Cognac rattrapé par l’Œnotourisme

28 juin 2009

L’œnotourisme ou l’art d’invoquer toutes les – bonnes – raisons, viticoles ou autres, pour que les touristes viennent chez vous et, de préférence, achètent vos produits. Au produit lui-même vient s’adjoindre une vision plus large, patrimoine de production, dimension culturelle. Le concept fait florès dans de nombreuses régions viticoles, en France et à l’étranger. Crise aidant, le mouvement n’est pas prêt de se tarir. A Cognac, un tissu « œnotouristique » existe déjà, des initiatives originales se manifestent régulièrement. Cependant, manquent peut-être une coordination d’ensemble et un volontarisme global. Sans parler des budgets nécessaires pour faire davantage rayonner l’offre. Le chantier intéresse les professionnels du Cognac, qui se revendiquent d’un emblème fort, le Cognac.

 

maison_v3_opt.jpegEn 2000, il y a neuf ans maintenant, la viticulture française et la Maison de la France – l’organe de promotion du tourisme français à l’international – demandent à l’AFIT (l’Agence française de l’ingénierie touristique, devenue ODIT-France aujourd’hui) de réaliser une étude sur le tourisme viti-vinicole. Objectif : mieux connaître l’offre et tenter de percer les mystères de la demande. Pour beaucoup de régions viticoles, la publication de ce rapport signera une sorte d’acte de naissance de l’œnotourisme. En tout cas, elle déclenchera une prise de conscience collective sur les différentes « accroches » susceptibles de renforcer le tourisme viticole. A son sujet, que disent les personnes interrogées ? Elles parlent « d’art de vivre, de satisfaction, de plaisir », « de beaux paysages », « de la découverte d’un métier et d’un habitat traditionnel », « de bien manger autour d’un verre », « d’approche de savoir-faire ancestraux ». Ceci dit, l’enquête ne le cache pas. Pour le choix d’une destination, le tourisme viticole ne fait pas partie des motivations premières. Parmi les centres d’intérêts, l’œnotourisme arrive même en 9e position derrière les vieilles pierres, les paysages, la famille, les amis… Par contre, tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit, dans tous les cas, d’un « plus », d’un atout essentiel pour une région. En mai 2006, La Journée Vinicole, journal de référence de la viticulture méridionale, consacrait une édition spéciale à l’œnotourisme. Voilà ce qu’elle écrivait en préambule : « L’œnotourisme est bien plus qu’un moyen de vendre son vin. C’est une occasion exceptionnelle pour le vigneron de défendre et d’expliquer ses vins, de rencontrer ses clients et de mieux comprendre ainsi leurs attentes. C’est aussi un moyen de fidéliser ces mêmes clients, de créer un souvenir qui marque durablement l’esprit, voire même d’inscrire le vin dans un univers culturel, gastronomique et historique fort. Un univers qui, certes, est tout naturellement le sien mais qu’il doit sans cesse se réapproprier au regard du visiteur de plus en plus volage car confronté à des choix plus vastes. »

Quels échos ses propos rencontrent-ils à Cognac ? Hormis la question des puristes qui se demandent si, oui ou non, on peut parler d’œnotourisme à propos d’une eau-de-vie, il semble bien que la dimension patrimoniale fasse sens dans la région délimitée. Il y a dix ans, c’est déjà ce que recherchait le groupe de personnes à l’initiative de la « Route du Cognac » (devenue depuis les Etapes du Cognac) : se réapproprier patrimoine, terroir et traditions. Depuis, la région de Cognac a connu la prospérité – qui n’encourage pas franchement à l’inventivité – mais les vents pourraient tourner. Et puis, de toute évidence, la région n’en a pas fini de sa quête patrimoniale, identitaire, voire mémorielle.

