Quand La Chine sollicite les petits opérateurs : Propriété viticole, marque de Cognac

27 juin 2013

Que ce soient les vendeurs directs ou les petites maisons de Cognac, ils le disent tous. Il ne se passe pas de semaine où ils ne reçoivent sur internet une ou plusieurs sollicitations de Chinois (ou de Français vivant en Chine) pour acheter du Cognac et le revendre. A coup sûr Vinexpo, du 16 au 20 juin 2013 à Bordeaux, verra une floraison de ces demandes. Voilà environ trois ans que le phénomène existe, porté par le « boom » du Cognac en Chine. Quelles réponses les opérateurs du vignoble accordent-ils à ces sollicitations ? Les quatre témoignages qui suivent reflètent une diversité d’opinions. Un viticulteur-vendeur direct vient de franchir le pas. Sa première commande est en voie de groupage. Les conditions lui convenaient. Il ne s’est pas trop posé de questions. Juste a-t-il pris la précaution de « border » le paiement (70 % à la commande, les 30 % restant au départ du chai). Le risque est donc sous contrôle. L’un de ses collègues exprime, lui, le peu d’intérêt pour ce genre de proposition. Il craint « les coups sans lendemain » et parle d’un autre métier, dont il ne maîtrise ni les codes ni la culture. « Ce n’est pas pour moi. » Un récoltant déjà frotté à l’export a répondu positivement à certaines approches, mais sans suite. Les contacts n’ont jamais abouti. Aujourd’hui, il se montre particulièrement critique. « Il ne faut pas rêver. Ces gens-là sont à la recherche de prix. Ils vendraient père et mère pour faire des affaires. » Il considère les intermédiaires qu’il a rencontrés comme peu professionnels. « Ils ne s’intéressent pas au produit. » Château de Beaulon, l’archétype de la maison « de propriétaire », a mis un pied en Chine. Elle ne le regrette pas, même si elle estime « que c’est compliqué ». « Ce n’est pas forcément la philosophie d’une petite maison ». Malgré tout, démonstration est faite que c’est possible.

 

 

Propriété viticole en Grande Champagne, marque de Cognac

J. F M – « Des mails, j’en reçois pratiquement un par jour. Cela s’est un peu calmé cet an-ci et encore. Ce sont des gens de Chine ou des Français établis en Chine qui, tous, souhaitent vendre du Cognac en Chine. La plupart du temps, je n’y fais pas attention sauf quand il y en a un qui semble avoir un peu plus les pieds sur terre. En ce moment, je discute avec 4-5 opérateurs différents et je viens de conclure avec l’un d’eux. Il est venu à la maison. Ce qu’il a goûté lui a plu. Il s’exprimait dans un anglais impeccable. Il m’a proposé 5 000 bouteilles par an (un mix VS, VSOP et XO), à un prix qui me convenait. Avec de telles quantités, je ne vais pas inonder le marché mais, en ce qui me concerne, je considère qu’il s’agit d’une très bonne commande. Contrairement à certains autres importateurs, il a compris qu’un viticulteur n’était pas capable de lui fournir un container tous les trois mois. Il pratique le groupage. Apparemment, je fais partie de la seconde commande qu’il passe avec des gens du coin. La première commande a été expédiée en fin d’année. J’ignore où va la marchandise, dans quelle région, pour quel type de distribution – les acheteurs se montrent peu diserts – et je ne sais pas non plus s’il y en aura d’autres. J’ose quand même l’espérer. C’est justement parce que je n’étais pas adepte de “faire un coup” que je fus très longtemps réticent à ce genre de proposition. Mais, pour continuer à fonctionner, nous avons tous besoins de liquidités. Je viens d’embaucher un salarié. Il faut le payer. Par ailleurs, je ne mets pas tous mes œufs dans le même panier.

Pour les étiquettes, les bouteilles, pas de souci. L’importateur prend les nôtres. Il m’a demandé l’exclusivité de notre marque pour la Chine. J’ai dit oui, même si je n’ai encore rien signé. Je pense que, chez eux, la peur de se faire court-circuiter par des revendeurs est très prégnante. Entre condisciples, la confiance ne règne pas. La vente s’effectue départ chai. Comme déjà dit, l’opérateur organise la collecte. Sur le prix, nous sommes tombés assez rapidement d’accord. Je lui ai fait part de mes exigences : 70 % à la commande, 30 % au départ du chai. Il n’y a eu aucun problème. Dans ces conditions, les expéditions vers la Chine m’apparaissent bien plus simples que vers d’autres destinations. Ceci dit, il faut rester prudent. Quelqu’un m’a demandé si je ne voulais pas faire “du goût Hennessy, du goût Meukow”. Un autre était intéressé par 100 000 caisses de Cognac Hennessy. Etais-je partant ? Je leur est répondu qu’ils ne frappaient pas à la bonne porte. D’une manière générale, le produit, la dégustation ne semblent pas être la motivation première des acheteurs. Ce qu’ils recherchent, c’est un bon rapport qualité/prix et des fournisseurs capables de les approvisionner sur le long terme. On ne m’a pas demandé d’aller en Chine. Pas dans un premier temps en tout cas. »

