Sur le dossier des ODG (organismes de défense et de gestion des appellations), les négociants en vins français ont eu l’impression de se faire avoir. Pas question de récidiver sur le dossier des plantations. Plutôt favorables à la régulation, ils y mettent une condition : que la gestion soit interprofessionnelle, afin d’y être associés. En terme de négociation, ils campent sur une ligne dure.
« Vous avez une belle brochette devant vous » s’est exclamé Ghislain de Montgolfier lors de la conférence de presse organisée par l’AGEV (Association générale des entreprises vinicoles) en mars dernier sur le thème des droits de plantation. En effet, les quatre membres de l’association présents ce jour-là couvraient assez bien le spectre du négoce français des vins, des vins d’appellations jusqu’aux vins sans IG. Participaient à la réunion Ghislain de Montgolfier, président de l’AGEV mais aussi président de l’UMC (Union des Maisons de Champagne), Allan Sichel (Maison Sichel), président de l’Union des Maisons de Bordeaux, Michel Chapoutier (Maison Chapoutier à Tain-l’Hermitage), président des négociants en vins de la vallée du Rhône et Bruno Kessler, vice-président de l’AFE (Association française des embouteilleurs-distributeurs), consultant. Jusqu’en 2008, il a été en poste aux Grands Chais de France. C’était l’homme « vins sans IG » du quadrige.
Les négociants en vin ont d’emblée rassuré sur leur activité. « Le marché mondial des vins est bien orienté sur les trois prochaines années. Les grands marchés (USA…) voient leurs stocks s’alléger et, en France, la production 2011 fut bonne. » Autant d’éléments positifs que viennent confirmer les chiffres. Au niveau national, les 700 et quelques maisons de négoce en vin ont dégagé l’an dernier un chiffre d’affaires de 23 milliards d’€, France et export confondus. Tout serait donc au beau fixe !
Bruno Kessler a introduit un bémol. « Pour les vins icônes de Bordeaux, de Bourgogne et d’ailleurs, tout va bien merci. Mais les deux tiers du marché mondial s’établit à moins de 3 € la bouteille. Là, la France se fait tailler des croupières. Si nous sommes les premiers exportateurs en valeur, qu’est-ce qu’on a perdu en volume ! Alors qu’il y a des places à prendre sur les marchés émergents. Le c œur du débat, il est là. »
« Dans le business, pas dans l’affect »
L’homme à la sensibilité vin de table n’a pas caché sa vision des choses. « L’OCM vin telle que négociée en 2007-2008 nous va plutôt pas mal. Ce n’est pas la catastrophe annoncée. Elle est de nature à nous permettre de nous développer. Nous sommes dans le business. Pas dans l’affect. » Il a fait l’éloge d’une OCM vin qui prenait mieux en compte l’intérêt du consommateur. « C’est tout de même l’un des fondements clés du changement, avec l’élimination des excédents chroniques. » Ses collègues du monde des appellations partagent-ils à 100 % son point de vue ? Clairement non. Pour Ghislain de Montgolfier, la régulation relève même d’un « terrible bon sens ». Il s’en explique : « L’intérêt premier du négociant, quel est-il ? C’est de sécuriser son approvisionnement amont pour développer ses marques à l’international. Cela passe par l’économie contractuelle mais aussi par la maîtrise de la production. Les deux vont de pair. » Et de poursuivre : « L’intérêt très profond du négoce passe par la régulation. »
Mais… car il y a un mais, il ne s’agit pas de n’importe quelle régulation. Les négociants en vins ne l’envisagent pas autrement qu’au sein des interprofessions, interprofessions où ils siègent à parité avec la viticulture. Ils réclament un « droit de regard de l’aval » et, plus encore, un « co-pilotage ». « Alors que les interprofessions hexagonales servent de modèles, il y aurait un paradoxe certain à ce que ce modèle ne s’appliquât pas en France. Nous demandons que la position sur la gouvernance des plantations soit clarifiée. Nous voulons des garanties. »
On ne signera pas un chèque en blanc
Quelqu’un comme Michel Chapoutier s’est montré encore plus « cash ». « Il y a trois ans, quand les ODG furent mises en place, dans ma région, le négoce fut complètement évincé alors qu’il avait reçu des promesses de participation. On ne se fera pas confisquer une deuxième fois le droit à la co-responsabilité de la filière. D’accord pour la régulation des plantations mais à condition qu’elle soit interprofessionnelle. On ne signera pas un chèque en blanc. On n’est pas des bœufs ! »
Pour preuve de la ligne dure qu’il s’est choisie, le négoce vin national laisse planer le doute sur son soutien à la cause de la régulation du potentiel de production. Il joue de l’ambiguïté, souffle le chaud et le froid, voire laisse filtrer de vagues menaces.
