Premiers résultats de l’essai entretien des sols de Juillac-le-Coq

9 mars 2009

La Station viticole du BNIC conduit un essai de comparaison de différentes techniques d’entretien des sols à Juillac-le-Coq sur les vignobles Frapin depuis 1999. Après cinq années d’observations, M. Vincent Dumot, l’ingénieur responsable des expérimentations viticoles, estime qu’il est possible de commencer à en tirer un certain nombre d’enseignements pratiques. D’ailleurs, M. Jean Philippe Perraud, un jeune étudiant de 3e année de l’ENITA de Bordeaux, consacre actuellement son stage de fin d’étude à la synthèse de cette expérimentation. Nous allons publier les premiers résultats dont l’interprétation n’est pas forcément généralisable à l’ensemble des situations de la région délimitée.

vincent_dumot_bnic.jpgLe site a été choisi pour son caractère tout à fait représentatif de la situation des vignobles de la région, c’est-à-dire une plantation de vignes hautes et larges palissées, plutôt vigoureuses, enherbées une allée sur deux, implantées sur un demi-coteau et sur un sol de champagne caractéristique (dont le gradient d’épaisseur de terre arable varie dans le sens de la pente). M. Patrice Piveteau, le responsable des domaines Frapin, avait comme objectif à la fin des années 90 de diminuer la vigueur des vignes afin, d’une part, de s’adapter au nouveau cadre réglementaire sur le plan des rendements et, d’autre part, de réduire aussi les besoins en main-d’œuvre pour la réalisation des travaux d’hiver de taille et de tirage des bois, et son intérêt pour ce projet d’expérimentation du BNIC a été immédiat.

Un essai sur des terres de champagne « en conditions extrêmes »

La finalité de cette expérimentation qui s’inscrit dans le moyen et le long terme était au départ de comparer l’incidence de deux pratiques d’entretien des sols que l’on peut qualifier « d’extrême », le travail du sol traditionnel en plein et l’enherbement permanent découplé en deux modalités, l’une issue de la flore spontanée et l’autre semée (à partir d’un mélange de 40 % de fétuque élevée, de 40 % de fétuque rouge demi-traçante et 20 % de ray-grass). L’implantation de l’enherbement a été souhaitée concurrentielle (d’où le mélange d’herbe retenu pour le semis) pour justement chercher à créer des conditions un peu extrêmes et en apprécier les conséquences au niveau du vignoble comme des moûts. La première année, toutes les modalités ont reçu un même niveau de fumure azotée de 60 unités apportées début avril sous la forme d’ammonitrate (33,5 %). Dès l’année 1999, ce protocole de base a évolué pour s’enrichir au niveau de l’enherbement spontané, d’un premier volet supplémentaire avec différents niveaux d’apports de fumure azotée au sol et d’un second intégrant plusieurs modalités de complémentation azotée par voie foliaire. Il s’agit d’une expérimentation très lourde qui a permis d’accumuler une masse de données très importantes en allant même jusqu’aux mesures d’azote dans les moûts et aux dosages du rapport carbone 13 (l’indicateur de stress hydrique pendant toute la phase de maturation). M. V. Dumot, qui possède une solide connaissance de la diversité des sols dans la région délimitée, estime que certains résultats issus de l’essai de Juilllac-le-Coq sont intéressants et incontestables, mais cela ne permet pas pour autant d’extrapoler toutes les conclusions à l’ensemble de la région délimitée. Les sols de doucins, les groies, les argiles du pays bas et même certains sols de champagne possèdent « un fonctionnement propre » et leur réaction à une telle expérimentation pourrait s’avérer différente sur un certain nombre de points.

Un enherbement fortement concurrentiel régule la vigueur et les rendements et gêne l’alimentation azotée des moûts

incidence_sur_le_rendement.jpgLa comparaison depuis 5 ans des trois modalités de base, le travail du sol en plein et les deux modalités enherbées, a livré des premiers enseignements sur le plan de la physiologie comme des caractéristiques de la production. Au niveau des rendements (1), les deux modalités enherbées ont un comportement assez similaire qui en moyenne les situe autour de 100 hl/ha alors que le travail du sol est nettement supérieur avec 140 hl/ha. Les trois dernières années, l’enherbement naturel s’est avéré moins pénalisant sur le rendement et en 2003 la production était supérieure à 10 hl/ha par rapport à l’enherbement semé (103 hl au lieu de 93 hl/ha).

