« Paré pour la bagarre »

28 juin 2009

Michel Goubard dirige l’office de tourisme de Cognac depuis plus de quinze ans. De l’œnotourisme, il en fait presque comme M. Jourdain de la prose, tellement le Cognac porte l’offre touristique locale. M.Goubard fut la cheville ouvrière du « Pôle touristique du Pays de Cognac », une structure ombrelle qui rassemble les OT de Cognac, Jarnac, Segonzac, Châteauneuf et Rouillac.

 

« Le Paysan Vigneron » – Pour vous, qu’est-ce que l’œnotourisme ?

dir_ot_opt.jpegMichel Goubard – Une définition couramment admise indique qu’il s’agit d’un concept déclinant à la fois la découverte du vin dans sa région, un volet patrimonial et un volet culturel. A ce titre, l’œnotourisme a toujours eu pignon sur rue à Cognac, avant même que le terme apparaisse. Il y a très longtemps, l’office diffusait un document d’appel, « Les routes du Cognac », qui recensait tout ce qui existait dans la ville et le vignoble. En 1995, on m’a chargé de mener une réflexion sur une « route du Cognac ». J’ai géré le dossier pendant deux ans avec Laurent Duquesne, de la Chambre d’agriculture 16, avant qu’il ne soit repris par le Syndicat de pays ouest Charente et Pierre Hitier, suite à un changement de personnel politique. En sont nées les Etapes du Cognac car un petit malin avait déjà déposé le nom « Route du Cognac » à l’INPI. Aujourd’hui, l’OT de Cognac offre une palette de lieux de visites, tous en lien avec le Cognac. Il y a les maisons de Cognac, les viticulteurs, la découverte d’une tonnellerie, la visite de Saint-Gobain (les bouteilles). Puis la proposition s’est enrichie de la Gabare, toujours liée à l’histoire du Cognac, de l’Espace découverte et du musée des Arts du Cognac. Ainsi couvrons-nous l’intégralité de l’offre œnotouristique du Cognac.

« L.P.V. » – Selon vous, d’où vient le concept d’œnotourisme ?

M.G. – Apparu au début des années 2000, je crois qu’il procède beaucoup de la Nappa Valley aux Etats-Unis ainsi peut-être que de l’Alsace, en France. A la Maison de la France, la structure nationale chargée de promouvoir le tourisme français à l’étranger, parmi les très nombreux clubs et groupes de travail – club des grandes villes, groupe « tourisme et pèlerinage », golf, remise en forme, seniors, montagne… – existe un groupe de travail dit « tourisme viti-vinicole ». L’office de tourisme de Cognac en fut l’un des premiers membres. Ce groupe conduit entre autres des actions promotionnelles sur les marchés européens, actions qu’un seul acteur aurait du mal à relayer seul. Après validation d’un projet, le budget est divisé entre le « bouquet de partenaires ». Ainsi pouvons-nous nous retrouver au coude à coude avec l’Aquitaine ou la vallée du Rhône chez un grand caviste allemand pour la distribution de brochures ou dans un salon spécialisé en Angleterre. Par ailleurs, tous les deux ans, le groupe de travail organise un « work shop », un salon professionnel intitulé « Destination vignobles ». Y participent 150 à 200 tours operators de tous les pays. La première édition s ‘est déroulée à Mâcon, la deuxième à Bordeaux et la dernière à Avignon. Au niveau régional, adhèrent au groupe viti-vinicole de la Maison de la France les deux CDT 16 et 17, l’OT de Cognac ainsi que la maison Rémy Martin.

« L.P.V. » – A quoi ressemble cette clientèle étrangère intéressée par l’œnotourisme ?

