Lors de « Rencontres & Perspectives », un rendez-vous initié depuis deux ans, la maison de négoce a annoncé ou confirmé à ses partenaires d’Alliance Fine Champagne plusieurs avancées. Une « ingénierie contractuelle » qui a toujours constitué la marque de fabrique de la maison mais qui connaît un nouvel élan, grâce à la bonne santé du Cognac. « Rémy Martin reprend la main dans ses relations avec les viticulteurs » s’est exclamé Alain Bodin, président d’Alliance Fine Champagne.
En février 2012, la maison de Cognac avait déjà annoncé une augmentation de 20 % du volume de son contrat collectif, contrat qui concerne les eaux-de-vie 00 livrées par les bouilleurs de cru ou les livreurs de vins via les bouilleurs de profession. Dans la liste des avancées contractuelles, elle a récidivé en juin dernier en annonçant le retour de la bonification sur vieillissement, un acte fondateur de la politique contractuelle Rémy Martin mais qui s’était perdu dans les sables, laminé par la crise. A la fin des années 1970, ce fut pourtant une idée « révolutionnaire » ou en tout cas clivante que de partager la plus-value de vieillissement avec des livreurs de vin qui, par définition, en étaient exclus. Les viticulteurs apportaient leurs eaux-de-vie 00 à la coopérative Champaco, étaient payés au moment de la mise en stock mais les eaux-de-vie restaient en vieillissement pendant deux ou trois ans, voire plus. Quand elles étaient vendues au négociant, la marge (ce qui restait après déduction des frais) était redistribuée aux viticulteurs. C’est André Hériard-Dubreuil et ses collaborateurs directs de l’époque qui avaient mis au point cette mécanique. Elle valut à Rémy Martin un avantage commercial certain auprès d’une frange de viticulteurs. Aujourd’hui, en renouant avec son ADN, Rémy Martin, associé à Alliance Fine Champagne, affiche avec clarté son ambition de développement.
Deux années glissantes
La durée du contrat est l’autre élément mis en avant. Alors que, jusqu’à maintenant, le contrat collectif d’Alliance Fine Champagne était annuel, Vincent Géré, directeur des Domaines et Cognacs Rémy Martin, a indiqué que, dorénavant, la durée porterait sur deux années glissantes. « Cette année, nous enregistrons à la fois la commande 2012 et 2013, en sachant que la commande 2013 ne sera pas inférieure à celle de 2012. En 2013, la commande portera sur 2013 et 2014, avec le même verrou à la baisse. » « Ce qui m’intéresse dans ce système d’engagement, a-t-il dit, c’est qu’il va falloir analyser avec beaucoup de soins nos besoins. Pour moi, il s’agit d’une décision majeure. »
Le directeur des Cognacs Rémy martin a indiqué que sa maison était la seule à annoncer à l’avance le volume de ses achats pour la récolte à venir et la récolte suivante. « C’est un gage de transparence et de lisibilité. Cela donne de la visibilité à nos partenaires. » Les contrats triennaux – l’autre composante d’Alliance – ne bougent pas. Ils continuent à être renouvelés tous les trois ans. L’année 2012 constitue la 3e et dernière année du cycle.
Au niveau des prix, tant Patrick Piana, directeur général de la maison Rémy Martin que Vincent Géré ont convenu que des évolutions sensibles étaient à l’œuvre. « Nous sommes dans un système concurrentiel. Chacun regarde ce que fait son concurrent. Nous avons encore un peu de mal à sortir de ce schéma de pensée. » Ils se sont accordés à dire que la hausse de prix sur les 00 ne pourrait pas être inférieure à 3,5 % (estimation de l’augmentation des coûts de production), en évitant de se prononcer sur la hausse réellement envisagée. Mais peut-être ne le savaient-ils pas précisément eux-mêmes. L’an dernier, Rémy Martin avait augmenté ses prix d’achat de 5 %.
