Pourquoi ne pas associer le désherbage chimique et le travail du sol ?

28 juin 2009

desherbage_rr_opt.jpeginterceps_opt.jpegEst-il possible de contrôler la flore d’adventices présente dans le vignoble avec d’autres moyens que le désherbage chimique ? Cette question devient d’actualité avec la perspective de fortes réductions d’utilisation des intrants phytosanitaires d’ici quelques années. Le désherbage chimique est une pratique courante en viticulture en raison de la souplesse qu’il procure au niveau de l’organisation du travail. Se passer totalement d’herbicides paraît aujourd’hui impossible mais par contre limiter leur utilisation à la période clé du printemps semble être une voie médiane qui convainc déjà un certain nombre de propriétés de la région. L’équipe de techniciens de la Chambre d’agriculture de la Charente a mis en place en 2008 une expérimentation de désherbage alternatif reposant sur une application d’herbicides au printemps, suivie de plusieurs passages de lames interceps. Les premiers résultats de cette stratégie d’entretien des sols du dessous des rangs semblent assez encourageants.

 

Les pratiques d’entretien des sols viticoles ont pendant longtemps évolué grâce au confort qu’apportait le désherbage chimique. L’application d’herbicides à la fin de l’hiver, au printemps et en été permettait de contrôler les flores d’adventices souvent abondantes tout au long de l’année. Jusqu’au début des années 2000, la diversité des spécialités d’herbicides et leurs coûts abordables permettaient aux viticulteurs d’optimiser l’entretien du dessous et de l’interligne des rangs. Les itinéraires culturaux de la plupart des parcelles adultes étaient simples et faciles à gérer. Or, depuis les dernières années, le contexte a profondément changé en raison du retrait du marché de certaines matières actives d’herbicides comme la therbuthylazine et le diuron. Les programmes de lutte herbicides sont devenus plus difficiles à construire et nettement plus onéreux. L’utilisation de matières actives uniquement foliaires reste une alternative cohérente mais sa mise en œuvre est beaucoup moins confortable que les stratégies à deux applications annuelles associant des spécialités résiduaires et foliaires. Il faut désormais raisonner les applications d’herbicides en tenant compte de l’état de développement et de la nature de la flore. La multiplication des applications d’herbicides au cours de printemps et d’été humides comme 2007 ou 2008 peut aussi conduire à des évolutions de la flore et à l’apparition d’herbes de plus en plus difficiles à détruire. L’augmentation forte des prix des herbicides à base de glyphosate rend aussi les stratégies de désherbage chimique moins compétitives.

Utiliser moins d’herbicides, c’est envisageable

graph_article_nov_2008_opt.jpegProgressivement, les stratégies d’entretien des sols sont en train d’évoluer vers des pratiques conciliant à la fois un meilleur respect de l’environnement et la préservation du confort apporté par le désherbage chimique au printemps.

La réflexion concerne prioritairement le désherbage du dessous des rangs car l’entretien des interlignes reste beaucoup plus facile à gérer (soit grâce à l’enherbement permanent ou soit avec des façons culturales superficielles). La plupart des viticulteurs imaginent mal se passer d’herbicides au printemps car c’est le moyen le plus efficace de contrôler le développement des herbes dans leur phase de forte croissance.

Maintenir le sol propre à l’approche et dans le mois suivant le débourrement est un objectif technique fondé que seules des applications d’herbicides bien raisonnées permettent d’atteindre à un coût acceptable. Le désherbage thermique nécessitera plusieurs interventions et le retour à des interventions mécaniques n’est pas imaginable. Par contre, à partir de début juin, n’est-il pas possible d’utiliser d’autres moyens pour maîtriser le développement des herbes ? La réponse est bien sûr oui avec le travail mécanique superficiel du dessous des rangs. Depuis trois à quatre ans, un certain nombre de viticulteurs ont décidé de contrôler les herbes à partir de début juin en réalisant plusieurs passages de lames interceps (2 ou 3 interventions) et les résultats assez satisfaisants qu’ils obtiennent font des émules. L’idée d’associer le désherbage chimique et des interventions superficielles de travail du sol au niveau du dessous des rangs paraît être une initiative pleine de bon sens, et plusieurs techniciens considèrent que c’est aussi un moyen astucieux de maîtriser la flore d’adventices. C’est en écoutant les témoignages de plusieurs viticulteurs sur ce sujet que Yoann Lefèbvre, le technicien viticole de la Chambre d’agriculture de la Charente, a eu l’idée de construire un protocole d’essais de désherbage alternatif associant une application d’herbicide au printemps et ensuite, à partir de début juin, plusieurs passages de lames interceps.

Les conditions climatiques idéales de 2008 pour tester des stratégies d’entretien du sol

Au cours de l’année 2008, deux sites de désherbage alternatif ont été mis en place sur des terres de champagne : l’un à Mainxe et l’autre à Gimeux. L’objectif de cette étude était de quantifier l’efficacité et les limites de la mise en œuvre de trois stratégies d’entretien du dessous des rangs, le désherbage chimique toute l’année, le désherbage alternatif et le travail mécanique toute l’année. La climatologie assez pluvieuse du printemps 2008 s’est avérée être un contexte idéal pour comparer l’efficacité d’approches différentes d’entretien du sol car le développement de la flore d’adventices a été abondant.

