Prestations viniques : La profession viticole soutient ses distilleries

24 juillet 2014

Face au projet des pouvoirs public de promouvoir, à côté de la distillation des prestations viniques, d’autres formes de traitements des marcs et lies, la profession viticole resserre les rangs. Après une période de flottement, elle se prononce très majoritairement contre le projet d’arrêté précisant les mesures d’application des solutions alternatives à la distillation. Le dossier est aujourd’hui entre les mains du ministre de l’Agriculture.

 

 

Longtemps, les distilleries vinicoles ont cru que le danger viendrait de la réforme de l’OCM vin. En 2008, le principe de livraison obligatoire des marcs et lies aux distilleries vinicoles aurait pu passer à la trappe. Eh bien non. Il n’en fut rien. Certes, il y a bien eu changement du modèle économique de la filière. Exit le rachat par l’Union Européenne des alcools viniques, comme étant une incitation à produire des excédents. Désormais, ces alcools allaient être vendus sur le marché libre. En contrepartie, l’UE exonérait les distilleries de l’obligation de rémunérer les apports de marcs et lies et s’engageait à soutenir les entreprises, en leur versant des subventions de fonctionnement. Six ans plus tard, le nouveau dispositif ne s’est pas révélé la machine à broyer que d’aucuns redoutaient. Mieux ! Les opérateurs se sont adaptés (en tout cas la majeure partie d’entre eux) et la filière a su transformer le plomb en or, les contraintes en opportunités. Meilleure valorisation des co-produits, démarche groupée pour aborder à l’international le marché de la Bio carburation …

Coup de tonnerre

Pourtant, en fin d’année 2013, coup de tonnerre dans un ciel à priori dégagé ! Les distilleries apprennent à brûle-pourpoint que le ministre de l’Agriculture échafaude un projet de décret remettant en cause l’obligation de livraison des prestations viniques aux distilleries vinicoles. Attention ! Il ne s’agit pas de dire que l’obligation de livraison des prestations viniques va disparaître. Non ! le viticulteur devra toujours éliminer ses prestations viniques, au même taux. Mais, à côté de la voie de la distillation, le ministère de l’Agriculture souhaite promouvoir des formes alternatives d’élimination des marcs et lies, tels que l’épandage, le compostage ou la méthanisation. En clair, laisser le choix aux viticul-teurs.

Légère sidération du côté de la petite cinquantaine de distilleries vinicoles exis-tant en France. Elles ont du mal à comprendre. Qu’est-ce qui a bien pu pousser le ministère à prendre une telle décision ? « Grande question, réplique un opérateur. Si un jour on me donne la réponse, j’en serais heureux. »

A vrai dire, certains ont quand même leur petite idée. Est évoqué au premier chef le Plan national énergétique et la forte vo-lonté des pouvoirs publics de pousser la méthanisation azotée. Certes, en matière de méthanisation, les marcs de raisins, déchets solides, ne font pas la course en tête mais bon ! Parmi les autres raisons, est avancé l’épisode difficile traversé par la viticulture alsacienne. Il y a quatre ou cinq ans, la seule distillerie de la région – la distillerie Romann, de Sigolsheim – est reprise par Grap’Sud, un groupe du Midi. A l’occasion du changement, les vignerons alsaciens se voient taxés d’une lourde facture de 30 € la tonne (plus les frais de transport) pour l’enlèvement de leurs marcs. Coup de colère de l’AVA, le syndicat viticole emmené par Gérard Boesch. En réaction, l’Administration autorise un retrait sous contrôle d’une certaine quantité de marcs, pour tester d’autres formes de traitement. Faut-il y voir les prémices d’un abandon de la livraison obligatoire aux distilleries ? Un accord national adopté avec la filière viticole vient pourtant rassurer les distilleries vinicoles. L’arrêté du 17 août 2011 prévoit un maintien de la distillation obligatoire, assorti d’un système de dérogations. Le texte cite expressément les principaux cas de dérogation : production de moins de 25 hl par campagne, production en « zones blanches », production certifiée en AB et en conversion vers l’AB.

