Une interview de Jean-François Bertrand, viticulteur à Chevanceaux

26 novembre 2010

Le viticulteur, fortement impliqué dans les trois filières charentaises, Pineau, Cognac et vin de pays, s’avoue « interpellé » par un aspect de l’actuelle réglementation viticole : l’absence de rendement autre que physiologique des vins sans indication géographique (les 250 hl vol./ha). Au nom de la flexibilité voulue par l’Europe, cette permissivité n’est-elle pas, potentiellement, source d’instabilité ? J.-F. Bertrand pose des questions, sans prétendre apporter de réponse.

 

 

bertrand.jpg« Le Paysan Vigneron » – Qu’est-ce qui vous gêne aujourd’hui ?

Jean-François Bertrand – Ce qui me gêne, c’est la manière dont est gérée actuellement la récolte. J’ai l’impression que nous vivons dans une espèce de non-dit. Des compensations s’opèrent, qui arrangent tout le monde. Le négoce spécialisé vin obtient la marchandise qui lui faut. Le viticulteur vide son chai. Personne ne vole de vin à personne, puisque les raisins sont bel et bien dans des vignes. L’Europe n’y trouve rien à redire, elle qui prône le libéralisme. Tout le monde s’arrange dans les limites du raisonnable ou, plus exactement, du non contrôlable. Un « flou artistique » préside au rendement des vins sans IG (180, 250, 300 hl vol./ha)… Pour autant, personne n’a vraiment la conscience 100 % tranquille. C’est un peu comme dans un couple où l’un trompe l’autre, pense que l’autre le sait mais aucun ne l’avoue. Cette réglementation permissive encourage le système D.

« Le Paysan Vigneron » – Soyons provocateur. En quoi est-ce dérangeant ?

J.-F.B. – Il s’agit d’un équilibre instable et je considère, intuitivement, que dans toute entreprise économique, rien de durable ne peut se construire sur du sable. C’est pratiquer la politique de l’autruche qui, comme chacun sait, n’est jamais bonne conseillère. A éluder les problèmes, on se rend vulnérable. C’est pourquoi il me paraît difficile de rester longtemps dans une telle posture, où les choses ne sont pas interdites mais pas vraiment permises non plus. Immanquablement, ce genre de situation vous explose à la figure. Elle vous met en position d’être une proie facile.

« Le Paysan Vigneron »- Qu’entendez-vous par là ?

J.-F.B. – Je fus surpris d’entendre que la profession donnait son blanc-seing à des contrôles exercés par les Douanes et des Fraudes sur les exploitations ayant dépassé les bornes l’an dernier. En fait, les contrôleurs ne vont pas verbaliser l’infraction – difficilement caractérisable – mais en profiteront pour découvrir d’autres infractions qui, elles, seront verbalisables. Pour eux, il s’agira « d’un bon moyen pour valider les pratiques de terrain », autrement dit de savoir ce que nous faisons. Cette technique du « flicage » n’est pas vraiment mon truc.

« Le Paysan Vigneron » – Quelle solution proposez-vous ?

J.-F.B. – Voilà bien où le bât blesse. Des solutions, je n’en ai pas. J’ai un peu l’impression d’être dans la peau de celui qui dénonce – « ça ne va pas, ça ne va pas » – mais qui ne propose rien en retour. Cela ne fait pas trop partie de mes habitudes, de critiquer en pure perte. C’est pourquoi, aujourd’hui, je ne me sens pas trop à l’aise dans mes bottes. D’un côté, je trouve que les hauts rendements confinent à la mystification mais, de l’autre, cela me gênerait de jeter du vin. En faisant cela, j’aurais conscience de jeter du chiffre d’affaires et, à un certain moment, j’en ai manqué. Je sais aussi que le négoce Cognac a besoin d’un poumon d’expansion, que les vignes « autres » sont à même de lui procurer. Par ailleurs, peut-on décemment se priver des négociants en vin ? Rien ne nous préserve d’un retournement de situation. Comme vous le voyez, les contradictions l’emportent sur les certitudes même si, quelque part, une conviction m’anime.

« Le Paysan Vigneron » – Laquelle ?

J.-F.B. – Personnellement, j’ai du mal à accepter les non-dits, les quiproquos, le manque de visibilité. J’ai un ami italien, Luigi, qui me dit dans son accent piémontais inimitable : « les terrasses, elles coulent sur les pergolas ». Cette culture-là, soit on l’accepte, soit on ne l’accepte pas. Moi, ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir entretenir le plus durablement possible mon outil de production – vignes, bâtiments, matériel – avec les moyens les moins susceptibles d’être remis en cause. Aujourd’hui, nous vivons une situation un peu ubuesque où, d’un côté, nous surproduisons et, de l’autre, nous jetons. Vis-à-vis des salariés, c’est intenable. Comment se montrer exigeant toute l’année – reprendre quelqu’un parce qu’il a cassé un bois, mal taillé un cep – et, dans le même temps, jeter de la vendange. Des gens travaillent chez moi, qui ont de grosses difficultés à se nourrir et vivre de façon décente chez eux. Je pense plus précisément à mes tailleurs roumains.

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