Le pacte Champagne

4 janvier 2009

La Rédaction

yves_benard.jpgA la nécessité de collaborer, les Champenois ajoutent la volonté de jouer collectif et le plaisir d’être ensemble. La différence tient à ces nuances.

Défendre le produit pour défendre les hommes… C’est un peu la conclusion qui s’est imposée au syndicaliste viticole Philippe Feneuil ; celle qui cimente, d’une certaine façon, le « pacte Champagne ». Jean-Luc Barbier, secrétaire général du CIVC, parle de deux familles, celle du négoce et celle de la viticulture, « habituées à gérer ensemble leur patrimoine commun » et pas n’importe quel patrimoine puisqu’il s’agit d’un vignoble d’AOC. Ph. Feneuil fait de cette notion de vignoble d’appellation la première cause de l’état d’esprit qui règne en Champagne, avant même d’évoquer l’unité syndicale, alors qu’il préside aux destinés du Syndicat général des vignerons champenois depuis près de vingt ans. Tout autour de lui, on donne pourtant l’unité syndicale comme l’une des « forces » de la Champagne, avec la cohésion interprofessionnelle. Cette unité syndicale ne se paie pas de mot : 99 % des vignerons adhèrent au syndicat. Belle performance ! Il faut dire que, selon l’efficacité qui caractérise les Champenois, la démarche d’adhésion s’interprète en démarche volontaire de non-adhésion. Quand l’interprofession demande aux livreurs de raisins de payer la taxe parafiscale, elle lui propose dans la foulée de signer un chèque au syndicat. Pour ne pas le faire, le vigneron devrait en exprimer la volonté explicite. Par contre, à l’égard des récoltants-manipulants, il s’agit bien d’une démarche « volontaire volontaire. » Tous les Champenois se disent profondément attachés à l’unité syndicale. Ainsi, un syndicat des grands crus ne leur semblerait pas une bonne idée. Car ils savent bien que toute division affaiblit et que ce n’est pas parce qu’un rapport de force se trouve relativement équilibré qu’il n’existe pas. « Les vignerons ont toujours eu la volonté de se positionner au niveau de la commercialisation pour être en meilleure position face au négoce » relate un professionnel. Le même parle d’une interprofession où « chacun joue son jeu, en sachant grosso modo la limite à ne pas dépasser. » Certes, il ne faut pas ignorer sous peine de naïveté qu’il est plus facile de gérer la prospérité que la pénurie. Mais la prospérité, ça se construit et elle a sans doute gagné à ces relations plutôt empreintes d’une volonté de dialogue. « Quelles que soient les tensions, la volonté des professionnels a toujours été de trouver un compromis. La Champagne connaît une unité interprofessionnelle que j’aimerai bien voir dans beaucoup de régions françaises » note Ph. Feneuil. L’environnement syndical ainsi que les règles statutaires de l’interprofession champenoise y ont sans doute contribué.
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Une co-présidence viticulture-négoce

De manière assez originale, le CIVC fonctionne sous l’égide d’une co-présidence viticulture-négoce. Les chefs de famille sont décrits comme des « présidents purs et durs ». Mais, dans leurs syndicats respectifs, ils restent assez longtemps à leur poste pour qu’une équipe se mette en place pour 10-15-20 ans. Des liens, une complicité se tissent, « dans le bon sens du terme » précise-t-on. En général, cette équipe quitte la barre en même temps pour céder la place à un nouveau tandem. Philippe Feneuil décrit les relations un peu gémellaires qui unissent les deux co-présidents. « Tous les deux, nous portons la même conviction que la Champagne se porte bien dans le temps. » Les deux hommes ne restent jamais longtemps sans se voir. Ils se rencontrent au moins une fois par semaine pour les affaires courantes et une fois par mois en commission permanente. Et pour leurs déplacements, ils font souvent voiture commune ! Le président du Syndicat général des vignerons évoque un débat ouvert, sans restriction et un total partage des points de vue, excepté peut-être sur le terrain de la communication où les avis divergent légèrement. Par contre, rien de tel sur le terrain de la défense du produit, de la délimitation parcellaire ou des conditions de production. « Nous sommes d’accord à 100 % ». Le président du Syndicat des vignerons précise qu’en matière de conditions de production, depuis 1955, toute décision se prend collectivement. « Le Syndicat réfléchit et quand nous montons à Paris, au siège de l’INAO, nous y allons toujours avec le soutien du négoce. « Y. Bénard reconnaît quant à lui que la Champagne « est certainement la région française où le négoce est le plus impliqué dans les conditions de production. » Et de rajouter que « tous les dossiers se traitent là, au CIVC », à tel point que le Comité régional de l’INAO ne serait plus « qu’une chambre d’enregistrement ». Ph. Feneuil comme Yves Bénard font de la co-présidence un élément décisif du système champenois. « De par ce mode de fonctionnement, les sujets se traitent d’égal à égal. Avec ce système, nous sommes obligés de nous mettre d’accord en permanence et trouver des solutions. » Dans les autres régions pratiquant l’alternance, quand le président du négoce est aux commandes, la viticulture a certainement tendance à lever le pied et inversement. Dans ce bel unanimisme, quelques voix dissonantes s’élèvent cependant pour contester cette co-présidence « qui enlève un vrai pouvoir pour commander ». En fait, les critiques concernent moins les hommes et les structures – « on les respecte et on les soutient » – que le CIVC, jugé « un peu administratif, intégriste et donneur de leçons. » « Ils sont plus ch… que les Douanes ! ». Et de pointer du doigt « une dérive administrative de l’interprofession », des « empêcheurs de tourner en rond », une « seconde république ».