Un « marché » de 800 000 tonnes

« Tout paraissait calé » se souviennent les professionnels. Faux ! Aujourd’hui, les mêmes pouvoirs publics arguent de problèmes de distorsion de concurrence entre viticulteurs pour justifier l’ouverture à tous de solutions alternatives à la distillation. Enfin, dans la stratégie d’ouverture du « marché » des sous-produits de la vinification, quelques esprits chagrins ne sont pas loin de voir la lourde main des Veolia et autre Suez environnement. En effet, comment penser que de tels groupes ne regardent pas d’un œil concupiscent les 800 000 tonnes annuelles de déchets vinicoles.

La filière des distilleries vinicoles aurait-elle péché par naïveté en n’allumant pas à temps des contre-feux à la dérégulation de leur activité ? Difficile de leur en faire le reproche. Dès 2010, est lancée une grande expérimentation nationale (et indépendante)* sur l’Analyse du Cycle de Vie (ACV) des différentes méthodes dépuration : distillation, épandage, compostage, méthanisation.

Un bilan très favorable

p53.jpgLe bilan, tiré trois ans plus tard, s’avère très favorable aux distilleries. Que ce soit en termes d’impact environnemental, de coût pour le viticulteur ou de faisabilité technique, la solution « distillerie » l’emporte haut la main. Elle apparaît comme la formule techniquement la plus aboutie, la plus vertueuse au plan environnemental et la plus économe pour les viticulteurs.

Grosse satisfaction des distilleries. Qui n’empêche pas le ministère de sortir dans la foulée son projet de décret remettant en cause l’obligation de livraison aux distilleries viticoles. On en est là quand, le 18 décembre 2013, une consultation est organisée à FranceAgriMer sur le projet de décret ministériel. Est sollicité l’avis des membres du Conseil spécialisé Vins et Eaux-de-vie de FranceAgriMer. A la surprise générale, le vote donne un résultat mitigé : 12 voix pour, 12 voix contre.

Les grandes fédérations ont pourtant exprimé leur soutien aux distilleries : la CCVF (coopération), les vignerons indépendants, la Confédération des vins IGP, la CNAOC… Mais, parmi les représentants des bassins, les voix se sont sans doute éparpillées.

Une nouvelle consultation électronique est organisée en avril 2014, cette fois sur le projet d’arrêté d’application. Pour la seconde consultation, le vote s’avère bien plus marquant. Sur 29 suffrages exprimés, sont décomptés 16 non, 8 oui et 5 abstentions. Compte tenu de la géographie des voix, on estime que les deux tiers des représentants viticoles se sont exprimés en faveur des distilleries. Cependant, si la filière a marqué un point, elle n’a pas remporté la guerre.

Un avis consultatif

Non seulement l’avis de FAM reste consultatif mais la portée des votes prête à discussion. Un observateur averti estime que les deux suffrages n’ont pas exactement le même impact. « Le premier, dit-il, vise le cadre général, c’est-à-dire la levée de l’obligation de livraison. A ce sujet, le résultat est balancé : douze voix pour, douze voix contre. Le second vote, doté d’un meilleur score, est également plus circonscrit dans sa portée. » Ce qui faite dire à ce témoin que rien aujourd’hui permet d’affirmer que le ministre va revoir sa copie. « Si les pouvoirs publics s’en tiennent à leur calendrier, ce sera un décret adopté le plus rapidement possible, pour une application avant les vendanges 2014. »

Organiser la défense

Bien sûr, côté distilleries vinicoles, les fédérations professionnelles ne restent pas immobiles. Elles s’emploient à organiser la défense de leur activité. Frédéric Pelenc, directeur de la FNDCV (Fédération nationale des distilleries coopératives), comme Claire Douence, directrice de l’UNDV (Union nationale des distilleries vinicoles), sont sur la même longueur d’onde. Tous les deux mettent en exergue les contraintes que pourrait entraîner pour les viticulteurs une suppression de l’obligation de livrer en distilleries. « Attention à ne pas tomber dans un raccourci – avant je livrais à une distillerie, maintenant, je fais ce que je veux. C’est bien plus compliqué que ça. »

La charge de la preuve

Pour l’épandage et le compostage par exemple, il faudrait prouver le poids épandu dans les champs et donc passer par des instruments métrologiques agréés, type « ponts à bascules ». « Les vignerons indépendants n’ont pas de ponts-bascules pour peser les raisins. Et ils devraient en avoir pour peser les marcs ! » De même, les échantillons de marcs et lies devraient faire l’objet d’analyse par des laboratoires agréés. Ensuite le plan d’épandage serait soumis à la police de l’eau et à l’agence de l’eau.

