Négoce – Valorisation des stocks de cognac

23 décembre 2011

Quand le prix d’achat des eaux-de-vie augmente, des sociétés de négoce peuvent vouloir passer des « PHP » ou Provisions pour hausse de prix. Mais ces provisions sont soumises à l’appréciation des contrôleurs de l’administration fiscale. Avec, parfois, des redressements à la clé. Pour aller dans le sens d’une plus grande sécurisation juridique, l’interprofession de Cognac va rencontrer prochainement les fonctionnaires de Bercy. Directeur général de la maison Camus, Jean-Marc Girardeau préside la commission juridique du BNIC. Il évoque la PHP et, plus globalement, la situation du Cognac et la – bonne – marche de son entreprise.

p38.jpgQu’est-ce qu’une PHP ou Provision pour hausse de prix ?

C’est une disposition fiscale que toutes les sociétés soumises à l’IS (Impôt sur les sociétés) peuvent théoriquement utiliser. Comme son nom l’indique, dans une période où les prix d’achat augmentent, elle permet de constituer des provisions afin d’obtenir un différé fiscal. Je sais qu’une région comme Bordeaux y recourt souvent. A Cognac, quelques sociétés pratiquent cette optimisation fiscale, quand elles constatent dans leurs comptes une forte évolution au niveau des crus et des comptes d’âge. Sauf que l’administration fiscale ne retient pas toujours les mêmes bases et procède parfois à des redressements. Depuis l’arrêt Cabanne, au début des années 90, nous assistons à des allers-retours de l’Administration sur le sujet. C’est un peu pénible. C’est pourquoi le BNIC a demandé à rencontrer les fonctionnaires de Bercy, pour obtenir d’eux une position claire et définitive, une position sur laquelle experts-comptables et commissaires aux comptes puissent s’appuyer, sans crainte de remise en cause. L’idée des Charentais n’est pas de frauder mais, bien au contraire, de rester dans la ligne, dans la logique du système. C’est déjà assez compliqué de gérer une entreprise sans y ajouter une dose d’incertitude fiscale.

Vous présidez la commission des affaires juridiques du BNIC.

Oui et je fais tout à fait confiance à Catherine Le Page (directeur du BNIC – ndlr), à sa compétence et surtout à sa volonté pour défendre le dossier des Provisions pour hausses de prix. Je ne suis pas inquiet. Le sujet sera bien exposé et bien défendu.

Les variations de prix font parties des incunables du Cognac. Quelle traduction cela revêt-il en terme d’approvisionnement ?

C’est toujours pareil. Dès lors que les ventes de Cognac connaissent une croissance forte sur les marchés, il devient primordial de préserver l’approvisionnement. Globalement, le marché du Cognac « n’aime pas » les hausses trop fortes. Dans sa logique, le Cognac est un produit profondément agricole. Il dépend totalement de la nature, qui le lui rappelle bien. Le Cognac est l’expression même d’une AOC, avec ses limites volumiques, ses contraintes. En cela, il est aux antipodes d’un Scotch-Whisky qui peut produire autant qu’il veut. Le Cognac, lui, est rare. Sa rareté, gage de valeur, peut s’avérer un piège, quand elle confine au manque. A Cognac, tout le travail du négociant va consister à travailler ses stocks, pour assurer la pérennité de son entreprise et de sa marque. Il s’agit d’un enjeu permanent. Ceci dit, les opérateurs sont rodés à l’exercice et font face aux difficultés. Ils les appréhendent sereinement. Si le produit se fait plus rare, on travaillera mieux sa valeur. C’est ce qui fait du Cognac un produit extraordinaire. Par son potentiel de vieillissement, par son inscription dans le domaine du luxe, il est capable de jouer sur tous les registres. Les hausses de prix sont plus faciles à passer.

N’y a-t-il pourtant pas un risque à devenir trop cher ?

Bien évidemment. On oublie trop souvent qu’un pourcentage significatif du Cognac rejoint des circuits de distribution qui n’offrent pas les mêmes marges que les grands marchés export. Si les prix de base sont trop importants, le risque, tout simplement, est de se fermer ces marchés. Le produit devient inaccessible à une franche de consommateurs. Comme vous le savez, une caisse de Cognac vendue en Russie et une caisse vendue en grande distribution ne laisseront pas les mêmes marges. En temps normal, les négociants pratiquent une pondération, afin de conserver tous leurs marchés. Mais, à partir d’un certain seuil, des entreprises peuvent renoncer à alimenter certains circuits. Je ne suis pas le mieux placé pour en parler dans la mesure où Camus est surtout positionné sur le grand export, le haut de gamme. Mais j’échange beaucoup avec mes collègues des PME. Et l’inquiétude est grande de voir une hausse de prix déboucher sur le tarissement de certains marchés. La crainte, toujours la même, c’est que le Cognac soit remplacé par d’autres produits et ne puisse pas, à terme, retrouver sa place.

