Dans une période où le Cognac est confronté à des décisions qui préparent l’avenir (plantations par exemple), le responsable viticole Jean-Bernard de Larquier, vice-président du BNIC, milite pour un engagement réciproque de la viticulture et du négoce. « Tout le monde doit prendre ses responsabilités ». Pas de prise de décision dans l’urgence et un équilibre dans les obligations. « Nous ne donnerons pas un blanc-seing au négoce mais nous conduirons avec lui une politique par étape. »
Alors que les discussions sur le prochain rendement de l’année sont ouvertes, se profile un autre chantier, celui du potentiel de production Cognac à moyen terme. Quelle est l’approche de la viticulture sur ces deux questions ?
Avant de vous répondre précisément, j’aurais presque envie de tenir un « discours de la méthode ». Sur les sujets fondamentaux pour l’avenir de la filière, la viticulture n’a pas envie de travailler dans l’urgence. Il est hors de question pour elle de confondre « vitesse et précipitation ». Certes, les chiffres de sorties du Cognac sur le mois de mars ont un peu tempéré les ardeurs. Mais cela ne veut pas dire que le climat spéculatif soit définitivement enterré. A la première occasion, des gens sont prêts à « s’emballer ». Or, répondre trop vite à la sollicitation de personnes aux abois est encore la meilleure façon de faire des erreurs. A cet égard, je ne citerais qu’un exemple : la demande d’une partie du négoce de revenir sur l’XO compte 10. La position de la viticulture est claire sur le sujet. Nous disons que le marché est suffisamment alimenté pour faire face à l’allongement de la durée de vieillissement. Depuis des années, le rendement Cognac a été abondé en prévision de ces nouveaux besoins. Pour nous, il n’est donc pas envisageable de revenir sur l’XO compte 10. Je sais que certains nous taxent d’être « à la botte du grand négoce ». C’est faux bien sûr. Ce qui motive la viticulture sur ce dossier, c’est le sentiment de défendre à long terme l’image du Cognac. L’XO compte 10 ne peut que renforcer la notoriété du produit. Fini le temps où l’on pouvait trouver sur le marché des XO à moins de 20 € et d’autres à 500 €. Ces pratiques perturbatrices, nous n’en voulons plus. Espérons seulement que, sur ces questions, le négoce puisse trouver un accord en son sein. Lui comme nous avons trop travaillé à la mise en place d’un syndicat unitaire pour qu’il implose. L’unité syndicale est à la base de cette sérénité qui me semble devoir présider à notre réflexion de fond sur l’avenir de la région. C’est aussi le gage de pouvoir se rendre audible au niveau national, auprès de l’Administration comme des autres régions françaises.
Pour revenir à des questions plus ponctuelles, comment envisagez-vous le rendement Cognac 2013 ?
Les discussions sont en cours, un outil de calcul existe, l’outil interprofessionnel. Il va nous livrer un chiffre. A titre personnel, je pense que le rendement 2013 sera supérieur à celui de l’an dernier. Il faut être réaliste. Sur la récolte 2012, il a déjà manqué 0,60 hl AP/ha par rapport aux prévisions. Si nous voulons donner un certain coefficient de fluidité au négoce, nous devrons produire plus, sur la base d’un mix intégrant rendement immédiatement commercialisable et « réserve de gestion ». La réserve de gestion est une attente des viticulteurs. Par ailleurs, si la viticulture s’arc-boute sur le rendement, il me semble que cela n’augurera pas du meilleur climat pour discuter du reste, c’est-à-dire des orientations à moyen et long terme de la région. Or, à mon sens, c’est là que réside l’essentiel aujourd’hui.
C’est-à-dire ?
