Rémy Martin : La maison souffle le chaud

31 janvier 2011

La Rédaction

Elle avait soufflé le froid début juillet 2010 en annonçant une baisse de ses contrats collectifs de 30 % ainsi qu’un retour à leur annualisation. En cette fin d’année 2010, elle souffle le chaud, avec une commande supplémentaire de 3 000 hl AP sur ces mêmes contrats collectifs et des prix d’achat en hausse de 3 % sur les eaux-de-vie nouvelles. La maison en profite pour exprimer ses réserves sur le système d’affectation au 1er juillet et s’explique sur Rémy Martin V (prononcez vie), l’alcool blanc à base d’eau-de-vie de vin de la région délimitée, en test dans deux endroits aux Etats-Unis.

piana_guere.jpgLa promesse d’un retour « à meilleure fortune » s’inscrivait en filigrane à l’épisode de juillet 2010. Engagement tenu. En novembre dernier, le conseil d’administration d’Alliance Fine Champagne, la sica qui regroupe les 1 200 partenaires de Rémy Martin, a été informé d’une commande supplémentaire de 3 000 hl AP ainsi que d’une hausse des prix « supérieure à celle de nos concurrents ». « Nous voulons faire bénéficier la région des possibilités d’accélération économique » a déclaré Patrick Piana, directeur général de la maison de négoce. Vincent Géré, directeur des Cognacs et Domaines Rémy Martin, lui a emboîté le pas en parlant de flexibilité et de réactivité. « La confirmation de nos bons chiffres de ventes nous a amenés à faire évoluer nos positions d’achat vis-à-vis de nos partenaires d’Alliance. » « L’entreprise va bien, ont confirmé les deux hommes. Elle est bien armée pour profiter à la fois de la sortie de crise et pour gagner des parts de marché. » « Sur les 12 mois roulant à fin octobre, ont-ils indiqué, tandis que les exportations de Cognac croissaient de 17,6 %, nos propres ventes ont augmenté de 25,5 % et même de 80 % sur les cuvées de prestige. Cette solidité recouvrée de la croissance nous conduit à nous tourner à nouveau vers les achats. Nous disposons aujourd’hui d’une visibilité qui nous manquait fin juin. » D’où, accessoirement, l’appel à une adaptation du système d’affectation, au moins en ce qui concerne la date d’affectation (voir page 14).

La direction de Rémy Martin nourrit-elle des regrets rétrospectifs quant au message envoyé aux viticulteurs début juillet ? « Non, nous ne nourrissons pas de regret sur le fond » a répondu V. Géré. La relation de Rémy Martin avec ses partenaires est faite de transparence et d’honnêteté. L’idée n’est pas de dissimuler des éléments d’information. C’est aussi ça la solidité du lien, un lien qui ne fonctionne pas à sens unique mais dans les deux sens. » Il a rappelé que Rémy Martin occupait le rang de « champion de la contractualisation ». « En chiffres bruts comme en pourcentage de ses achats, notre maison affiche le plus gros volume sous contrats. » Les 3 000 hl AP inclus, la commande de Rémy Martin à Alliance Fine Champagne frise aujourd’hui les 60 000 hl AP (58 500 hl AP). Elle se décline entre 32 000 AP de contrats individuels bouilleurs de cru sur 3 ans et 26 500 hl AP de contrat collectif, soit, entre les deux crus, 32 100 hl AP en Grande Champagne et 26 400 hl AP en Petite Champagne.

Vincent Géré n’a pas manqué de souligner le rôle d’amortisseur joué par la maison de négoce durant la crise. La société avait maintenu ses achats contractuels jusqu’au terme des trois ans d’engagement. Le responsable des achats n’a pas éludé non plus l’intérêt qu’il y avait pour la maison à retrouver une marge de flexibilité. « Si nous sommes revenus au contrat collectif annuel, c’est pour se remettre en pilotage positif. Nous ne nous interdisons pas des achats ponctuels auprès de nos partenaires, hors cadre contractuel. » Il a évoqué l’effet « vertueux » de l’instillation d’une part d’aléatoire. « A côté d’une visibilité garantie par contrat, si nos partenaires distillent un peu plus d’eau-de-vie, en pensant que cela pourra intéresser à terme notre maison, c’est là qu’il se passe quelque chose. » Il rajoute : Le syndrome « du maximum d’eaux-de-vie capté en 00 et au-delà plus rien » nous semble un peu réducteur. Nos discussions avec Alliance Fine Champagne porte aussi sur ces thèmes. »

« capter les meilleures eaux-de-vie »

Ces considérations lui ont permis de rebondir sur la recherche qualité de Rémy Martin. « A l’intérieur des crus que nous achetons, toute la logique de Rémy Martin consiste à capter les meilleures eaux-de-vie. La commission dégustation dirigée par Pierrette Trichet, notre maître de chai, déguste à l’aveugle les eaux-de-vie. C’est de cette manière que sont déterminés les critères de qualité et donc le prix. C’est une vraie fierté de Rémy Martin. Nous invitons tous nos livreurs à assister à ces dégustations. Il s’agit d’un gage de transparence et le meilleur moyen d’essaimer les bonnes pratiques. » Patrick Piana a rappelé l’existence de trois niveaux de primes qualité chez Rémy Martin : + 3, + 5 et + 10 %. « Ces primes qualité constituent la seule partie à ne pas être budgétée dans la maison. Cela reflète bien l’indépendance de jugement laissé au comité de dégustation eaux-de-vie. Aussi longtemps que durera cette philosophie, la qualité sera au rendez-vous chez Rémy Martin. »