A quels pays pensez-vous ?

Je pense à l’Allemagne, la Grande-Bretagne, un peu sans doute l’Europe du nord et, plus globalement, à tous les marchés d’entrée de gamme. Si un grand marché comme l’Asie connaissait un coup de froid, nous serions bien contents d’avoir su garder ces créneaux.

Pour l’instant l’Asie continue de « tirer » le Cognac n’est-ce pas ?

La demande du marché asiatique est en effet très forte, à tel point que le Cognac peut paraître à contre-courant du reste de l’économie. D’aucuns ont pu parler de la « bulle Cognac ». Il faut bien le dire ! Le marché chinois est littéralement explosif. Il révèle l’engouement de consommateurs pour un produit Cognac, à la fois valorisant en terme d’image et de plus en plus apprécié pour ses qualités intrinsèques. Si l’on y ajoute la montée de la classe moyenne chinoise et la taille du pays, on a quelques-uns des ingrédients qui expliquent le boom de marché. Dans ce contexte, il faut bien avouer que le négoce cognaçais est plutôt en train, au niveau global, de tenter de réguler la demande que de suivre l’intégralité des commandes. C’est tout à son honneur que de vouloir gérer cette croissance. Si l’on ne maintient pas l’expansion à un niveau raisonnable, on aura tôt fait d’exploser le stock. Et ça, c’est exclu. Comme déjà dit, c’est tout l’art du métier de négociant de Cognac que d’essayer de gérer ce genre de paradoxes.

Comment se passent les relations de Camus avec les viticulteurs ?

Mon président comme moi-même attachons une très grande importance à ces relations. Depuis quelques années, Camus cultive un vrai partenariat avec les viticulteurs. Comme les grandes maisons de Cognac, nous cherchons à fidéliser notre approvisionnement en nouant des contrats avec les vignerons, les bouilleurs de cru. Ensemble nous échangeons, de chefs d’entreprise à chefs d’entreprise. Nous avons à faire à des personnes qui savent ce qu’est un bilan, un compte de gestion. Les contrats que nous proposons sont des contrats équilibrés. Pour moi, le contrat se compose d’un prix garanti, d’une date d’enlèvement garantie et de volumes qui le sont aussi. A partir de là, le viticulteur a une vraie sécurité et nous de même. C’est tout le sens d’un contrat.

Et les prix ?

Nos prix, déjà relevés l’an dernier, l’ont été très fortement cette année. Aujourd’hui, nous sommes un tout petit peu en dessous des prix des grandes maisons. Ce niveau de prix n’avait jamais été atteint chez nous. La volonté de notre président Cyril Camus est de soutenir les viticulteurs autant que l’entreprise peut le faire. Le vignoble a besoin de beaucoup de soins. Nous savons que les viticulteurs sont confrontés à des gestions de trésorerie difficile. Etre acteur du développement du vignoble, aux côtés des viticulteurs, c’est protéger les futurs marchés du Cognac. Nous parions aussi sur les jeunes. Il faut que la reprise des exploitations redevienne naturelle. Après avoir vu fondre le nombre de viticulteurs, j’espère que le mouvement va se stabiliser. Je sens une prise de conscience se dessiner, au niveau de toute la filière. En 32 ans de travail au sein du Cognac, je n’est jamais vu un dialogue aussi aisé entre les familles. C’est le bon moment pour construire. Cette fenêtre de tir, nous devons l’utiliser à tout prix, notamment pour renforcer notre décret de contrôle Cognac, afin d’en faire non seulement un outil de gestion mais aussi un outil de protection à l’exportation.

Vous pensez à quoi ? Le cahier des charges Cognac  n’est-il pas « gravé dans le marbre », ad vitam aeternam ?

Croyez moi – et j’ai un peu l’expérience de la chose – la protection du Cognac est un travail constant, jamais terminé. On l’oublie souvent, mais l’AOC est une « pâte juridique » vivante, qui tire justement sa valeur de pouvoir évoluer en permanence. Cognac est certainement l’un des produits les mieux protégés au monde mais cela ne veut pas dire que le combat soit terminé. Il est permanent.

Avez-vous un dossier à l’esprit ?

Nous travaillons en ce moment sur un dossier qui permettra de contrôler le flux de vrac. Il s’agit d’un outil très important, qui aura sa place dans le décret de contrôle. L’objectif consiste à limiter les re-remplissages de bouteilles à l’étranger, notamment en Asie, où c’est un peu le sport national. Ce genre de dispositif n’existe pas encore. Nous travaillons dessus. L’idée est de protéger le produit tout en faisant en sorte que la ligne juridique soit compatible avec les règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). L’opérateur étranger ne doit pas être soumis à plus de contraintes que l’opérateur charentais.

Pourquoi ne pas adopter le principe de la mise en bouteille dans la région délimitée ?