Un axe prioritaire

coste_anges_opt.jpegPhilippe Coste, P-DG de la Compagnie de Guyenne (Cognac Meukow), préside la commission « Promotion de l’appellation » au sein du BNIC. Il explique pourquoi l’interprofession cognaçaise a décidé de retenir l’œnotourisme comme un axe prioritaire. « Cette action nous intéresse beaucoup dans la mesure où elle s’adresse, via la vente directe, principalement à la viticulture et à sa capacité de développer des histoires autour du Cognac. Il est tout de même paradoxal de s’apercevoir que beaucoup de nos compatriotes sont capables de tenir de longs discours très documentés sur les distilleries des Highlands et de Campbeltown et qu’ils n’ont rien à raconter sur le Cognac. Ils en connaissent à peine les crus. Nous nous privons ainsi de tout un côté « romantique », très bénéfique à la consommation. Par expérience, nous savons tous comment fonctionne une communication réussie. C’est quand les yeux de notre interlocuteur commencent à briller à l’évocation d’une histoire simple, marquante, qui vient du cœur, que l’échange se crée. C’est pour cela qu’il est tellement important d’offrir à nos clients français et étrangers la richesse de l’appellation, dans sa diversité. » « Les ventes à la propriété nous intéressent, poursuit Ph. Coste, d’abord parce qu’elles ne sont pas concurrentes des autres. Quand quelqu’un décide d’acheter son Cognac à la propriété, il ne l’achètera pas ailleurs. Ensuite, s’il est bien reçu, conquis, charmé, il deviendra un vecteur de communication fidèle. Les modes se défont très facilement. Elles sont beaucoup plus difficiles à reconstruire. Dans l’objectif de vendre davantage en France, capitaliser sur ce socle d’expériences paraît incontournable. Qui plus est, l’exemple des autres régions viticoles nous prouve que ça marche. »

Directeur du département Marketing et Communication de l’interprofession cognaçaise, Jérôme Durand ne dit pas autre chose, lui dont la précédente activité professionnelle avait pour cadre la Champagne de Reims. « Partir à la reconquête du marché français, c’est conforter la région comme fer de lance national, faire de notre ancrage régional une force. » Entre le produit Cognac, les paysages, l’art roman saintongeais, il ne nourrit aucun doute sur le fait que le Cognac puisse drainer un imaginaire fort, à l’égal de l’Ecosse pour le Whisky ou de la Toscane pour le Chianti. Ne parle-t-on pas déjà de la Grande Champagne comme de la Toscane à la française. Le tout est de trouver les bons leviers œnotouristiques. Existent déjà des réalisations sur lesquelles s’appuyer, comme les Etapes du Cognac ou encore le site internet « Expérience Cognac, arômes de grands week-ends », œuvre collective des CDT 16 et 17, en collaboration avec l’interprofession du Cognac. Ce site met en avant des propositions œnotouristiques tournées vers le Cognac. L’idée de l’interprofession ! D’une part décrocher des moyens financiers supplémentaires pour donner plus de visibilité à l’offre terrain ; d’autre part, « mettre les personnes en ordre de bataille » en créant une triangulaire forte et « proactive » entre les deux CDT 16, 17 et l’interprofession. C’est ainsi qu’à l’automne 2008, l’émissaire du BNIC prend son bâton de pèlerin pour rencontrer les présidents des Conseils généraux 16 et 17, structures qui chapeautent les comités départementaux de tourisme. A eux deux, les Conseils généraux 16 et 17 ont alloué en 2008, 80 000 € à « Expérience Cognac ». Concrètement, J. Durand aimerait bien voir évoluer cette somme en 2009, pour conférer plus de rayonnement à l’offre. Las, il verra sa demande éconduite. Carole Grossman, directrice du CDT 16, minimise cependant la déconvenue. « Sur le fond, Jérome Durand a convaincu. Malheureusement, il est arrivé un peu tard et la conjoncture n’est pas idéale pour augmenter les dépenses. Ceci dit, le président Boutant est convaincu de l’image phare occupée par le Cognac dans le département. Pendant des années, les collectivités territoriales ont donné beaucoup d’argent à l’interprofession du Cognac, sans contrepartie aucune alors que nous, professionnels du tourisme, tentions d’expliquer qu’il serait bien de parler un peu du terroir. Jérôme Durand, qui vient du Champagne, a une vue assez claire des enjeux. Les jalons qu’il a plantés vaudront pour le futur. »

