La Station viticole du BNIC conduit un essai de comparaison de différentes techniques d’entretien des sols à Juillac-le-Coq sur les vignobles Frapin depuis 1999. Après cinq années d’observations, M. Vincent Dumot, l’ingénieur responsable des expérimentations viticoles, estime qu’il est possible de commencer à en tirer un certain nombre d’enseignements pratiques. D’ailleurs, M. Jean Philippe Perraud, un jeune étudiant de 3e année de l’ENITA de Bordeaux, consacre actuellement son stage de fin d’étude à la synthèse de cette expérimentation. Nous allons publier les premiers résultats dont l’interprétation n’est pas forcément généralisable à l’ensemble des situations de la région délimitée.
Un essai sur des terres de champagne « en conditions extrêmes »
La finalité de cette expérimentation qui s’inscrit dans le moyen et le long terme était au départ de comparer l’incidence de deux pratiques d’entretien des sols que l’on peut qualifier « d’extrême », le travail du sol traditionnel en plein et l’enherbement permanent découplé en deux modalités, l’une issue de la flore spontanée et l’autre semée (à partir d’un mélange de 40 % de fétuque élevée, de 40 % de fétuque rouge demi-traçante et 20 % de ray-grass). L’implantation de l’enherbement a été souhaitée concurrentielle (d’où le mélange d’herbe retenu pour le semis) pour justement chercher à créer des conditions un peu extrêmes et en apprécier les conséquences au niveau du vignoble comme des moûts. La première année, toutes les modalités ont reçu un même niveau de fumure azotée de 60 unités apportées début avril sous la forme d’ammonitrate (33,5 %). Dès l’année 1999, ce protocole de base a évolué pour s’enrichir au niveau de l’enherbement spontané, d’un premier volet supplémentaire avec différents niveaux d’apports de fumure azotée au sol et d’un second intégrant plusieurs modalités de complémentation azotée par voie foliaire. Il s’agit d’une expérimentation très lourde qui a permis d’accumuler une masse de données très importantes en allant même jusqu’aux mesures d’azote dans les moûts et aux dosages du rapport carbone 13 (l’indicateur de stress hydrique pendant toute la phase de maturation). M. V. Dumot, qui possède une solide connaissance de la diversité des sols dans la région délimitée, estime que certains résultats issus de l’essai de Juilllac-le-Coq sont intéressants et incontestables, mais cela ne permet pas pour autant d’extrapoler toutes les conclusions à l’ensemble de la région délimitée. Les sols de doucins, les groies, les argiles du pays bas et même certains sols de champagne possèdent « un fonctionnement propre » et leur réaction à une telle expérimentation pourrait s’avérer différente sur un certain nombre de points.
Un enherbement fortement concurrentiel régule la vigueur et les rendements et gêne l’alimentation azotée des moûts
Il peut paraître surprenant qu’en 2003 aucune situation de déficit hydrique ne soit mise en évidence. Or, les résultats du rapport carbone 13 se situent tous au-dessus des valeurs de – 26,5 qui indiquent une alimentation hydrique de la vigne normale (des situations de sécheresse apparaissent lorsque ce critère se rapproche de – 25) et donc l’enherbement n’est pas plus pénalisant que le travail du sol en matière de besoins en eau. M. V. Dumot commente cette situation d’absence de stress hydrique dans les modalités enherbées de la façon suivante : « Le fait que même en 2003 les modalités enherbées n’aient pas souffert de la sécheresse peut s’expliquer par l’évolution du comportement des parcelles. L’herbe, en créant une situation de concurrence vis-à-vis des réserves en eau du sol et en azote, a obligé les vignes à modifier leur cycle de développement. Les souches ont adapté leur pousse à une réserve en eau et en azote plus faible. Elles ont fait moins de végétation, moins d’entrecœurs et le niveau d’évapotranspiration a aussi diminué. Ceci explique qu’au final les parcelles enherbées n’ont pas plus souffert que les celles conduites en travail du sol qui étaient plus vigoureuses et plus consommatrices d’eau. Par contre, visuellement, la végétation dans les blocs enherbés avait une couleur nettement plus jaune liée à la carence azotée. »
Des complémentations azotées localisées au sol et foliaires à l’étude
Le deuxième volet d’étude a permis de s’intéresser à l’incidence de différents apports de fumure azotée au sol sous forme solide et liquide sur les modalités enherbées (en collaboration avec la société YARA, anciennement Hydro-Agri-France). En fait, la mise en place de ce second dispositif repose sur deux idées simples et pleines de bon sens : « Dans les parcelles enherbées, le fait d’apporter la fumure sur l’herbe se justifie-t-il par rapport aux besoins de la vigne ? Ne serait-il pas plus logique de localiser les apports sous le rang en utilisant des engrais liquides et modulant les doses ? » L’essai a donc démarré au printemps 1999 avec 5 modalités : une absence de fumure, un apport de 60 unités d’ammonitrate en plein, un apport localisé sous le rang de 30 unités d’azote en engrais liquide (sous la forme nitrate de calcium), un apport localisé sous le rang de 60 unités d’azote en engrais liquide (sous la forme de nitrate de calcium) et un apport localisé sous le rang de 30 unités d’azote sous la forme d’un engrais liquide complet de type 9 6 21. Les incidences sur le rendement et les teneurs en azote des moûts des apports localisés sous le rang de fumure azotée semblent avoir été assez marquées. L’absence totale d’apport de fumure entraîne une chute des rendements qui se situe entre 70 et 100 hl/ha maximum. Les apports de 30 unités d’azote localisées sous le rang donnent d’aussi bons résultats qu’un seul apport au sol de 60 unités d’ammonitrate en plein.
