« Le Paysan Vigneron » – D’où vient le réseau CIVAM ?
Bérengère Durand – Son origine remonte aux années 50. Il fut fondé par des instituteurs « pour redonner aux paysans les moyens de leur propre éducation ». Dans la mouvance du développement agricole de l’époque, il s’inspirait du « modèle Pisany » et des mouvements d’éducation populaire. Cet ancrage avec le milieu enseignant, les CIVAM en ont d’ailleurs gardé l’empreinte pendant très longtemps. Jusqu’à l’an dernier, le ministère de l’Agriculture mettait à disposition du réseau 25 postes, pour établir le lien avec les établissements d’enseignement agricole, la DRAF, les DDA. D’où la fréquente localisation des CIVAM en périphérie ou dans l’enceinte même des lycées agricoles. Restrictions budgétaires aidant, ces mises à disposition ont disparu en 2010. Mais le mouvement associatif demeure. Organisé sous forme d’associations loi 1901, le réseau CIVAM compte 170 groupes, dans 15 régions, plutôt localisées dans le Grand-Ouest, la Bretagne, les Pays de Loire, la région Centre, le sud de la France. Conformément à l’esprit d’autonomie qui irrigue le mouvement, chaque groupe « tient les rênes », organise son propre fonctionnement et représente une instance de décision.
« L.P.V. » – En viticulture, on connaît les CIVAM bio d’Aquitaine et du Midi de la France. Le bio est-il « la » porte d’entrée privilégiée des CIVAM ?
B.D. – Après le mouvement descendant du développement agricole des années 50-60, qui percolait du sommet vers la base, les années 70 furent marquées par un courant ascendant, partant de la base. Des producteurs bio se sont effectivement appuyés sur le réseau CIVAM pour mettre en place leur activité AB. Ceci dit, le mouvement CIVAM ne se réduit pas aux bio. Il serait plutôt adepte d’une « troisième voie », en référence à l’ouvrage de Philippe Viaux intitulé Une troisième voie en grande culture. Bio ou pas bio, à la limite peu importe. Je pense même qu’il n’est pas souhaitable que les groupes soient monocordes. Cela ne correspond pas à notre philosophie qui est de réfléchir ensemble aux changements de pratiques. Les producteurs bio s’inscrivent déjà dans des schémas de pensée, qui les conduisent parfois à ne pas vouloir bouger. En cas d’erreur technique, c’est l’impasse. D’où l’intérêt d’avoir des groupes composites, bien plus féconds en terme d’auto-formation.
« L.P.V. » – En Poitou-Charentes, à quoi ressemblent les groupes CIVAM ?
B.D. – Ils se rapprochent davantage des groupes de l’Ouest de la France. Ils ont été créés au début des années 90 par des éleveurs, sensibles au discours de quelqu’un comme André Pochon (1). Cet éleveur breton, né dans les années 30, défendait et défend toujours une production laitière basée uniquement sur l’herbe, sans apport d’aliments extérieurs. L’idée était de pratiquer des pâturages tournants, des techniques rendant le système « plus économe et plus autonome », avec la mise en place de circuits courts, de maillages locaux. Dans cette mouvance a émergé en 1993 le CIVAM du Haut Bocage, dans le nord Deux-Sèvres, à côté de Bressuire. En Charentes, durant la même période, deux CIVAM virent le jour, celui de Mirambeau et le groupe Vitamine, entre Montmorillon et Confolens. Les deux n’étaient pas directement orientés vers l’agriculture mais plutôt vers le tourisme, l’échange et la mise en valeur du patrimoine. Ainsi le CIVAM de Mirambeau fut fondé par plusieurs personnes arrivant de Paris. Soucieuses de faire découvrir la région autrement, elles créèrent un label touristique en direction des autocaristes. Avec succès. Pour le groupe Vitamine, il s’agissait de faciliter l’intégration des nombreux Anglais, Hollandais qui s’étaient installés dans la région. L’association créa du lien, de l’échange, avec l’appui du réseau CIVAM. Sauf qu’à partir de 2005, la région Poitou-Charentes – notre principal financeur – nous demanda de nous repositionner vers les groupes structurellement agricole. Au terme d’un projet bien clair, l’agricole devait l’emporter sur le rural. C’est ainsi que le groupe de Mirambeau quitta le CIVAM pour rejoindre l’association Accueil Paysan, une structure qui fait partie de notre réseau. Depuis 2005, le CIVAM s’est recentré sur l’activité agricole. Quelques années avant, les CTE avaient fait leur apparition. Ces contrats collaient bien à notre façon de travailler. Sur la région Poitou-Charentes, quatre groupes naquirent dans le sillage des CTE. Depuis, il se crée environ un groupe par an sur les quatre départements.