M.G. – Il s’agit généralement d’une clientèle fortunée, adepte d’une hôtellerie dite « de charme » et des visites qui vont de pair. Voilà ce qui les intéresse. Le terme hôtellerie « de charme » recouvre très précisément un quatre étoiles ou son équivalent, en ville ou à la campagne. Si c’est à la campagne, ce sera un hébergement luxueux en chambre d’hôte. Quant aux visites, l’idée est de proposer quelque chose de « packagé » où le visiteur est pris en main de A à Z (visite de tel viticulteur, telle maison de négoce, rencontre avec tel maître de chai…). Pour cette clientèle, le prix de vente ne constitue pas vraiment l’aspect le plus important. Typiquement, des visiteurs de la sorte passent trois jours à Bordeaux (la ville, Saint-Emilion, le Médoc) – à l’office de tourisme de Bordeaux, ils maîtrisent ! – puis ils descendent une journée à Cognac. Les Scandinaves tout spécialement – Norvégiens, Suédois – raffolent de telles offres, tout au long de l’année. Ils arrivent le jeudi à Mérignac avec une compagnie aérienne scandinave, low cost ou pas – SAS, Norwegian, Fly Nordic – et repartent le dimanche soir ou le lundi matin. Pour ces Scandinaves, le must du must à Cognac consiste à partir à la rencontre des maisons dont ils apprécient le Cognac chez eux, les Larsen, Bache-Gabrielsen, Braastad. Un repas à la propriété de Triac-Lautrait, appartenant aux établissements Tiffon (quai Madame à Jarnac) représente pour beaucoup la « cerise sur le gâteau ». Ce tourisme « haut de gamme » représente certes une niche mais très dynamique.

« L.P.V. » – Cette niche est-elle appelée à se développer ?

M.G. – A n’en pas douter, à condition « d’aller chercher la clientèle ». Elle ne viendra pas toute seule. A ce titre, un grand partenariat vient d’être lancé entre les CDT 33, 16 et 17, la chambre de commerce de Bordeaux et l’office du tourisme de Cognac pour « vendre » de manière groupée la destination touristique Bordeaux-Cognac. Un site internet a été créé sous cette bannière : www.bordeaux-cognac.com. Ce site en trois langues, anglais, français, chinois, s’adresse aussi bien aux particuliers qu’aux professionnels avec cependant une orientation plus professionnelle. L’objectif est d’offrir une « boîte à outils » aux agences de voyage pour confectionner un déplacement sur Bordeaux et Cognac. A l’international, voilà les axes de travail actuels.

« L.P.V. » – Et pour une clientèle plus franco-française ?

M.G. – Depuis 1999, j’ai fait en sorte que les cinq offices de tourisme de l’ouest Charente se réunissent sous une ombrelle, le « Pôle touristique du Pays de Cognac ». Puisque nous étions convaincus que notre secteur allait devenir une destination touristique forte dans les années futures, il fallait se mettre en ordre de marche. Comment ? En proposant une offre non plus atomisée mais regroupée, pertinente d’un point de vue marketing. Ainsi, par exemple, un guide en plusieurs langues recense toutes les formes d’hébergement touristiques sur la zone. Un autre s’intéresse au patrimoine roman ou propose un circuit des pigeonniers en Pays du Cognac. Au début, cette démarche mutualisée a pu hérisser certains Cognaçais mais il faut bien voir qu’un touriste passant une semaine en meublé à Rouillac ou Segonzac ne fera pas l’économie d’une visite dans une maison de négoce et d’un repas au restaurant à Cognac. Nous avons tout à gagner de cette approche collective. Avec nos différents documents, je pense que nous sommes armés pour la bagarre, même si rien n’est gagné. Le marché est très concurrentiel. Nous ne sommes pas les seuls à faire des propositions sérieuses et alléchantes. Il faut être très professionnel dans l’accueil. Nous n’avons pas le droit de nous tromper.

« L.P.V. » – Le Cognac reste-t-il un produit d’appel ?

M.G. – Bien sûr. Il y a deux ans, j’ai fait une tournée en Chine avec le CDT 17. Le Chinois ne connaît pas La Rochelle mais le Cognac, oui. Le monde du Cognac représente un formidable porte-drapeau.

« L.P.V. » – Dans cette capacité à attirer les touristes, quel rôle peut jouer la viticulture, à travers notamment les vendeurs directs ?

M.G. – Son rôle est tout à fait fondamental. C’est la façon la plus naturelle qui soit de relier le produit au terroir. Une maison de Cognac vend une marque, un produit mais ne vend pas un terroir. Le vigneron, lui, est sur sa terre, dans son chai, parle de son produit à sa façon.

« L.P.V. » – Et les maisons de négoce ?

M.G. – C’est l’autre bout de la chaîne, l’autre face d’une même pièce. A sa manière, la maison de négoce rattache elle aussi le produit à son environnement. Ce qui change, c’est le niveau de notoriété. Et puis, ne nous le cachons pas, la visite des grandes maisons de Cognac reste tout de même la raison principale du déplacement des touristes à Cognac ou à Jarnac.