« Le contrôle des plantations n’est pas un concept juridique intangible, un mythe dont on ne pourrait pas déroger. L’interdiction temporaire de plantation a été introduite en 1976 et confirmée en 1979 mais seulement de manière provisoire et au vu “d’un équilibre supérieur du marché” (arrêt Hauer). Sinon c’est une limitation au droit de propriété. C’est cette limitation provisoire que l’OCM vin de 2008 a levée, trente ans après. Des Etats membres de l’UE ont toujours vécu sous le régime de la liberté de planter, comme la Belgique ou l’Angleterre. Certes, ce sont de petits pays viticoles mais quand même. Le compromis sur la nouvelle OCM vin a mis près de huit ans à s’échafauder. Le texte traite d’une vingtaine de points, dont l’enrichissement, les pratiques œnologiques, les prestations viniques… un champ extrêmement large. Ce serait une énorme erreur que se concentrer sur les seuls droits de plantation. On s’en prendrait plein la figure ! »
Le négoce vin ne trouve rien à redire sur le timing de la Commission. « Le rapport d’évaluation de l’OCM vin est prévu fin 2012-début 2013 et le groupe à haut niveau nommé par le commissaire Ciolos s’est aligné sur ce calendrier. »
Surtout, il entend faire passer un message, celui de la régulation plurielle. Plantation et rendement, même combat. Manifestement, le négoce vin souhaite se servir du dossier des plantations comme d’un levier, pour revenir sur la plaie béante des ODG. Lors de cet épisode, les opérateurs de l’aval ont eu l’impression « d’aller à Canossa », en d’autres termes, de « s’être fait balader ». « La problématique de la régulation ne s’arrête pas à la variable « plantation » défendent-ils. Elle concerne aussi le rendement. Et toutes ces modalités relèvent du schéma interprofessionnel. Pour être clair, le rendement est de la régulation économique et non une mesure qualitative. »
Pour le négoce vin, revenir à un régime « sec » d’interdiction des plantations serait à la fois « inutile et insuffisant ». Inutile parce que l’interdiction des plantations n’a pas évité, par le passé, les excédents. Et insuffisant « car interdire, ce n’est pas réguler. »
Repères
L’AGEV (Association générale des entreprises vinicoles) recouvre 18 fédérations de négociants. S’y retrouvent à peu près l’ensemble des maisons de négoce en vin hexagonales, soit environ 700 entreprises, employant 30 000 salariés (bien plus si on intègre la filière vin et les emplois induits). On parle alors de 800 000 salariés. Le chiffre d’affaires du négoce vins français s’élève à environ 23 milliards d’€. Ghislain de Montgolfier préside l’AGEV. Nicolas Ozanam en est le délégué général et Benoît Stenne le délégué général adjoint. Rue de Madrid, à Paris, l’AGEV partage le même siège social que les autres fédérations de négociants : FEVS (Fédération des exportateurs de vins et spiritueux), FFS (Fédération française des spiritueux), FFVA (Fédération française des vins d’apéritif).
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