Pour stimuler la recherche qualité, quel meilleur moyen existe-t-il que le prix. Le 8 novembre dernier, une position officielle de prix a été adoptée en conseil d’administration d’Alliance Fine Champagne. « Sans attendre ce que la concurrence allait faire, nous avons annoncé nos prix. Ils augmentent de manière assez sensible et de façon plus forte que chez nos concurrents. » Pour le cru Petite Champagne, l’augmentation s’élève à 3 % et pour la Grande Champagne à 2,7 %. Vincent Géré a décliné les prix correspondant. En fait il a indiqué deux types de prix : le prix de base et le prix moyen payé par l’acheteur, tenant compte des primes qualité, des frais de transport et de la taxe BNIC. Pour la Petite Champagne, le prix de base de l’eau-de-vie 00 récolte 2010 s’élève à 853 € l’hl AP et à 873 € l’hl AP prix moyen. Pour la Grande Champagne, le prix de base se monte à 938 € l’hl AP et le prix moyen ressort à 958 € l’hl AP. Si, potentiellement, les eaux-de-vie 2010 semblaient présenter un profil idoine à celui de 2009 – « pas la plus mauvaise année mais loin d’être la meilleure de la décennie – les premières eaux-de-vie nouvelles, début décembre, apparaissaient plutôt bien notées. « C’est plutôt une bonne surprise. » Vincent Géré a insisté sur la qualité du vin mis en œuvre. « Le savoir-faire de distillation de nos partenaires d’Alliance est excellentisme mais la qualité de la matière première s’avère un vrai levier. »

Patrick Piana ne pouvait passer sous silence Rémy Martin V (prononcez vie), l’alcool blanc issu d’une eau-de-vie de vin produite dans la région délimitée. Il s’en est largement expliqué (voir article page 15). « Rémy Martin V, a-t-il dit, n’est pas du Cognac, ne peut pas être du Cognac et ne ressemble pas à du Cognac. Par contre, s’il peut constituer une alternative aux spiritueux blancs ultra-premium vendus aux Etats-Unis, nous aurions tort de nous en priver, d’autant qu’il peut constituer un débouché supplémentaire pour nos partenaires. » Rémy Martin est testé en deux endroits aux Etats-Unis, à Atlanta et dans la baie de San Francisco. Patrick Piana l’a promis : « Un test reste un test. Si le test n’est pas concluant, nous abandonnerons le projet. »

Affectation parcellaire
Une valse à deux temps
Au nom de la réactivité, la maison de négoce préconise une affectation en deux temps : une pré-affectation en juin, avec possibilité de confirmer ou de modifier son affectation en octobre.
Bernard Guionnet, à la fois président d’Alliance Fine Champagne et président de l’interprofession, l’avait déjà suggéré lors de la préparation de campagne. Mais sa proposition n’avait pas été retenue. Rémy Martin revient à la charge. Du point de vue de la « lecture du business Cognac », une affectation ferme début juillet – et donc des intentions d’achat communiquées par le négoce avant cette date – ne lui semble pas la chose la plus rationnelle qui soit. « Nos intentions d’achat, on ne les connaît vraiment qu’aux mois de septembre/octobre, mois qui correspondent aux véritables périodes d’expédition ou, du moins, de préparation de commandes. Quand les tendances se dessinent, nous pouvons arrêter définitivement l’ensemble de nos besoins et les transmettre à nos partenaires. » Fort de ce principe de réalité, Rémy Martin poursuit son travail de conviction. Ce discours, il le tient au sein d’Alliance Fine Champagne, du Syndicat des maisons de Cognac (SMC). Le négociant préconise une pré-affectation en juin et une confirmation ou une modification possible de l’affectation au mois d’octobre. « Avec ce système, la filière serait nettement mieux équipée pour profiter de l’accélération de l’économie et de ses gains potentiels. La date d’affectation début juillet représente une carence, un frein à la réalité de marché. »
Qu’inspire le système d’affectation à la maison de négoce ? « Nous ne le remettons pas en cause. C’est vraiment le problème de date qui contrevient à la flexibilité et la réactivité nécessaires. Une date postérieure ne remettrait pas en cause le calcul de rendement qui se base de toute façon sur des hypothèses émises au printemps. » Quant aux changements préconisés par certains – le quota d’exploitation qui se substituerait de facto à l’affectation – la maison n’est pas « proactive » sur le sujet. « Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Dans un premier temps, adaptons ce qui existe. Ce serait dommage de ne pas réfléchir à une affectation modulable. La région a besoin de stabilité et de sérénité. Faisons vivre cette réglementation et nous en rediscuterons plus tard. »

 

 

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