« L.P.V. » – Comment cette fréquentation évolue-t-elle ?

M.G. – Il y a quinze ans, tous les circuits de visite des maisons de négoce étaient gratuits et ouverts 365 jours par an. En 2009, ils sont tous payants, de plus en plus chers et fonctionnent six mois de l’année. De 300 000 visiteurs dans les années 90 nous devons être redescendus aujourd’hui à 130 000. Je comprends les maisons de négoce. Elles raisonnent en industriels. Si les visiteurs sont moins nombreux, ils ont tendance à acheter des Cognacs de qualités supérieures. L’un dans l’autre, les sociétés s’y retrouvent. Elles réalisent le même chiffre d’affaires, avec moins de contraintes. Mais bien sûr le flux touristique y perd.

« L.P.V. » – Régions de vin et région d’alcool partagent-elles la même problématique touristique ?

M.G. – Pas tout à fait. D’ailleurs, c’est ce qui crée parfois des incompréhensions au sein du groupe « Viti-vinicole » de la Maison de la France. Quand vous faites la route des vins d’Alsace, vous pouvez vous arrêter chez quatre propriétaires différents et goûter quatre vins. En Charentes, visiter deux sites, déguster deux Cognacs représente un grand maximum. Même chose pour l’achat. Autant il est facile d’acheter une bouteille de vin à chaque visite voire une caisse, l’acquisition d’une bouteille de Cognac reste un acte rare, vu son prix. Cette approche alcool change tout. La nature même du produit fait qu’on ne promotionne pas une région productrice d’alcool comme une région productrice de vin.

Les offres commerciales de l’OT de Cognac

Qu’un office de tourisme ait une activité commerciale en proposant, comme une agence de voyage, des séjours « clé en main », c’est possible, sous certaines conditions et à condition qu’il ne fasse pas concurrence à un prestataire privé. L’OT de Cognac exerce ce genre de démarche.

Michel Goubard est un directeur heureux. Le taux de réponse à ses offres commerciales atteint 100 %. Normal ! Il n’attend pas le client mais répond à une demande. Car l’office de tourisme ne vend pas des formules toutes « prêtes », genre week-end de distillation où Cognac et cuisine de canard gras. Non. Sa spécialité à lui c’est de proposer des « produits un peu pointus à des professionnels », en clair, des séjours sur mesure à des clients genre associations, autocaristes, tour operators…Une personne à l’office de tourisme est même dédiée à plein-temps à cette activité commerciale. Un groupe d’une cinquantaine de personnes veut-il venir passer quatre jours à Cognac du 16 au 19 mars. Pas de problème. L’OT va lui concocter un programme totalement ficelé. La loi l’autorise à commercialiser des séjours, à condition de ne pas sortir de son périmètre géographique et tant que cette activité ne rentre pas en concurrence avec celle de prestataires privés installés sur son territoire. A cet égard, M. Goubard ne se fait pas trop de soucis. « En tant qu’institutionnel – une quasi-administration – nous avons du mal à traiter les tout petits groupes de 4 ou 6 personnes. Il convient d’être très impliqués dans l’accompagnement. Des prestataires privés sont mieux placés que nous pour le faire. Par contre, sur des groupes plus importants, nous avons un rôle à jouer. D’ailleurs, si nous n’étions pas là, il n’est pas sûr que la demande serait satisfaite. En plus, les possibilités sont infinies. Il reste encore des tas de choses à réaliser. »

 

A lire aussi

Campagne PAC 2024 : Tout ce qu’il faut savoir 

Campagne PAC 2024 : Tout ce qu’il faut savoir 

Depuis le 1er avril et jusqu’au 15 mai 2024, les télédéclarations de demande d’aides au titre de la campagne 2024 sont ouvertes.Voici tout ce qu’il faut savoir pour préparer au mieux sa déclaration.

La Chine et le cognac : un amour inséparable

La Chine et le cognac : un amour inséparable

Avec plus de 30 millions de bouteilles officiellement expédiées en Chine en 2022, la Chine est le deuxième plus important marché du Cognac. De Guangzhou à Changchun, ce précieux breuvage ambré fait fureur. Plutôt que se focaliser sur les tensions actuelles, Le Paysan...

error: Ce contenu est protégé