incidence_sur_les_teneurs.jpgPar contre la tendance au niveau des titres alcoométriques est totalement inversée puisque le travail du sol se situe en moyenne à 1 % vol. de moins et la modalité enherbée semée permet d’obtenir des gains de titre alcoométrique supérieur à l’enherbement spontané. L’impact fortement concurrentiel de l’enherbement semé est à relier au choix des espèces d’herbes qui avaient été sélectionnées justement pour leur forte compétitivité vis-à-vis du milieu. Les évolutions en baisse significative du poids des bois de taille confirment aussi la diminution de la vigueur dans les modalités enherbées. La diminution globale de rendement en alcool pur (1) des modalités enherbées par rapport au travail du sol se situe autour de 2 hl/ha, mais leur niveau de production moyen de 11 hl d’AP/ha reste tout de même intéressant. Au niveau de l’acidité des moûts, la modalité travail du sol s’avère plus riche en acide malique (un indicateur de la vigueur) alors que les teneurs en acide tartrique sont assez comparables à celles de l’enherbement. Les valeurs du pH ne diffèrent que très légèrement entre l’enherbement et le travail du sol, mais l’effet millésime s’avère plus déterminant. L’incidence du climat estival sur la chute d’acidité est de loin l’élément le plus déterminant. L’analyse des teneurs en azote des moûts révèle aussi des différences significatives en faveur du travail du sol qui en moyenne se situent à 130 mg/l. En 2003, l’impact de la climatologie sur l’assimilation de l’azote dans les moûts s’est fait aussi sentir sur la modalité travail du sol qui est descendu à 53 mg/l (donc en situation de carence) tout en restant nettement supérieur aux modalités enherbées. Dans cet essai, l’enherbement s’avère pénalisant vis-à-vis de l’azote assimilable des moûts puisque systématiquement les teneurs sont inférieures de plus de 50 % et que ces niveaux engendrent une situation de carence marquée trois années sur quatre.

mesures_de_carbone_13.jpgCette situation a amené l’équipe de la Station Viticole à se demander si réellement le site d’expérimentation était sensible à la sécheresse pendant la maturation. Les mesures du rapport carbone 13 réalisées sur l’ensemble des modalités au cours des années 2001, 2002 et 2003 n’indiquent aucune situation de stress hydrique pendant les phases de maturation.

Il peut paraître surprenant qu’en 2003 aucune situation de déficit hydrique ne soit mise en évidence. Or, les résultats du rapport carbone 13 se situent tous au-dessus des valeurs de – 26,5 qui indiquent une alimentation hydrique de la vigne normale (des situations de sécheresse apparaissent lorsque ce critère se rapproche de – 25) et donc l’enherbement n’est pas plus pénalisant que le travail du sol en matière de besoins en eau. M. V. Dumot commente cette situation d’absence de stress hydrique dans les modalités enherbées de la façon suivante : « Le fait que même en 2003 les modalités enherbées n’aient pas souffert de la sécheresse peut s’expliquer par l’évolution du comportement des parcelles. L’herbe, en créant une situation de concurrence vis-à-vis des réserves en eau du sol et en azote, a obligé les vignes à modifier leur cycle de développement. Les souches ont adapté leur pousse à une réserve en eau et en azote plus faible. Elles ont fait moins de végétation, moins d’entrecœurs et le niveau d’évapotranspiration a aussi diminué. Ceci explique qu’au final les parcelles enherbées n’ont pas plus souffert que les celles conduites en travail du sol qui étaient plus vigoureuses et plus consommatrices d’eau. Par contre, visuellement, la végétation dans les blocs enherbés avait une couleur nettement plus jaune liée à la carence azotée. »

Des complémentations azotées localisées au sol et foliaires à l’étude

Le deuxième volet d’étude a permis de s’intéresser à l’incidence de différents apports de fumure azotée au sol sous forme solide et liquide sur les modalités enherbées (en collaboration avec la société YARA, anciennement Hydro-Agri-France). En fait, la mise en place de ce second dispositif repose sur deux idées simples et pleines de bon sens : « Dans les parcelles enherbées, le fait d’apporter la fumure sur l’herbe se justifie-t-il par rapport aux besoins de la vigne ? Ne serait-il pas plus logique de localiser les apports sous le rang en utilisant des engrais liquides et modulant les doses ? » L’essai a donc démarré au printemps 1999 avec 5 modalités : une absence de fumure, un apport de 60 unités d’ammonitrate en plein, un apport localisé sous le rang de 30 unités d’azote en engrais liquide (sous la forme nitrate de calcium), un apport localisé sous le rang de 60 unités d’azote en engrais liquide (sous la forme de nitrate de calcium) et un apport localisé sous le rang de 30 unités d’azote sous la forme d’un engrais liquide complet de type 9 6 21. Les incidences sur le rendement et les teneurs en azote des moûts des apports localisés sous le rang de fumure azotée semblent avoir été assez marquées. L’absence totale d’apport de fumure entraîne une chute des rendements qui se situe entre 70 et 100 hl/ha maximum. Les apports de 30 unités d’azote localisées sous le rang donnent d’aussi bons résultats qu’un seul apport au sol de 60 unités d’ammonitrate en plein.

