M. Joël Micheaud a en charge le suivi d’un nombre de producteurs de Pineaux important et depuis 20 ans, les accidents de conservation sont devenus plus fréquents. Ce produit, qui avait la réputation de posséder une certaine stabilité biologique naturelle, est devenu plus sensible aux altérations bactériennes et des chais semblaient véritablement présenter des niveaux de risque plus élevés que d’autres. Le témoignage de cet œnologue repose sur des observations concrètes et constructives qui nourrissent la réflexion technique plus fondamentale à partir d’observations concrètes et constructives, et sont aussi complètement en phase avec le développement de stratégies de traitements préventives.
Les altérations bactériennes sont devenues depuis une vingtaine d’années le problème majeur au niveau de la conservation des Pineaux rosés mais aussi des blancs. M. J. Micheaud a découvert les premiers cas en 1981 sur une diversité de productions de Pineaux blancs et rosés et au fil des années le phénomène est devenu plus fréquent mais avec aussi une grande diversité. Certaines exploitations semblaient beaucoup plus concernées que d’autres par ces problèmes alors que le niveau de technicité entre les producteurs n’était pas fondamentalement différent. A l’époque, les suivis analytiques traditionnels ne permettaient pas de détecter le démarrage des malo. et pourtant, à la faveur d’un réchauffement climatique au printemps ou en été, le processus s’enclenchait sur quelques lots. Au fil des années, la notion de chai à risque s’est en quelque sorte imposée mais sans pour autant que cela signifie que les compétences des viticulteurs soient mises en cause. Pourquoi deux lots de Pineau apparemment similaires et produits à quelques kilomètres d’intervalle réagissent très différemment à d’éventuelles altérations bactériennes ? Cette question, M. J. Micheaud se l’est souvent posée et progressivement son sens pratique l’a amené à corréler des facteurs de risque à certaines habitudes de production. Bizarrement, les viticulteurs qui poussaient la maturité et vendanger très tard et élaboraient des Pineaux avec des cépages précoces comme le Merlot, le Sémillon, rencontraient plus de problèmes. Par ailleurs dans un même chai, les fermentations malolactique s’enclenchaient souvent dans les mêmes tonneaux et les mêmes lots de fûts alors que leur entretien était réalisé de manière correcte. Les travaux de la Station viticole du BNIC ont depuis conforté les réflexions de cet œnologue.
Le rôle majeur de l’acidité totale et du ph des moûts
Aujourd’hui, M. Micheaud considère que le premier facteur de risque demeure le niveau d’acidité totale et de pH des moûts à la récolte. La valeur de pH de 3,5 est un seuil charnière en dessous duquel le produit devient moins sensible aux altérations bactériennes et au-dessus duquel sa sensibilité aux accidents de conservation s’accentue d’une manière proportionnelle à l’augmentation du pH. Cette notion de niveau d’acidité des moûts à la récolte est aussi à relier à la précocité des cépages et les Pineaux élaborés à partir de Sémillon, de Montils, de Merlot et même de Cabernet Franc sont naturellement plus propices à l’obtention de moûts moins acides et donc naturellement plus vulnérables. A l’inverse en blanc, les Pineaux élaborés à base d’Ugni blanc et surtout de Colombard sont généralement plus acides et plus résistants aux altérations microbiologiques. L’effet terroir amplifie aussi la précocité des cépages, ce qui est une bonne chose sur le plan des potentialités de production mais cet élément doit être intégré par les viticulteurs dans leurs approches de suivi de la maturation et de choix de la date de récolte. Il n’est pas nécessaire d’attendre le stade surmaturation pour vendanger les parcelles naturellement précoces. La recherche du bon équilibre sucres/acidité à la récolte n’est pas toujours facile à obtenir surtout sur les Pineaux rosés, car avec un cépage comme le Merlot les évolutions en fin de maturation sont parfois rapides et surprenantes.
L’incidence non négligeable du TAV et des homogénéisations
M. J. Micheaud a aussi observé que la fréquence des accidents de conservation était nettement plus importante dans des Pineaux dont le titre alcoométrique était faible. Ce constat se différencie un peu des résultats d’expérimentations de la Station viticole du BNIC qui ont tendance à considérer l’effet TAV comme secondaire. L’autre élément important semble être aussi la bonne homogénéisation des Pineaux dans les mois qui suivent le mutage, surtout s’ils sont conservés dans des contenants de grandes capacités. Des brassages doivent être réalisés régulièrement dans les semaines, les premiers mois, voire pendant l’année qui suivent le mutage car, contrairement à certaines idées reçues, le « mariage » des deux liquides (eaux-de-vie et jus de raisin) ne se réalise pas toujours de façon homogène.