Porte-étendards

j_durand_1_opt.jpegMieux, Carole Grossman confirme complètement le rôle de porte-étendards que peut jouer le Cognac dans l’attractivité régionale. « L’enjeu du tourisme aujourd’hui consiste à mettre en avant des destinations capables de faire rêver les gens plutôt que de se perdre dans la logique organisationnelle de nos structures, OT, CDT, CRDT. A ce titre, le Cognac apparaît un peu comme une « tête de gondole » derrière laquelle se cachent plein d’autres propositions. C’est un peu à l’image du jeune couple qui illustre « Expérience Cognac ». On sent qu’il apprécie l’environnement viticole mais qu’il n’aime pas que ça. On peut être amoureux du vin et des vignes et développer une approche culturelle du territoire. C’est ce que j’ai toujours tenté d’expliquer au monde du Cognac. Quand on a visité une exploitation, une distillerie, on ne peut pas y revenir indéfiniment. Il faut élargir l’offre, la diversifier. Qu’est-ce qu’un touriste sinon un consommateur en déplacement. En fait il s’agit d’un consommateur comme un autre et bien plus évolué qu’il y a dix ou quinze ans. » C. Grossman évoque une initiative qui lui tient à cœur, la création du site internet www.Bordeaux-Cognac, un site censé créer de la circulation entre les deux vignobles, fruit du partenariat entre le CDT 16, l’Office de tourisme de Cognac, la Chambre de Commerce de Bordeaux et l’Office de tourisme de Bordeaux. Destiné plus particulièrement aux tour operators, ce site figure en anglais, français et chinois. Sa finalité ? Attirer une clientèle haut de gamme, habituée aux prestations soignées. A ce titre, il faut écouter le lamento charentais qui déplore le manque d’hôtels de standing sur la place et même très directement sur la place François-1er. Pour le monde de Cognac, la déshérence de l’ancien hôtel François-1er est ressentie comme une plaie béante, un lupus purulent. A quand un repreneur digne de ce nom qui va enfin lancer les grands travaux dont la ville a besoin. L’équipement hôtelier est clairement ressenti par la profession comme un frein à une certaine forme d’œnotourisme. Mêmes commentaires au sujet de la desserte de la ville. Dans une envolée mi-rageuse mi-désopilante, Philippe Coste traque les 12 heures d’avion Los Angeles-Paris, les 2 h 25 de TGV et les 58 mn de Micheline. « Je n’ai rien contre Micheline mais c’est revenir au char à bœuf. C’est « retour vers le futur » ! L’ambition d’accueillir des hôtes dans notre région existe mais il faut savoir l’exploiter. Quand quelqu’un décide de venir à Cognac, c’est un honneur qu’il nous fait, qui mérite que nous hissions le drapeau. Hélas, entre le TGV, les autoroutes, nous avons 300 ans de retard. Il s’agit d’un obstacle énorme au tourisme quand on connaît le monde actuel, où les personnes ont l’habitude d’avoir tout à portée de main. Pourquoi pensez-vous que les centres-villes cèdent le pas aux grandes surfaces. Parce que dans un cas, il faut marcher 10 mn et dans l’autre 2. » Le négociant cognaçais s’insurge contre cette « fausse bonne idée » qui consiste à accoler le nom de Cognac à l’aéroport d’Angoulême. « C’est aberrant de devoir payer pour cela ! Il serait bien plus intéressant d’investir sur le terrain d’aviation de Cognac, qui existe. »

Cette réflexion, qui peut paraître partisane, renvoie malgré tout à l’essence même de l’œnotourisme qui, avant d’être « œno », est tourisme et concept « moderne » de tourisme. Aujourd’hui, ce n’est plus le produit que l’on achète, c’est son usage. On n’achète plus une voiture, on achète de la mobilité. Le frigidaire devient intelligent, l’information se fait diffuse et surtout rapide. A l’ère de « l’anywhere, anytime » – disponible où que vous soyez, quand vous voulez – l’œnotourisme est modelé, conditionné, par la dimension temps. S’il fallait une preuve, en témoigne l’omniprésence d’internet dans son déploiement. Intelligence et rapidité, les deux faces d’une même pièce. L’œnotourisme réussi revient peut-être à trouver la bonne combinatoire entre deux temps apparemment contradictoires, le temps long d’un cycle de maturation des produits et le temps court de la vie actuelle. D’un clic, faire défiler les siècles… et prélever sa dîme.

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