« L.P.V. » – Qu’en est-il sur les deux Charentes ?
B.D. – Il n’existe pas de CIVAM en Charente-Maritime. En Charente, il y en a deux, le CIVAM du Ruffecois et le CIVAM de Charente-Limousine, et je travaille actuellement à créer un troisième groupe, sur le sud Charente. Ces trois groupes ont une entrée à la fois grandes cultures et élevage.
« L.P.V. » – Quelle approche technique défendez-vous ?
B.D. – Nous sommes très centrés sur le lien au sol, allié aux plantes et aux animaux. C’est pour cela que nos groupes s’inscrivent toujours dans un territoire bien précis. C’est très important pour nous de « bosser » à cette échelle, avec des personnes qui partagent la même expérience des sols au sein des groupes. Dans le réseau CIVAM, Claude et Lydia Bourguignon constituent des repères. C’est à partir de leurs travaux sur les profils de sol que les discussions s’enclenchent bien souvent, pour installer des types de rotation et de couvert. Les Bourguignon sont d’ailleurs en train de mettre en place un protocole dans le Ruffecois. Un autre de nos référents s’appelle Jean-Pierre Scherer. Enseignant à l’IREO de Chauvigny, il intervient sur l’entrée sol. C’est quelqu’un qui parle du sol comme d’un être humain. Il faut lui donner « à manger ». Cette approche « new age » peut paraître déstabilisante mais outre qu’elle se révèle très efficace en terme de transmission des connaissances, elle s’appuie sur un savoir scientifique sans faille.
« L.P.V. » – En quoi consiste votre travail d’animatrice ?
B.D. – Mon boulot réside à repérer les sujets intéressants et à ne pas les lâcher, en allant chercher les intervenants capables de les traiter. Il consiste aussi à aider les groupes à lever les freins qui risquent de les bloquer. Un truc paraît insurmontable ! Collectivement, les groupes passent par-dessus. Mais le gros du travail consiste peut-être à faciliter les transferts d’expériences ; voir ce qui marche, ce qui ne marche pas et ensuite restituer au groupe. Ainsi le groupe de Ruffec s’intéresse au semis direct sous couvert. A été constituée une plate-forme d’essai avec des légumineuses, crucifères, graminées. Le passage d’un rouleau « Faca » a été expérimenté. Il couche le couvert avant l’implantation des céréales, blé, tournesol, implantation qui se fait dans la ligne de sillon. L’autoformation, le bouche à oreille, alimente en grande partie la mise en œuvre de ces nouvelles techniques. Des agriculteurs de Vendée ainsi qu’un groupe de Bretagne avaient défriché le terrain voilà sept-huit ans. L’expérience est reprise en Charentes. C’est à peu près la même démarche qui s’applique au bois raméal fragmenté (BRF). Des jeunes pousses de haies sont broyées pour donner de petits copeaux qui alimenteront le sol.
« L.P.V. » – Et la viticulture charentaise ? Parmi elle, il y a peut-être des personnes en attente d’une approche CIVAM ?
B.D. – Pour qu’un groupe existe, un noyau de 7-8 personnes doit se former. Il n’est pas dans la culture CIVAM d’agir aux forceps. Le temps de la réflexion nous paraît très important. C’est le gage d’un engagement durable. Nous n’avons pas non plus l’intention d’empiéter sur le travail des techniciens de Chambre qui animent des groupes de viticulture raisonnée, même si nous nous situons davantage sur la notion de viticulture intégrée. Ceci dit, le réseau CIVAM a vocation à communiquer. Nous le faisons de manière naturelle, à partir de réunions d’information. Ce fut le cas avec les réunions organisées dans le cadre des périmètres de captage de la vallée du Né. Le réseau CIVAM est partenaire de la région Poitou-Charentes et de l’agence Adour-Garonne pour les 15 territoires ressources (périmètres de captage) de la région. A cette occasion nous avons rencontré de nombreux agriculteurs et viticulteurs. Dans une assistance, les leaders du coin se repèrent assez vite. En général, il s’agit de gens curieux et intéressés.
« L.P.V. » – Vous avez parlé d’un groupe en cours de constitution, dans le sud Charente. Concrètement, comment cela se passe-t-il ?