C’est un vieux serpent de mer. Sur le papier, ce serait parfait. Sauf qu’aujourd’hui personne n’est capable d’imposer ce genre de mesure à Cognac. Par ailleurs, des marchés peuvent s’ouvrir demain avec le vrac. Qui plus est, il n’est pas question de se doter de contraintes que d’autres n’auraient pas. En matière de réglementation, il convient d’être extrêmement prudents. Nous n’avons pas le droit « d’injurier l’avenir ». Il faut toujours se projeter bien au-delà du moment présent.

A titre personnel, comment vivez-vous votre fonction chez Camus ?

On peut difficilement espérer mieux. Au poste qui est le mien, je concilie ma passion pour une région, un produit et celle de la vie de l’entreprise. Pour mon président, les deux valeurs essentielles de la maison sont la marque et les hommes et les femmes qui travaillent au sein de l’entreprise. Il est très attaché au partage culturel. Il irrigue toute notre démarche. Que tout le monde, à travers le groupe, travaille sur des bases communes de valeurs représente un challenge passionnant à relever. Je suis extrêmement content que la période actuelle nous offre les moyens de recruter de nouvelles personnes et notamment de jeunes cadres. Alors que le renouvellement des générations est à l’œuvre et les départs à la retraite nombreux, le passage de mémoire va pouvoir se faire. C’est très important dans une entreprise comme la nôtre.

PHP, Provision pour hausse de prix : une réponse à la volatilité des cours
à pratiquer des PHP ou Provisions pour hausse de prix. Avec le décalage d’impôt, ils économisent de la trésorerie, qui les aidera à reconstituer leurs stocks. Le problème, c’est que ce dispositif tout ce qu’il y a de plus légal répond à une méthodologie aussi fluctuante que les cours. Au fil du temps, les interprétations se sont multipliées, avec de possibles redressements à la clé. Aujourd’hui, les opérateurs et leurs conseils souhaitent plus de sécurité juridique.
La PHP ou Provision pour hausse de prix* s’adresse à ceux qui achètent pour revendre. En clair, aux négociants. Dans l’immense majorité des cas, les viticulteurs et plus généralement les agriculteurs en sont exclus. Faut-il le préciser ! Le dispositif des PHP joue pour les sociétés soumises à l’IS. Il fait partie de la « boîte à outils » de l’impôt sur les sociétés. Ces préalables étant dit, le mécanisme est ouvert à tous. Une région comme Bordeaux y a souvent recours, de même que le domaine automobile… ou le secteur betteravier. En fait, sont concernées toutes les activités soumises à fluctuations de prix et/ou ayant un caractère spéculatif. En cela Cognac se classe parmi les « bons clients ».
La PHP ne peut jouer que lorsque le prix d’achat, sur une même marchandise, connaît une hausse de prix de + 10 % sur deux exercices. Le principe de la PHP est le suivant : la provision constituée vient en déduction du revenu. On ne la réintroduira qu’au terme de cinq années, en une seule fois. La trésorerie née de ce décalage d’impôt va aider la société à reconstituer ses stocks. L’intérêt est évident lorsqu’il y a inflation sur les prix de renouvellement. Et à Cognac, cela peut aller très vite.
Le problème qui se pose dans la région délimitée, c’est qu’un doute existe sur les références à prendre en compte. Pour estimer la provision, doit-on individualiser les comptes d’âge et les crus ou faut-il raisonner en valeurs moyennées « tous crus et comptes d’âge confondus » ? Au départ, la doctrine administrative parlait « d’unicité de produit » (arrêt Sempé relatif à l’Armagnac du même nom). Et puis l’arrêt Cabanne, de 1991, a plutôt pris le contre-pied, en admettant que chaque cru et compte d’âge d’eaux-de-vie de Cognac constituaient autant de catégorie unique. Au gré des contrôles de l’administration fiscale, l’interprétation a pu varier. Avec, à chaque fois, le risque de voir l’administration fiscale procéder à des redressements : paiement de l’impôt par anticipation, application de pénalités. Des pénalités qui peuvent vite atteindre des sommes importantes. Car la pénalité, égale à 10 %, se double d’intérêts de retards pouvant aller jusqu’à 15 % soit, au final, une pénalisation financière de 25 %. D’où le souhait des opérateurs, à une époque où la hausse des cours est d’actualité, de mieux baliser le terrain, en demandant au ministère des Finances de préciser la doctrine applicable à Cognac. « L’insécurité fiscale devient compliquée. Entre la réponse Sempé (unicité de produit), une jurisprudence fluctuante et des redressements fiscaux contradictoires, il est urgent que notre région, via le BNIC, s’organise pour apporter une réponse claire sur les modalités d’application de cette provision » commente Vincent Nobileau, associé du cabinet PWC Cognac. Son cabinet a fortement contribué à mobiliser la commission juridique du BNIC sur la question.
* C’est la loi du 28 décembre 1959 (article 32) qui a instauré la PHP.

 

 

 

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