, du soin apporté au produit. Des gens peuvent avoir de très bons terroirs mais n’être pas de bons viticulteurs et inversement. Cependant, et je dirais heureusement, il arrive souvent que se dégage une conjonction de facteurs : bon terroir, bon équipement et bonne approche qualité de l’exploitant. Nous rencontrons des gens qui ont envie de faire bien et qui manifestent une sensibilité qualité très marquée. A l’évidence, ceux-là auront plus de chance de travailler avec nous que les autres. Le professionnalisme ne s’arrête pas à la production mais suppose d’avoir une bonne sensibilité qualité. Le professionnalisme est un maître mot pour l’avenir de notre produit.

« R.L.P. » – Qui dit concours dit gagnants et perdants ?

Y.F. – Notre but n’est pas d’éliminer des gens mais faire en sorte qu’ils produisent la meilleure qualité. Les audits, les rencontres avec nos techniciens ou un spécialiste comme Jean Pineau n’ont pas d’autre but. La stabilité passe par la qualité. C’est aussi simple que cela. Dans une entreprise quelle qu’elle soit, une personne incompétente sera remplacée. Vous devez être très bon professionnellement. C’est une garantie de pérennité. La maison Hennessy paie des prix corrects par rapport au marché. Si les viticulteurs veulent travailler avec elle, ils devront rentrer dans ses critères.

« R.L.P. » – Vous avez indiqué votre intention d’acheter moins de Champagnes. Que va-t-il se passer pour vos livreurs ?

Y.F. – Un mot sur la baisse des achats en Grande et Petite Champagnes. Elle s’explique par le fait que nous vendons moins de VSOP Fine Champagne au Japon et que nos ventes de qualités vieilles, qui se portent bien, ne compensent pas la diminution. Notre VS compte une très forte base de Fins Bois et notre VSOP Privilège s’appuie lui aussi sur une base Fins Bois. Il est donc normal de privilégier l’approvisionnement Fins Bois. Par ailleurs, nous avons très clairement dit que l’avenir n’était pas aux Bonnes Fins Cognac. Elles doivent évoluer vers des Bonnes Fins Fins Bois. Pour répondre directement à votre question, je dirais que nous travaillons avec de nombreux viticulteurs de Grande et Petite Champagnes et que nous n’avons aucune intention de remettre en cause nos relations avec eux. Simplement, si nous achetons moins dans ces crus, nous achèterons aux meilleurs. L’avenir d’une entreprise est conditionnée par les choix de celui qui la dirige. Ces choix peuvent se révéler plus ou moins bons. L’homme est largement responsable de son avenir.

« R.L.P. » – Des commentaires sur la campagne ?

Y.F. – Les négociants, de manière unanime, avaient demandé une QNV de 6,5 pour cette campagne. Le ministère a suivi la position de la viticulture et retenu les 6. Je constate simplement que face à des besoins de 460 000 hl AP, évaporation comprise, une QNV de 6,5 aurait débouché sur la production de 415-420 000 hl AP, soit le déstockage de 40 à 50 000 hl AP. Les comptes jeunes atteignent des niveaux que l’on peut juger ou très raisonnables ou faibles par rapport aux besoins. On parle beaucoup du stock d’eaux-de-vie rassises mais il faut savoir qu’il ne recèle pas que de bonnes eaux-de-vie. Si ces eaux-de-vie sont encore en stock, il y a parfois des raisons.

« R.L.P. » – Que pensez-vous de la création du nouveau syndicat ?

Y.F. – Quand les viticulteurs ont besoin pour vivre de 8,1 hl AP – je vous renvoie pour cela à la lecture de l’Avenir viticole 2001, bientôt actualisé pour 2002 – je les comprends quand ils se regroupent pour que les choses changent. Nos partenaires, que nous rencontrons, viennent nous dire : « Nous ne pouvons pas continuer comme cela. Il faut que la QNV monte. » Leur démarche me semble tout à fait recevable. Il y va de la pérennité des exploitations.

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