B.D. – Nous allons démarrer avec 12 personnes. A la base, il y avait trois copains, qui avaient commencé à travailler ensemble. Et puis le groupe s’est étoffé à la faveur d’une réunion organisée par le CIVAM et la MAB (Maison de l’agriculture biologique) avec Claude Bourguignon en novembre, à partir d’une expérience de semis direct sous couvert. Ont participé à la réunion 150 personnes.
« L.P.V. » – Comment fonctionne un groupe CIVAM ?
B.D. – Les adhérents sont autonomes dans leur fonctionnement. Ils définissent le montant de leur cotisation en fonction de leurs objectifs. En général, cette cotisation ne dépasse pas 30 à 50 € par an. La répartition du temps des animateurs entre les différents groupes se décide en conseil d’administration régional. Si un groupe veut plus de temps d’animation, il doit aller chercher les fonds lui-même. Le réseau ne fait pas payer les formations, dans la mesure où, comme les autres organismes de développement, il dispose de fonds de formation. Le réseau CIVAM bénéficie des aides du Conseil régional, de l’Agence de l’eau, des conseils généraux, des pays et des collectivités locales. En principe, nous sommes assez bien identifiés auprès des collectivités territoriales. En moyenne, les groupes tournent autour de 25 personnes. Il existe des groupes plus importants qui atteignent une centaine de personnes.
« L.P.V. » – Les gens qui rejoignent le réseau CIVAM ont quels profils ?
B.D. – Ce sont souvent des gens formés. Mais peut-être davantage que le diplôme, joue l’environnement personnel. En général, ces gens n’évoluent pas seulement dans le milieu agricolo-agricole. Ils ont d’autres accointances, d’autres centres d’intérêt. Le public est assez jeune – moyenne d’âge 40 ans – mais se recrute un peu de manière transgénérationnelle. Les motivations à rejoindre les groupes sont multiples. Il y a les plus de 50 ans, qui ont toujours baigné dans un itinéraire technique traditionnel mais qui, l’âge et la réflexion venant, ne s’y retrouvent plus trop. Il y a les purs et durs du développement durable, qui ne nous lâchent pas. Mais nous voyons aussi arriver une nouvelle vague qui ne s’inscrit pas dans ce schéma-là. Une réflexion sur le changement de pratique les interpelle.
« L.P.V. » – Quelle place accordez-vous aux critères socio-économiques ?
B.D. – Aujourd’hui le critère de valeur ajoutée représente notre grand champ de bataille. A ce titre, l’échange d’expériences s’avère un puissant moteur. Nous faisons aussi appel à des animateurs compétents.
« L.P.V. » – Et la politique syndicale ?
B.D. – Ce n’est pas notre affaire. Comme le dit Christian Marin, vice-président du CIVAM du Ruffecois : « Le syndicalisme, on s’en fout. Nous ne sommes pas là pour ça. Nous faisons du développement. ».
(1) Eleveur laitier à la retraite, né dans les Côtes-d’Armor, André Pochon est l’un des promoteurs de l’Agriculsture paysanne et de l’Agriculture durable. Inventeur de la « méthode Pochon » qui consiste à limiter les engrais grâce à l’implantation de prairies de trèfle blanc, il a écrit de nombreux ouvrages, où il propose des solutions alternatives à l’élevage intensif : « Du champ à la source (1988) ; « La prairie temporaire à base de trèfle blanc » (1996) ; « Les champs du possible. Plaidoyer pour une agriculture durable » (1999) ; « Les sillons de la colère » (2001) ; « Agronomes et paysans : un dialogue fructueux » (2008) ; « Le scandale de l’agriculture folle » (2009)
Bérengère Durand, animatrice CIVAM
Dotée d’une formation à l’agro-environnement complété d’un DESS « Collectivités locales et développement », Bérengère Durand avait été recrutée au départ pour la recherche de financement auprès des collectivités territoriales. Mais aujourd’hui son poste d’animatrice évolue de plus en plus vers des « champs techniques ». Avec un collègue a mi-temps, elle est en charge des deux départements charentais. Pour l’heure, elle s’occupe du groupe de Charente-Limousine et met en place celui du sud-Charente. Au niveau régional, elle coordonne le dossier financier auprès des agences de l’eau (Adour-Garonne et Loire-Bretagne). En Poitou-Charentes, le réseau CIVAM emploie huit personnes.
Contact – Animatrice CIVAM : 06 37 82 08 04 ; berengere.civam@gmail.com
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