Toujours sous la loi de 1940

Il faut dire que le CIVC n’a rien à voir avec une interprofession gadget. Même après l’introduction des contrats libres en 1990, elle s’appuie toujours sur un corpus de règles « béton ». C’est par exemple la seule interprofession viticole française à ne pas être passée sous le statut de la loi de 1975. Née sous la loi de 1940, comme le BNIC, elle y reste. Son financement se base donc sur des taxes parafiscales et non des CVO (Cotisations volontaires obligatoires). Ses deux taxes parafiscales reposent l’une sur les raisins à la vendange et l’autre sur les bouteilles expédiées. « On essaie de faire en sorte, est-il dit, que la contribution du négoce soit d’un montant sensiblement égal à celui de la viticulture. Il s’agit d’une volonté des professionnels. » Comme le BNIC, le CIVC gère des tâches par délégation de service public : déclarations de récoltes, déclarations de stock, casier viticole… Elle s’occupe de la délivrance de la carte professionnelle, de l’enregistrement des marques, du suivi de la réglementation export… toutes fonctions idoines à celles du BNIC. Le budget du CIVC s’élève à 15 millions d’euros, « tout compris ». Sur un effectif de 107 personnes, la moitié se compose de techniciens, d’ingénieurs, d’œnologues. L’interprofession possède un vignoble expérimental, un laboratoire d’analyse et de recherche. Le volet technique représente grosso modo un tiers du budget, un autre tiers est consacré au domaine économique et juridique – organisation du marché, observatoire économique, suivi aval de la qualité, protection de l’appellation, services généraux – tandis que le dernier tiers va aux actions de communication. Mais attention ! En Champagne, il ne s’agit pas de promotion collective ni encore moins de publicité générique. Des notions bannies du vocabulaire. Non, il s’agit que de communication pure, de relations publiques, de communication autour de la définition du produit. Objet de convoitise, le Champagne suscite bien des pillages. A Epernay, on considère avec intérêt ce qui se fait à Cognac dans le domaine de la lutte contre les contrefaçons, en n’excluant pas de s’en inspirer.

La grosse machine du syndicat

Fondé en 1919, sur les cendres de la crise phylloxérique, le Syndicat général des vignerons est une grosse machine qui emploie 117 personnes, plus que l’interprofession. C’est avant tout un centre ressources. Au-delà d’une petite équipe de 10-12 personnes attachées à la direction « politique » du syndicat, les activités de prestations de services aux adhérents occupent tous les autres salariés : service comptable, service employeur, service juridique, service informatique, gestion de la paye, transmission du patrimoine, conseil aux 35 heures… La délivrance des 60 millions de CRD constitue un autre pan important de l’activité. « Le vigneron champenois exige de son syndicat toujours plus de services » indique Philippe Feneuil. L’immeuble du syndicat abrite la Fédération des caves coopératives comme la Fédération des caves particulières, à la plus grande satisfaction du président. « On aime bien avoir chez nous la famille de la viticulture. » Au niveau de l’agrément, « c’est le Syndicat général des vignerons qui agrée, pas le négoce », même si les négociants sont invités à participer aux dégustations. Le laboratoire du syndicat réalise les analyses, « non que l’on interdise d’aller ailleurs » mais comme le service existe… «J’ai toujours plaidé pour une unité des hommes. C’est le seul moyen de résister à la pression » recommande Philippe Feneuil.

Le négoce champenois présente-t-il la même unité ? D’un point de vue formel, oui. En 1974, les deux syndicats – historiquement le Syndicat des grandes marques et le syndicat d’Epernay – se sont fondus en un seul, l’Union des maisons de Champagne. Ce syndicat regroupe aujourd’hui 150 maisons de Champagne et représente 95 % des ventes. Pour autant, le négoce champenois est peut-être plus composite aujourd’hui qu’il y a quinze ans, entre les grandes marques internationales et des nouveaux venus qui « n’existent qu’à travers la grande distribution ».

Yves Bénard préfère parler quant à lui de « sensibilités différentes » qui trouvent à s’exprimer dans son syndicat. Parmi les 18 administrateurs, 9 sont désignés au titre de leur poids économique et les 9 autres élus par leurs pairs. Ceux désignés ne participent pas à l’élection de leurs collègues. En A.G. des membres, continue de s’appliquer le principe d’un homme = une voix. Si une décision était contestée en conseil d’administration, elle pourrait être reprise en A.G. Le conseil se réunit tous les mois, une fois de manière informelle, autour d’un café, pour une discussion libre et une fois avec un ordre du jour précis. Quel que soit le type de réunion, « tout le monde est là » précise Y. Bénard « et a plaisir à se retrouver et à échanger. » Les présidents ne se font pas représenter. Ce sont les chefs de maisons qui participent aux discussions. Il arrive que les avis divergent. « C’est tout l’intérêt pour moi de recueillir les points de vue. » Ici comme ailleurs, le partenariat viticulture-négoce se construit d’abord à l’intérieur des familles.

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