Denis Lahouratate, maitre de chai de la maison Bisquit

11 juin 2014

Denis Lahouratate fut d’abord un homme du vin avant de devenir un homme du Cognac. C’est peut-être ce qui lui vaut d’avoir
développé une approche un peu différente de la distillation des eaux-de-vie de Cognac. Maître de chai de la maison Bisquit depuis 2009, il a beaucoup œuvré à sécuriser l’approvisionnement de la marque, dans un esprit de confiance mutuelle et de diversification des engagements. « Il n’est pas interdit de travailler avec plusieurs maisons » dit-il. Une liberté d’esprit dans laquelle se reconnaît Denis Lahouratate.

 

 

p34.jpgCommençons par le début. Quel fut votre parcours ?

J’ai fait des études agricoles, un BTA viti-œno puis un BTS « Techniques agricoles et gestion » à Moulins, dans l’Allier. Plus tard, j’ai passé à la fac un DUAD, un diplôme universitaire d’aptitude à la dégustation des vins. C’est en 1984 que je commence à travailler, à Sancerre, chez Joseph Mellot, une maison de négoce en vin, également propriétaire de vignobles. Comme employé de chai, je m’occupe de la préparation des vins, de leur mise en bouteille, avec deux ou trois personnes travaillant avec moi. En 1987, je décide de me rapprocher de Bordeaux, d’où ma famille est originaire. J’intègre alors la maison Lillet, où je remplace l’œnologue consultant qui a terminé sa mission. J’y resterai jusqu’en 1995. C’est mon premier contact avec l’alcool, le « surfin » qui rentre dans la composition du Lillet, un apéritif à base de vin (ABV). Le Cognac, je le découvre en 1995, quand je rentre chez Léopold Gourmel, la maison fondée par Olivier Blanc et Pierre Voisin. C’est justement Pierre Voisin que je dois remplacer. Ingénieur mécanique de formation, P. Voisin est un « utopiste » qui s’est forgé une vision bien à lui des eaux-de-vie charentaises. Il dénonce la distillation « rectifiante » du Cognac pour défendre ce qu’il appelle une distillation « grasse ». Entre mon propre ressenti et celui de Pierre Voisin, il y a une marge mais je partage avec Pierre cet intérêt pour les eaux-de-vie plus souples, plus moelleuses. A mon arrivée à Cognac, je m’inscris naturellement au stage de dégustation ORECO. Je suis un peu surpris de voir que la dégustation se fait essentiellement de manière olfactive, au nez, très peu en bouche. Moi qui viens du vin, j’ai l’habitude de déguster réellement les produits. Par la suite, j’essaierai de mettre ma sensibilité, ma connaissance du vin au service de mon approche des eaux-de-vie.

La distillation, comment l’abordez-vous ?

Je sais à peu près ce que je veux mais je suis totalement autodidacte en matière de distillation. Au début, je m’appuie sur le régisseur de la propriété auprès de laquelle nous travaillions. Même chose plus tard avec la coopérative de Jurignac, pour mettre au point la méthode de distillation qui cor-
respond à nos objectifs. Entre les deux, la petite maison de mes débuts a été reprise par des investisseurs dont je ne partage pas les projets. Un jour, je reçois un appel de mon père m’informant qu’un groupe sud-africain vient de racheter Bisquit et qu’il recherche un maître de chai. Je n’y crois qu’à moitié mais j’envoie quand même ma candidature. Je rencontre Vincent Chappe puis assez vite Johan Venter, le directeur production (côté amont) du groupe Distell. Je me souviens, l’entretien se déroule tout en anglais, ce qui n’est pas évident pour moi à l’époque. Mais bon, le courant passe bien avec l’homme de produit. Lors du rendez-vous suivant, je lui
propose de lui faire goûter les Cognacs que j’ai élaborés : « Vous verrez plus rapidement ce que je fais. » Il me dit que cela l’intéresse, que c’est dans l’esprit qu’il souhaite donner à la marque Bisquit. C’est ainsi que j’ai intégré Bisquit à l’automne 2009.

Qu’est-ce qui vous attend alors ?

Les premiers mois vont être consacrés à définir les besoins futurs de la marque à échelle de dix ans mais aussi à réfléchir à une méthode de travail : sur qui comp-ter pour trouver les volumes d’eaux-de-vie nécessaires ? Où les stocker ? La maison possède un peu de stock logé à ORECO – l’équivalent de 2 ans – mais cela ne suffit pas à alimenter toutes les qualités ni bien sûr à se projeter dans l’avenir. Côté logement, décision est prise de louer des chais à Saint-Preuil. Côté approvisionnement, nous rentrons très vite en contact avec des distillateurs et des courtiers qui vont nous aider à trouver les eaux-de-vie que nous cherchons. D’ailleurs, ce premier voyage Bisquit en Afrique du Sud, auquel certains d’entre eux étaient conviés – d’autres le seront l’an prochain – était une manière de leur signifier que nous n’avons pas oublié leur implication, leur investissement à nos côtés dès le début, en 2009-2010. A Cognac, à cette époque, nous avons eu la chance de tomber un peu dans un « trou d’air », ce qui a rendu les gens un tantinet plus réceptifs.