Ce constat confirme bien que le fait d’apporter des doses en azote de 60 unités en plein sur le sol bénéficie plus à l’herbe qu’à la vigne. Ce résultat bénéfique des apports localisés d’azote sur le site de Juillac-le- Coq doit tout de même être interprété avec prudence car, sur d’autres sites, il n’a pas été étudié. Au niveau de l’azote des moûts, les résultats témoignent d’une efficacité intéressante pour la modalité 60 unités d’azote localisé sous le rang mais le critère déterminant reste la climatologie estivale. En effet, lors d’années difficiles comme 2003, toutes les modalités présentent des teneurs en azote dans les moûts carencés.

Le troisième volet de l’expérimentation de Juillac-le-Coq a consisté à intégrer un volet d’apport de fumure azotée en foliaire en cours d’été. Deux nouvelles modalités ont été créées en 2001 sur les blocs enherbés : la première intègre deux apports de 10 unités d’N foliaire à 10 jours d’intervalle et la seconde est une complémentation foliaire identique à la précédente après un apport localisé au sol de 30 unités au printemps. Le seul apport de 20 unités d’azote foliaire ne s’avère pas plus concluant sur le plan des rendements qu’un apport au sol en plein. L’apport d’azote foliaire en complément de la fumure localisée au printemps donne de meilleurs résultats sur ce site. Vis-à-vis de l’azote des moûts, les apports foliaires semblent plus efficaces que les apports au sol.

La maîtrise des teneurs en azote dans les moûts ne repose pas sur « un procès de l’enherbement »

incidence_sur_le_rend_des_diff_apports_azote.jpgM. V. Dumot considère que le contexte extrême de cet essai, avec d’un côté un enherbement très concurrentiel et de l’autre un travail du sol de tous les rangs très propice à la vigueur, représente une situation « maximaliste » dont les enseignements pourront justement permettre d’optimiser le raisonnement de l’enherbement dans d’autres parcelles « plus moyennes ». En effet, il ressort de ce travail que la concurrence vis-à-vis de l’eau de l’herbe n’est pas du tout démontrée. L’observation du comportement de la parcelle permet de penser que la concurrence a été réelle à un certain moment mais la vigne a su s’adapter et au final il est impossible de détecter un stress hydrique. Par contre, le rôle de l’enherbement vis-à-vis des teneurs en azote des moûts est réel et son effet piégeur d’azote est confirmé. Dans des contextes climatiques extrêmes comme celui de 2003, les problèmes de carence sont aussi apparus dans la modalité travail du sol, ce qui confirme aussi le rôle déterminant de la climatologie estivale dans l’assimilation de l’azote dans les moûts. En années normales sur le plan climatique, il existe des leviers pour remédier à ces problèmes de carence en azote liés à un enherbement trop concurrentiel. La modulation de la surface enherbée et le choix de mélange d’herbes moins concurrentielles semblent des solutions tout à fait adaptées et elles ont l’avantage d’avoir déjà démontré leur efficacité. Sur le site de Juillac-le-Coq, l’apport d’azote semble aussi un levier assez efficace mais il convient de rester prudent quant à la généralisation de cette pratique.

L’effet site et surtout la nature du sol et du sous-sol jouent un rôle important. Dans un autre essai de la Station Viticole et de la Chambre d’agriculture de la Charente conduit aussi sur des terres de champagne, les résultats sont tout autres. On observe que les modalités enherbées et sans apport d’azote n’ont extériorisé aucune carence d’azote assimilable dans les moûts en 1992 et 2002. La prise en compte de tous ces résultats laisse à penser à M. V. Dumot que la teneur en azote des moûts est soumise à un effet millésime très important qu’il est très difficile d’anticiper. En année sèche et chaude, il est aussi utopique de penser que la destruction de l’herbe courant juillet va permettre de rééquilibrer les choses. Les connaissances actuelles sur le sujet semblent indiquer que le niveau de température joue un rôle plus important que le seul bilan hydrique. Les mécanismes permettant la migration de l’azote dans les moûts sont encore mal connus mais il semble que le phénomène s’intensifie dans le courant de l’été. L’enherbement provoque l’assèchement et le piégeage de l’azote plutôt dans le courant du mois de juin et par la suite, si la chaleur persiste, le couvert végétal sèche et n’est plus fonctionnel. Dans de telles conditions, l’intérêt de sa destruction dans le courant juillet ne repose sur aucun fondement technique sérieux. La réalisation de dosages de l’azote des moûts au début de la véraison et ensuite jusqu’à la récolte atteste de la forte évolution des teneurs au cours de la maturation. L’enherbement est une des pratiques qui contribue à lisser la vigueur et le niveau de production dans le temps et pour une plante pérenne comme la vigne c’est très important de posséder des leviers pour minimiser les variations de productions annuelles. Une observation rigoureuse du vignoble doit tout de même permettre de réguler la gestion du pouvoir de concurrence de l’enherbement vis-à-vis de l’azote dans le cadre d’années climatiques normales.

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Bibliographie :

– Station Viticole du BNIC.

– Graphiques et tableaux issus de la Station Viticole du BNIC.

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