Des sulfitages raisonnés et préventifs jouent un rôle stabilisant
L’utilisation ou pas du soufre dans la démarche d’élevage et de conservation des Pineaux est aussi un moyen de prévenir les altérations bactériennes et aussi de l’imiter les conséquences de l’enclenchement d’une fermentation malolactique si le sulfitage intervient au début du phénomène. M. J. Micheaud considère que pour les Pineaux rosés, l’utilisation du soufre dès le départ de la fabrication est un gage de sécurité pour la conservation ultérieure des productions sur le plan de la tenue de la couleur comme de la stabilité microbiologique. Néanmoins, dans des produits aussi riches en sucres que le Pineau, le soufre se combine rapidement et les sulfitages doivent être gérés avec efficacité et mesure. Avec le recul, il estime aujourd’hui que pour des Pineaux blancs ou rosés, des teneurs en soufre total de 25 à 35 mg/l jouent un rôle stabilisant durant la conservation sans pour autant interférer sur le déroulement du vieillissement et modifier les caractéristiques gustatives. En blancs, il serait intéressant de mettre en vieillissement des lots issus de cépages acides qui peuvent se passer de sulfitage.
Gérer la capacité de stockage pour minimiser « les vides »
La qualité du logement et surtout son entretien demeurent un problème majeur dans de nombreux chais. Le parc de fûts et de tonneaux est souvent ancien et pas toujours facile à entretenir selon l’agencement des chais. Pour les Pineaux rosés, M. J. Micheaud estime que l’idéal serait de réaliser les mutages en cuves inox et ensuite de les conserver dans ces mêmes contenants jusqu’au mois de mars qui suit leur fabrication. Cela présente l’avantage de faciliter les précipitations tartriques (à la faveur des périodes de froid dans l’hiver) dans des cuves faciles à détartrer alors que la réalisation d’un détartrage dans les contenants bois est toujours plus délicate. Le tartre est aussi un support privilégié pour les micro-organismes indésirables. L’élevage des Pineaux rosés à partir du mois de mars se poursuivra en tonneaux ou fûts jusqu’à l’agrément.
L’autre élément important au niveau de la capacité de stockage bois est de s’organiser pour maintenir des niveaux de liquide suffisants dans les fûts et les tonneaux. Un producteur de Pineau doit disposer d’une capacité de stockage à la fois suffisante sur le plan des volumes et diversifiée en nature de matériau (entre bois et inox) pour éviter de laisser vides pendant plusieurs mois les contenants bois, car même bien nettoyés ils représentent un milieu propice pour le développement des bactéries.
L’hygiène des logements bois doit être soignée et systématique
L’entretien des logements bois doit être réalisé de manière soignée et systématique. Un nettoyage et une désinfection s’imposent entre chaque manipulation de Pineau d’un contenant à un autre. L’utilisation de produits à base d’eau oxygénée et d’acide péracétique est conseillée de par leur niveau d’efficacité sur le bois et surtout leur facilité à être rincés. Le détartrage des tonneaux reste un problème entier car l’utilisation de solution à base de soudée même tamponnée a tendance à pénétrer dans le bois. Une démarche d’hygiène au niveau de la futaille doit toujours se terminer par un rinçage sérieux et éventuellement contrôlé. L’acquisition de futaille d’occasion autres que celles provenant du Cognac constitue toujours un facteur de risque en matière de contaminations bactériennes. Certains viticulteurs ayant acheté à petits prix des fûts de 3e ou 4e vins en ont fait la triste expérience. Le stockage dans les chais des lies et des produits de filtration représente aussi des supports de risque et les viticulteurs ont souvent du mal à gérer la conservation de ces sous-produits.
La maîtrise des altérations repose sur une gestion globale du problème
Le Pineau est un produit qui supporte mal les excès thermiques et durant les étés, les chais chauds, très aérés et souvent visités constituent des situations à risque. La bonne isolation des bâtiments de stockage et la maîtrise des ventilations sont des éléments dont beaucoup de viticulteurs n’ont pas toujours pris la juste mesure. Le climat des chais semble aussi avoir une incidence sur l’aptitude des Pineaux à se conserver.
D’une manière générale, M. J. Micheaud considère que la mise en œuvre d’une véritable stratégie de prévention vis-à-vis des altérations microbiologiques ne pourra être efficace que si une gestion globale est mise en œuvre : « Par exemple, ce n’est pas en portant uniquement une attention sur les aspects de maturité de la vendange que l’on pourra élaborer des Pineaux rosés résistants aux altérations bactériennes. Il faut intervenir à tous les niveaux de la chaîne d’élaboration pour créer des conditions favorables à l’évolution qualitative du produit. L’optimisation de la date de récolte, la réussite du mutage, la bonne homogénéisation, l’utilisation de logement sains, la surveillance analytique régulière, la gestion des sulfitages… constituent des éléments importants et quelque part indissociables. »
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