En 2014, où en est votre politique d’approvisionnement ?

Aujourd’hui, nous sommes toujours en phase de reconstitution du stock Bisquit. A 90 % notre approvisionnement passe par les bouilleurs de profession et les bouilleurs de cru (ces derniers à hauteur de 20 à 25 % des volumes), en sachant que derrière les bouilleurs de profession, il y a des viticul-teurs et des engagements. Le marché libre, lui, ne couvre que 10 % de nos achats. Au cours des cinq prochaines années, notre objectif est de contractualiser 100 % de nos besoins. Ensuite, si les volumes augmentent, nous reviendrons peut-être à 90 % de volumes contractualisés et 10 % d’achats d’opportunités.

Nos contrats, jusqu’à présent de trois ans renouvelables, pourraient peut-être connaître une durée un peu plus longue. Dans un contexte d’investissements au vignoble, il semble important de pouvoir apporter des garanties de sortie aux banques.

Et les prix ?

Il est de notoriété publique que les prix Bisquit se situent dans la moyenne des deux ou trois leaders par cru. Nous ne sommes jamais le plus offrant mais jamais non plus le moins offrant.

Vous travaillez avec quels crus ?

Encore aujourd’hui, Bisquit est une marque dont les ventes se font aux deux tiers en VS et en VSOP-XO pour le tiers restant. Assez logiquement, l’approvisionnement VS privilégie les crus Fins Bois et Bons Bois (70 % / 30 %) tandis que pour nos VSOP et XO, nous sollicitons davantage les Petites et Grandes Champagnes.

Pour Bisquit, développez-vous la même approche de distillation que pour
Gourmel ?

Tout à fait. Le conseil que nous donnons aux distillateurs, de cru ou de profession, est de couper un peu plus bas que d’habitude, c’est-à-dire entre 52 et 54°, voire légèrement en dessous. Ceci dit, cette préconisation n’a rien de dogmatique. Elle n’est pas systématique. Tout va dépendre du millésime, du cru mais aussi de la compétence du distillateur. Avec quelques bouilleurs de cru, nous avons pu descendre à 50°. Des bouilleurs de profession gèrent très bien leurs 15 chaudières en respectant notre schéma. Le gros intérêt de la méthode consiste à pallier les faibles quantités de lies. Une coupe un peu plus basse remplace le moelleux procuré par les lies. Ce qui ne veut pas dire que nous ne nous passions pas de lies. Nous conseillons de distiller avec les lies fines.

Que retirez-vous de ce premier voyage Bisquit ?

Je parlerais tout d’abord du plaisir que j’ai eu à me retrouver avec « ma famille », celle des viticulteurs et des gens qui travaillent avec eux, courtiers, distillateurs. Ensuite, ce voyage constituait en quelque sorte le prolongement naturel de deux de mes activités, celle d’acheteur et celle d’ambassadeur de la maison Bisquit, en tant que maître de chai. Enfin, comme vous pouvez le penser, ce voyage portait en lui une sorte de « message ». Nous avions envie de dire à tous les viticulteurs : « Vous pouvez travailler avec d’autres maisons que les seules trois ou quatre grandes. Le Cognac Bisquit, comme le groupe Distell, n’est pas là pour “faire un coup”. Nous nous engageons à vos côtés, pour longtemps. » Sincèrement, je pense qu’il y a une carte à jouer, et pour les viticulteurs et pour nous. Le monde évolue vite, les changements sont violents, radicaux. Une redistribution des cartes est toujours possible. Dans ces conditions, être partenaire à 100 % d’une maison peut devenir risqué. Ne vaut-il pas mieux diversifier ses débouchés, résister à l’appétit hégémonique de certaines maisons.

Vis-à-vis de la politique d’achat, comment se positionne le groupe Distell ?

Dès le départ, le groupe nous a demandé d’établir un business plan à 10 ans, voire au-delà et de mettre les achats en adéquation avec les prévisions. Je me souviens d’une remarque de Johan Venter : « Denis, il ne faut pas viser 100 % de couverture mais 120 % ». C’est le côté très entreprenant, très optimiste des Sud-Africains. Sur les approvisionnements d’eaux-de-vie, Bisquit a carte blanche, avec l’aval bien sûr du groupe. On ne nous signe pas un chèque en blanc. Mais les wagons sont sur les rails et il y a la locomotive qu’il faut pour les entraîner. Et ça, c’est très confortable.

 

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