Propriété viticole en petite Champagne, vente directe sur l’exploitation et à l’extérieur

A.F. – « Je suis très souvent sollicité par des importateurs chinois sur internet. Manifestement, il s’agit d’une démarche standard, pas du tout personnalisée. L’annonce est à peu près libellée de la façon suivante : “Acheteur de Cognac, recherche toutes qualités. Prière de faire des propositions.” Je n’y réponds jamais. D’abord parce que je ne dispose pas des volumes ; et ensuite parce que je n’ai pas la structure non plus. Je parle anglais mais pas suffisamment bien ; je n’ai pas de secrétariat pour s’occuper de l’administratif douanier. Tout cela m’effraie un peu. J’aurai l’impression de changer de casquette. C’est déjà assez compliqué de se projeter en pratiquant la vente directe aux particuliers ou aux cavistes. Je ne m’imagine pas non plus en train de “faire un coup” sans m’inscrire dans la durée. La vente en bouteille, je l’ai conçu pour sécuriser mon revenu, non pour réaliser un profit à court terme sur 5 ou 10 000 cols. A mon échelle, ces ventes “spots” posent aussi le problème du vieillissement. Le stockage des eaux-de-vie, cela s’anticipe au moins 5 ans en amont. Plutôt que de vendre en Chine, je préfère vendre du Cognac en France. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, mon chiffre d’affaires Cognac en bouteille ne cesse de progresser. Il représente aujourd’hui 25 % de mon activité vente directe. Autant sur les vins, sur le Pineau, il faut se battre, travailler ses prix pour maintenir sa part de marché, autant sur le Cognac les choses paraissent plus simples. Sans doute est-ce en partie due à la quasi-absence des grandes maisons de Cognac sur le marché intérieur. Quoi qu’il en soit, une petite frange de consommateurs a capté l’effet mode du Cognac à l’étranger. Elle a envie d’essayer. Et des établissements “pointus” – boutiques, caves, restaurants, hôtels – remettent le Cognac à leurs cartes. Ce mouvement, relativement nouveau, profite à des gens comme moi. Bien sûr, les commandes ne portent pas sur 5 000 bouteilles. Mais elles sont totalement en phase avec ma logique de fonctionnement. »

Exploitation viticole en Grande Champagne, longue expérience de vente directe

M.B. – « A plusieurs reprises, j’ai donné suite à des propositions d’acheteurs chinois ; ça n’a jamais abouti. Je n’ai jamais obtenu de réponse. Les gens qui hantent ces circuits, je les soupçonne d’engager ces démarches pour obtenir des prix voire carrément quelques bouteilles d’échantillons. A mon avis, ce ne sont pas des partenaires sérieux. Ils manquent de parole et se comportent plutôt comme des “touristes”. A meilleure preuve, leur manière de déguster. Les demandes sont souvent exorbitantes – un container complet – et lorsqu’un paiement à la commande est demandé, la moitié décampe. Certains m’ont demandé de faire “un Cognac Hennessy” ou “un Cognac Rémy Martin”. Ils ont été reçus ! “Vous rigolez, leur ai-je dit, je travaille avec ces clients.”

J’ai des amis viticulteurs sur Bordeaux, qui se sont donnés comme objectifs le marché chinois. Ils y vont deux fois par an mais ils ont beaucoup de mal. Personnellement, je travaille sur les Etats-Unis. Il n’y a rien à dire. Tout se passe très bien. Même chose en Russie ou en Europe de l’Est. Il n’y a aucun souci. Les acheteurs sont plus professionnels et nos cultures se rapprochent. Les grandes maisons font ce qu’il faut pour que leurs affaires en Chine prospèrent et s’inscrivent dans le temps. Les marques connues, reconnues ont leur place sur ce marché. Pour nous, c’est différent. Il ne faut pas rêver ! A la propriété, les acheteurs cherchent malgré tout des prix. Ainsi, les prix du second marché ne passent pas. Par ailleurs, ils réclament tous l’exclusivité voire plus. Si je dois mettre en bouteille sous leurs noms à des tarifs qui n’ont rien d’extraordinaires, je préfère vendre en vrac au négoce. Je m’attends à être très sollicité à Vinexpo. Je vais déjà demander un paiement à la commande. Ce sera non négociable. Pas question de prendre le moindre risque. »

 

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