Nous venons de lancer la phase 2 du Business plan d’Eurogroup sur le potentiel de production du vignoble charentais à moyen terme. L’idée ! Savoir comment redynamiser la production pour faire fasse à un objectif de vente de 21 à 25 millions de caisses dans 15 ans, si tout se passe bien. Aujourd’hui, la région vend 14 millions de caisses de Cognac. La phase 1 de l’étude prospective avait posé le diagnostic, cerné les enjeux tant du négoce (ses besoins prévisibles) que de la viticulture (la capacité à produire du vignoble). Avec la phase 2, il s’agit de savoir ce que la viticulture souhaite faire. C’est pour cela que va être menée une étude beaucoup plus qualitative auprès de toutes les composantes du monde viticole : livreurs de vin, bouilleurs de cru… Cette exploration fine du terrain me semble très importante. Car l’interprofession peut décider quelque chose. Si les gens n’ont pas envie d’y adhérer, cela ne servira à rien.
Votre ressenti de la situation ?
Après six ans d’évolution constante du marché, la replantation a vraiment démarré. On peut simplement regretter qu’il y ait eu parfois du retard à l’allumage. Au lieu de commencer à replanter dès 2007, pas mal de viticulteurs ont attendu trop longtemps. Ils ont perdu de l’argent parce qu’ils restaient encore dans la problématique des 6 de pur/ha. Je pense que la première réponse au renouvellement du vignoble va se faire sentir en 2015. Le remplacement des pieds morts fut long à se mettre en route aussi. La complantation ne faisait pas partie de la culture charentaise. Cette redynamisation du vignoble devrait nous amener dans quelques années à un rendement moyen régional autour de 11,60 hl AP/ha (130 hl vol. à 9 % vol.). Cela paraît du domaine du possible même si toutes les zones n’y parviendront pas, compte tenu des facteurs limitants (petite terre, manque de réserve hydrique). Par contre, d’autres zones produiront davantage.
Cette redynamisation du vignoble vous semble-t-elle suffisante pour pallier les besoins du négoce ?
Je ne le pense pas et la « peur de manquer » n’est jamais bonne conseillère. En nous conduisant à réagir sous la pression, elle ne peut que nous emmener à faire des bêtises. C’est pour cela qu’un programme de plantation va sûrement être envisagé. Si je regarde autour de moi, qu’est-ce que je vois ? Je vois des viticulteurs qui veulent planter mais qui ont peur aussi. C’est normal. Les plantations des années 70 leur ont coûté trop cher.
Comment conjurer ce paradoxe ?
Ce sera le grand défi de la région : faire preuve de suffisamment de sagesse, pour ne pas se retrouver dans l’impasse des années 70. A l’époque, alors que le rendement n’était que de 6,5 hl AP/ha au début de la décennie, il était très vite monté à 12,5 hl AP tandis qu’arrivaient en production les 30 000 ha. La situation était devenue rapidement incontrôlable.
Le premier élément qui me semble important est d’agir par étape. Si, par exemple, l’on décidait de débloquer 1 000 ha de plantations nouvelles (je cite ce chiffre au hasard), il ne faudrait pas planter 1 000 ha d’un coup mais tronçonner l’enveloppe en trois : planter trois fois 330 ha. Après l’exécution de chaque tranche, un bilan serait tiré : quels comportements des viticulteurs, quelle surface plantée, quel rendement ? Et, en fonction des réponses, des réajustements pourraient intervenir.
Qui dit fonctionnement par étape dit « donner du temps au temps », envisager les choses sur la durée. A mon sens, hors de ces conditions, la discussion ne devrait même pas s’ouvrir. Si l’on nous proposait « 10 000 ha tout de suite », je dirais non immédiatement. C’est en tout cas ce vers quoi j’essaierais d’emmener la famille viticole avec de bonnes chances, me semble-t-il, d’être suivi. Pour résumer, la viticulture ne dira pas non à un programme de plantations nouvelles mais elle dira oui « sous conditions ». Elle demandera à être accompagnée. Sinon, ce sera une fin de non-recevoir. Il n’est pas question que la viticulture donne un blanc-seing au négoce.
Cet accompagnement que vous appelez de vos vœux, quelle forme pourrait-il prendre ?
La plantation d’un ha de vigne coûte cher, 19 000 €. La viticulture veut bien s’engager sur le long terme mais elle doit pouvoir trouver la contrepartie auprès du négoce. Tout le monde doit prendre ses responsabilités. Nous demandons que le négoce s’engage aussi, sur la base d’un partenariat de longue durée : des contrats de 10 ans par exemple, qui s’adosseraient sur les termes d’un contrat interprofessionnel. Ce contrat interprofessionnel devrait prévoir au minimum un engagement pendant 10 ans, un prix minimum et une date de retiraison qui « tienne un peu la route » (par exemple achat du compte 2 à partir du 1er avril et non achat de compte 2 à partir de… sans aucune date butoir).