Anticiper l’avenir
Patrick Piana a longuement plaidé pour une anticipation de l’avenir du Cognac, à l’échelle de 2020-2025. « Ce travail, nous devons le faire au sein de l’interprofession. En fonction des prévisions, il est possible de s’adapter. Regardez les Scotch-Whiskies. Ils ne font pas autre chose. » Comme d’autres de ses collègues, il a défendu l’idée d’une libération du rendement Cognac. « Des viticulteurs peuvent produire 14 hl AP/ha. Certains ont pu même aller jusqu’à 16 de pur. Après des années où le vignoble fut sur la défensive, le temps est venu de produire. » En ce qui concerne la libéralisation des plantations, il s’est montré prudent. « Il existe un projet européen. Il doit être encadré, sous l’égide, en régions, des interprofessions, des ODG. L’idée est de favoriser un développement continu, harmonieux, régulier, sans à-coups majeurs. »
Patrick Piana ne s’est pas dérobé à une question sur Rémy V, « l’eau-de-vie de vin qui n’est pas du Cognac » mais dont le rappel à la marque fait penser sans coup férir au précieux spiritueux. « Le produit est toujours en test aux Etats-Unis » a indiqué P. Piana. Il ne cannibalise pas ce qui est au cœur de notre métier, le VSOP Fine Champagne. Depuis deux ans, le VSOP Rémy Martin connaît aux Etats-Unis des progressions très significatives, dont nous nous réjouissons. Rémy V remplit bien sa vocation qui est de concurrencer les Vodka et Tequila ultra premium et de recruter des consommatrices et consommateurs différents. Alors que le Cognac, outre-Atlantique, est consommé à 85 % par des hommes et plutôt par la population afro-américaine, notre produit test est consommé à 55 % par des femmes et par l’ensemble des composantes de la population américaine. Aujourd’hui, l’étude se poursuit tranquillement. »
Sur le positionnement de Rémy V par rapport à l’appellation Cognac, P. Piana a apporté la réponse suivante : « La vocation de ce produit est d’être le plus éloigné possible du Cognac. La seule chose qu’il a de commun avec le Cognac, c’est la marque Rémy Martin, qui est propriété de l’entreprise. Une entreprise a le droit et le devoir de se poser des questions quant au potentiel de sa marque. »
Alain Bodin, président de la coopérative associée Alliance Fine Champagne, n’a pas nié les risques de dérive. « Une maison comme Rémy Martin qui défend très très haut les crus du Cognac et l’appellation Fine Champagne serait mal venue de créer, en coulisse, un produit qui pourrait détruire toute la construction autour de l’appellation. » « Nous serons vigilants » a-t-il promis. En même temps, il a convenu « qu’il ne fallait peut-être pas rejeter l’idée d’un test ».
Question subsidiaire – Aujourd’hui, la région des Charentes est-elle suffisamment au large par rapport à sa production pour distraire des volumes à autre chose qu’au Cognac ? Que le produit marche trop bien ne serait-il pas la pire des punitions, dans le contexte actuel ?
Un chiffre d’affaires en forte progression
Sur l’exercice 2011-2012 clos au 31 mars, la société Rémy Martin et le groupe Rémy Cointreau ont battu des records de rentabilité. Rémy Martin tout d’abord, a enregistré un chiffre d’affaires en hausse de 21,9 %, à 592,5 millions d’euros. La contribution du Cognac dans le groupe Rémy Cointreau s’élève à 58 % du chiffre d’affaires. C’est la résultante de prix élevés et d’une montée en gamme sur de nombreux marchés. Le chiffre d’affaires du groupe Rémy Cointreau franchit quant à lui le seuil du milliard d’euros (1,026 milliard). Le journal Les Echos (édition du 13 juin 2012) indiquait que l’endettement du groupe avait littéralement fondu, passant de 900 millions d’€ il y a dix ans à moins de 200 millions aujourd’hui. Et la journaliste de commenter, en citant sa source, Jean-Marie Laborde, directeur du groupe : « La situation financière de Rémy Cointreau permet aujourd’hui à la famille Hériard-Dubreuil, actionnaire à 43 %, d’envisager sans recours à l’emprunt une opération de croissance externe de 800 millions à 1 milliard d’€. » Précision de J.-M. Laborde : « Nous ne sommes pas acheteur à tout prix. Nous ne sommes intéressés que par une marque complémentaire de notre portefeuille, disposant d’une vocation internationale et capable d’atteindre la rentabilité moyenne du groupe. »
A Cognac, Patrick Piana a confirmé que les ventes de la maison avaient augmenté sur l’ensemble des sept grandes régions du Monde. « C’est très important. Notre développement est équilibré. Nous ne sommes pas géo-dépendants. »
En terme d’investissements, la construction d’un chai est prévue. Par ailleurs, l’unité de conditionnement de Merpins connaît un plan d’extension, avec investissement dans des machines, à la fois pour la qualité et la flexibilité. « Ce programme vise notre capacité de production dans les 5-10 ans à venir. Durant les 15 dernières années, nous n’avons pas connu un plan d’investissement aussi majeur. »