« pourquoi pas ! »
Cette opinion tranchée, tous les observateurs ne la partagent pas, loin s’en faut, même parmi les opérateurs qui ne manifestent pas d’allégeance particulière vis-à-vis du négoce. Ils cautionnent sans état d’âme le chiffre de 10,62. « Si le Cognac continue son ascension, ma foi, pourquoi pas ! Apparemment, ces dernières années, personne n’avait vraiment prévu un tel taux d’exportation (10 % de hausse sur l’année mobile). La viticulture a besoin de refaire des stocks et nous avons accumulé un peu de retard de distillation. Clairement, le négoce veut du produit et ne veut pas le payer trop cher. La viticulture a besoin de retrouver de l’argent à l’ha. L’augmentation de la QNV ha est la résultante de tout ceci. Logiquement, il n’y a pas grand-chose à redire, même si le système parfait eut sans doute été de pouvoir assortir cette augmentation de QNV d’une partie non commercialisable. Mais aujourd’hui, nous ne disposons pas des bases juridiques pour imposer cette mise en réserve. »
Qu’en pense Jean-Bernard de Larquier, président du SGV ? Il a fait partie des 14 viticulteurs sur 18 (trois contre et une abstention) qui votèrent le chiffre de 10,62. Il explique son vote par le souci de la viticulture de ne pas remettre en cause l’accord sur la méthode de calcul. Par contre il n’ignore pas que la partie entamée ne sera pas simple. La viticulture a demandé au négoce de s’engager fermement à ses côtés pour que l’hl supplémentaire dû à l’XO soit « mis de côté » par les viticulteurs, afin d’alimenter les vieilles qualités au lieu de débouler brutalement sur le marché en jeunes comptes, au risque de casser les prix. Si, pour l’instant, la démarche de stockage ne peut qu’être volontaire, la viticulture compte notamment sur les coopératives associées pour aider à la mise en réserve. La présence à titre exceptionnel de Yann Filloux et de Bernard Guillonnet, les deux chefs de famille, aux côtés de Jean-Pierre Lacarrière lors de la conférence de presse tenue à l’issue de l’assemblée plénière, entendait confirmer le caractère officiel de cet engagement. Par ailleurs, les membres de l’interprofession ont convenu de se revoir pour examiner, malgré tout, si un cadre juridique à la réserve technique ne pourrait pas être trouvé pour les années futures. « Nous essaierons d’aller plus loin dans la réflexion. » Le jour même de l’assemblée plénière, l’interprofession a sollicité des autorités de tutelle que le rendement agronomique passe de 130 à 150 hl/ha, afin de redonner un peu de brillant aux débouchés jus de raisin et vins de table. Enfin, last but not least, J.-B. de Larquier a lancé une mise en garde au négoce. « Si les mercuriales ne reflètent pas une évolution significative des prix des vins Cognac et des 00, nous remettrons en cause l’accord lors de la prochaine récolte. Désormais la balle est dans le camp du négoce. »
Au sein des coopératives associées – peut-être le lieu le plus adéquat pour débattre des prix – un mot d’ordre s’installe : « on n’évoquera pas la QNV haute mais une QNV en régime de croisière, entre 9 et 9,5 ». Cette recommandation sera-t-elle suivie d’effet ? On connaît la célèbre caricature de Caran d’Ache au moment de l’affaire Dreyfus. Lorsque le repas de famille commence, le propos est : « N’en parlons pas ! » ; l’image suivante montre un pugilat général avec ce commentaire : « Ils en ont parlé. »
Au sujet des prix, un chef de maison, précisant tout de même qu’il s’exprime en son nom propre et non pour le compte de ses collègues, tient le langage suivant : « Le négoce n’est pas sourd à la demande de la viticulture. Elle paraît légitime. La viticulture a fait preuve d’un très grand sens des responsabilités en acceptant le chiffre de 10,62. Un “retour d’ascenseur“ semble normal. » Il précise en outre : « Nous sommes tout de même dans une situation atypique. Nous n’avons jamais connu de situation de marché aussi forte. J’espère que nous arriverons à la gérer comme il faut, sans dérapages. Le chiffre de 10,62 n’est pas une fin en soi. Il pose bien d’autres questions, qu’il va falloir résoudre. »
Un courtier ne dit pas autre chose quand il parle d’un « paquet d’inconnus » à la clé du chiffre de QNV. Ainsi, par exemple, les viticulteurs auront-ils les moyens de stocker l’hl supplémentaire ? « Personnellement, répond-il, je ne me ressens pas de faire stocker du Cognac aux mêmes qui en ont conservé en 1975, en 1990. Ce n’est pas un service à leur rendre. » En disant cela il pense aux livreurs de vins, stockeurs non professionnels. « La mesure me semble plutôt faite pour les bouilleurs de cru aguerris au portage de stock. » Malgré tout, des eaux-de-vie nouvelles ne risquent-elles pas d’arriver inopinément sur le marché en avril 2008 ? « Il est clair que des viticulteurs vont vouloir distiller et seront tentés de mettre leurs eaux-de-vie sur le marché en cas de difficultés de trésorerie. C’est pourtant le genre de chose que je ne conseillerais jamais. En général, cela finit toujours mal. C’est bien la première fois de ma carrière que j’ai vu cette année, des 00 intéressantes. Il faut être en manque. » « En 2008, constate-t-il, non seulement l’offre sera supérieure à celle de 2007 mais la demande risque d’être inférieure, de par la pause prévisible sur les tendances spéculatives à l’œuvre aujourd’hui. » Reste cependant une interrogation de taille : la capacité de production. Le coup de vent du week-end de la Pentecôte associé aux conditions froides sur la fleur n’ont-elles pas déjà entamé le potentiel de production ? « Tout le monde ne pourra pas viser les 10,62. » Sur l’évolution des prix, le courtier croise les doigts. Il espère une légère évolution sur le marché grandes maisons et souhaite que le tassement ne soit pas trop manifeste sur le second marché. Quant aux prix des rassises, « normalement il est détaché du prix des rassises, à moins d’une psychose collective ». Un viticulteur, quant à lui, s’interrroge sur la réversibilité de cette hausse de QNV. « On nous dit que l’outil d’aide à la décision fonctionne dans les deux sens ; qu’il permettra de corriger rapidement le tir en cas de baisse des ventes. Face à une récession de 5 à 10 % – qui ne manquera pas d’arriver – l’effet d’amplification à rebours nous conduira-t-il à ne produire que 4,5 hl AP/ha ? Pourtant, ce n’est pas quand le négoce est disposé à stocker que le viticulteur doit stocker. C’est quand le négoce n’est pas disposer à acheter que le viticulteur a intérêt à stocker. » On ne parlera jamais assez du poids du contre-cycle sur l’économie du Cognac.