Pour le compostage, cela ne se résumerait pas « à faire un petit pâté au fond du champ ». Sans doute faudrait-il récupérer les jus des stocks intermédiaires. Quant à la méthanisation des marcs, des essais réalisés en Dordogne montrent qu’elle ne fonctionne pas. La méthanisation des ef-fluents liquides oui, mais les déchets so-lides ! Face à de telles contraintes, « sans doute y aurait-il quelques petits malins pour prendre en main le traitement des déchets et l’épandage ». D’où les grosses entreprises du secteur en embuscade, que la biomasse viticole intéresse. Le risque environnemental est également souligné. Le pire ne serait-il pas qu’au détour de la réforme, la viticulture doive gérer un risque environnemental. « En termes d’image de marque, le viticulteur ne peut pas courir un tel risque. Les conséquences en seraient incalculables. »

Totalité du tonnage

Certains professionnels soutiennent l’idée que les distilleries vinicoles n’ont pas grand-chose à craindre de la concurrence. Même en cas d’ouverture à des solutions alternatives, les livreurs leur resteront fidèles. « Dans l’immense majorité des cas, les distilleries ne facturent rien aux producteurs de vin et les libèrent de toutes obligations. Difficile de lutter avec elles. » Les principales intéressées, elles, se montrent plus circonspectes : « Admettons que nous perdions 20 % de notre tonnage. Et ce n’est pas irréaliste. Il y a toujours des gens pour vouloir tester la nouveauté, pensant que l’herbe est plus verte dans le champ du voisin. Eh bien, nous mettrions à mal notre modèle économique. Pour tenir, nos PME ont besoin de la totalité du tonnage. Quand nous collectons une tonne de marcs, le rendement d’extraction n’est que de 45 %. Le reste est à dépolluer. »

C’est pour cela que les distilleries vinicoles prennent très au sérieux les menaces qui pèsent sur leur activité et sollicitent le soutien de la viticulture. « Depuis très longtemps, indique Hubert Burnereau, président de l’UCVA, nos entreprises ont joué le rôle de poubelle de la viticulture. Mais aussi de pompier. En cas de crise, en Gironde ou à Cognac, nous avons su débarrasser la viticulture de ses excédents. Si demain nous disparaissons par manque de matière première, ce n’est pas sûr que les grands groupes spécialistes de la bio- masse assument ce rôle. Ainsi, convient-il d’y regarder à deux fois avant de changer de système. »

* L’expérimentation, pilotée par l’IFV (Institut français de la vigne et du vin) à la demande de FranceAgriMer, s’est déroulée sur trois ans, de 2010 à 2013. Elle a reçu le soutien de différentes OPA : l’Association des viticulteurs d’Alsace (AVA), le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC), l’Union nationale des groupements de distillateurs d’alcool (UNGDA), qui rassemble les distilleries privées (UNDV) et coopératives (FNDCV).

p52.jpg

Repères
● 50 distilleries vinicoles en France.
● Tonnage moyen annuel : 850 000 tonnes de marcs, 1,4 million d’hl vol. de lies de vins et bourbes.
● Rayon moyen de collecte : 50 km.
● Durée moyenne de collecte : 8 semaines.
● Chiffre d’afaires moyen de la filière : 100 millions d’€.

 

 

A lire aussi

L’appel à l’aide de l’US Cognac Rugby

L’appel à l’aide de l’US Cognac Rugby

C'est un constat qui a fait le tour des médias, sportifs ou non: l'US Cognac va très mal. Malgré les efforts de Jean-Charles Vicard pour tenter de redresser la barre, le club se retrouve dans une difficile situation financière.  La direction a de fait décidé d'envoyer...

error: Ce contenu est protégé