Un tel contrat interprofessionnel peut-il avoir une existence juridique ?
Les LME et LMA (loi de modernisation de l’économie, loi de modernisation agricole) permettent aujourd’hui aux interprofessions de se doter de tels contrats. C’est le cas à Bordeaux, en Bourgogne. Les interprofessions du Cognac et du Pineau font partie des rares interprofessions à ne pas en disposer.
Sans doute est-il trop tôt pour évoquer le cadre dans lequel pourraient être attribuées ces nouvelles plantations Cognac.
C’est vrai mais, quel que soit le contexte, le bassin Charentes-Cognac aura besoin, à un moment ou l’autre, de l’aval des autres régions viticoles. Soyons bien conscients que nous ne sommes pas seuls sur terre. Nous ne pourrons pas passer en force. Nous devrons répondre au besoin de sécurisation des autres régions, que la perspective de voir arriver 800 000 à 1 million d’hl de vin sur le marché pourrait alarmer. Bien sûr, avec les plantations nouvelles, le but n’est pas de produire des vins sans IG. Mais les crises, ça existe. Nous sommes payés pour le savoir. C’est pourquoi un mécanisme comme le PAPE pourraient nous rendre des services, dans la mesure où il permettrait de réaliser des économies de coût en produisant sur moins d’ha. Dans la réflexion à court, moyen et long terme qui s’instaure, nous aurons besoin de mobiliser tous les outils pour rendre notre projet compatible avec la réalité.
OCM vin/DPB – Un débat transcourant
La viticulture française s’est prononcée contre les soutiens directs (DPB pour Droit à paiement de base). Pourtant, en son sein, des courants existent pour défendre les DPB, alors même que l’OCM vin est devenue aujourd’hui la seule Organisation commune de marché spécifique. Toutes les autres productions – sucre, lait, viande, céréales… – ont rejoint l’OCM unique.
Le sujet est complexe mais important pour l’avenir : savoir si, oui ou non, la viticulture pourra conserver à terme une OCM spécifique ? En cela, le débat sur les DPB (droit à paiement de base) n’est pas neutre. Aujourd’hui, le règlement européen permet aux pays viticoles de choisir entre soutiens directs (DPE) et aides spécifiques. Il est même possible d’émarger au double système. C’est le cas de l’Allemagne, dont les viticulteurs touchent des aides directes européennes mais peuvent aussi opter pour un programme viticole spécifique. Cependant, les spécialistes considèrent qu’à terme, il sera difficile de garder les deux systèmes. « Ce n’est pas impossible jusqu’en 2019 mais au-delà ? »
La filière viticole française, elle, a choisi les programmes spécifiques d’aides à la restructuration, aux investissements ou à la promotion. Les dix bassins viticoles se sont prononcés dans le même sens, à l’unanimité. Ce qui n’empêche pas l’existence d’un débat « transcourant » dans à peu près toutes les régions mais plutôt chez celles qui souffrent. « Dans certaines zones viticoles, toucher un pourcentage du chiffre d’affaires ne serait pas anodin. Il faut bien voir que ces gens-là ne profitent pas des aides à l’investissement ou à la restructuration. Ils sont coincés. Cela pose une vraie question. »
Plus surprenant peut-être est l’attitude de professionnels de régions « riches » qui se déclarent favorables aux DPB. Quelles motivations les animent ? Est-ce l’argument de la simplification administrative ? « En tout cas, leur position affaiblit la politique de préservation d’une OCM vin spécifique » s’inquiètent les tenants de ladite OCM. « Objectivement, ils font le jeu de l’Europe qui, dans un contexte de resserrement budgétaire, ne souhaite qu’une chose : simplifier les procédures, voir réorienter les crédits dans le sens d’un verdissement de la PAC. « Et avec les DPB, on ne peut pas faire plus simple ! »