Ce constat confirme bien que le fait d’apporter des doses en azote de 60 unités en plein sur le sol bénéficie plus à l’herbe qu’à la vigne. Ce résultat bénéfique des apports localisés d’azote sur le site de Juillac-le- Coq doit tout de même être interprété avec prudence car, sur d’autres sites, il n’a pas été étudié. Au niveau de l’azote des moûts, les résultats témoignent d’une efficacité intéressante pour la modalité 60 unités d’azote localisé sous le rang mais le critère déterminant reste la climatologie estivale. En effet, lors d’années difficiles comme 2003, toutes les modalités présentent des teneurs en azote dans les moûts carencés.
Le troisième volet de l’expérimentation de Juillac-le-Coq a consisté à intégrer un volet d’apport de fumure azotée en foliaire en cours d’été. Deux nouvelles modalités ont été créées en 2001 sur les blocs enherbés : la première intègre deux apports de 10 unités d’N foliaire à 10 jours d’intervalle et la seconde est une complémentation foliaire identique à la précédente après un apport localisé au sol de 30 unités au printemps. Le seul apport de 20 unités d’azote foliaire ne s’avère pas plus concluant sur le plan des rendements qu’un apport au sol en plein. L’apport d’azote foliaire en complément de la fumure localisée au printemps donne de meilleurs résultats sur ce site. Vis-à-vis de l’azote des moûts, les apports foliaires semblent plus efficaces que les apports au sol.
La maîtrise des teneurs en azote dans les moûts ne repose pas sur « un procès de l’enherbement »
L’effet site et surtout la nature du sol et du sous-sol jouent un rôle important. Dans un autre essai de la Station Viticole et de la Chambre d’agriculture de la Charente conduit aussi sur des terres de champagne, les résultats sont tout autres. On observe que les modalités enherbées et sans apport d’azote n’ont extériorisé aucune carence d’azote assimilable dans les moûts en 1992 et 2002. La prise en compte de tous ces résultats laisse à penser à M. V. Dumot que la teneur en azote des moûts est soumise à un effet millésime très important qu’il est très difficile d’anticiper. En année sèche et chaude, il est aussi utopique de penser que la destruction de l’herbe courant juillet va permettre de rééquilibrer les choses. Les connaissances actuelles sur le sujet semblent indiquer que le niveau de température joue un rôle plus important que le seul bilan hydrique. Les mécanismes permettant la migration de l’azote dans les moûts sont encore mal connus mais il semble que le phénomène s’intensifie dans le courant de l’été. L’enherbement provoque l’assèchement et le piégeage de l’azote plutôt dans le courant du mois de juin et par la suite, si la chaleur persiste, le couvert végétal sèche et n’est plus fonctionnel. Dans de telles conditions, l’intérêt de sa destruction dans le courant juillet ne repose sur aucun fondement technique sérieux. La réalisation de dosages de l’azote des moûts au début de la véraison et ensuite jusqu’à la récolte atteste de la forte évolution des teneurs au cours de la maturation. L’enherbement est une des pratiques qui contribue à lisser la vigueur et le niveau de production dans le temps et pour une plante pérenne comme la vigne c’est très important de posséder des leviers pour minimiser les variations de productions annuelles. Une observation rigoureuse du vignoble doit tout de même permettre de réguler la gestion du pouvoir de concurrence de l’enherbement vis-à-vis de l’azote dans le cadre d’années climatiques normales.
Bibliographie :
– Station Viticole du BNIC.
– Graphiques et tableaux issus de la Station Viticole du BNIC.