La fréquence et les niveaux de précipitations abondants entre le 1er avril et la fin juin représentent une spécificité du climat du vignoble charentais (et des autres vignobles de la façade atlantique) qui explique en grande partie l’intérêt des viticulteurs vis-à-vis des stratégies de désherbage chimique pendant cette période. Le fait de pouvoir contrôler la flore d’adventices en ne réalisant qu’une seule intervention dans les parcelles apporte beaucoup de souplesse sur le plan de l’organisation du travail et présente aussi de nombreux intérêts sur le plan agronomique. L’abondance des pluies rend parfois difficile l’accès aux parcelles et rapidement le couvert végétal peut prendre une ampleur très importante qui peut accentuer la sensibilité au gel des parcelles. Par ailleurs, dans les sols calcaires, le fait de travailler les sols précocement en avril ou début mai souvent en conditions humides accentue les risques de chlorose ferrique.

Le désherbage alternatif au banc d’essai

Les résultats obtenus par l’équipe de techniciens de la Chambre d’agriculture de la Charente sur les deux sites d’expérimentation de désherbage alternatif sont tout à fait cohérents. La présentation des conclusions de ces travaux ne concerne que le site de Gimeux chez M. Francis Nadeau dans une parcelle d’Ugni blanc palissée (2,50 m x 1,20 m) implantée dans un sol de champagne. La gestion rigoureuse des mauvaises herbes sur cette exploitation depuis de nombreuses années confère à ce site d’expérimentation une flore d’adventices normale sans problématique d’herbes dominantes issues d’inversion de flore ou de phénomène de résistance à certains herbicides (ray-grass, amarantes…).

graph_article_nov_200_opt1.jpegLa première modalité (la référence) correspond à la stratégie de désherbage chimique reposant sur deux applications, une première au printemps et la seconde au début du mois de juin. Le premier traitement a été effectué le 7 avril avec une spécialité associant du glyphosate et de l’amitrole (du K par K à 10 l/ha) sur deux tiers de la surface totale. Le deuxième apport d’herbicide est intervenu le 4 juin sur une flore en phase de développement avec de la flumioxazine (du Pledge à 200 g/ha) localisée sur le dessous des rangs. Cette seconde application d’herbicide a été effectuée en utilisant des caches de protection au niveau des buses de désherbage pour éviter toute projection d’embrun au niveau de la végétation. La stratégie du désherbage alternatif repose sur une seule application d’herbicides foliaires au printemps associée ensuite à plusieurs passages de lames interceps en fonction du niveau de repousse des herbes. L’application d’herbicides est intervenue le 7 avril avec une association de glyphosate et d’amitrole (K par K à 10 l/ha) sur les deux tiers de la surface totale. Le travail du sol du dessous des rangs a été réalisé avec le matériel de M. Francis Nadeau, deux interceps hydrauliques Cognacq montés sur un châssis trois points à l’arrière d’un tracteur. L’opération de travail (à une vitesse de 4,5 km/h) peut être effectuée en même temps qu’un rognage ou une intervention de tonte ou de travail du sol de l’interligne des rangs. Le premier passage de lames est intervenu le 10 juin sur des herbes n’excédant pas 10 cm de hauteur, suivi d’une seconde intervention le 8 juillet. La troisième modalité concerne un entretien mécanique du sol tout au long de la saison avec trois passages de lames, l’une au printemps le 5 mai et ensuite deux autres, le 10 juin et le 8 juillet.

Le tout mécanique décroche, le désherbage alternatif très efficace

Les observations de la flore à différentes périodes de l’année ont permis aux techniciens de quantifier l’efficacité des trois stratégies d’entretien du sol sous le rang de vigne. Le niveau d’infestations de la flore qui est présenté dans les deux graphiques met en évidence des différences d’efficacité importantes.

Les notations au 30 juin ont révélé que le témoin était envahi à plus de 70 % par les mauvaises herbes. La présence d’espèces comme la renouée des oiseaux, de laiterons, de liseron, d’érigéron, d’amarantes représentaient à elles seules un couvert végétal abondant qui a ensuite continué de se développer au cours de l’été. La stratégie d’entretien des sols mécanique (la modalité 2) a engendré des infestations d’herbes importantes qui se sont concrétisées par une efficacité globale insuffisante de seulement 35 % à la fin juin. Un certain nombre d’espèces comme l’érigéron, le laiteron, le liseron, le chardon, la renouée des oiseaux et quelques amarantes ont été mal contrôlées par les deux interventions de lames. Les conditions climatiques en avril et début mai n’ont pas rendu possible un accès à la parcelle plus fréquent qui aurait permis de détruire ces herbes avant qu’elles ne soient trop développées. La stratégie de désherbage alternatif avec une application d’herbicide début avril, suivie d’un passage d’interceps début juin a par contre donné de très bons résultats. Les notations révèlent que l’efficacité de la stratégie du désherbage alternatif est supérieure à 95 %. Seules quelques rares taches de liseron n’ont pas été contrôlées mais ensuite le second passage de lame début juillet les a détruites. Le
désherbage chimique avec les deux traitements a permis un contrôle parfait de la flore d’adventices et l’efficacité de cette stratégie a ensuite bien tenu au cours de l’été.

 

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non cultivé

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désherbage chimique

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désherbage alternatif

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désherbage mécanique

 

 

 

 

 

 

 

Trouver le bon compromis coût/efficacité/confort de travail, pas facile !

Les techniciens ont souhaité corréler l’efficacité agronomique de chaque stratégie de travail du sol à une analyse économique (qui ne tient pas compte des charges d’amortissement des matériels). La présentation des coûts dans le tableau ci-dessous exprime des différences qu’il convient de moduler en tenant compte du contexte pratique des propriétés viticoles. La stratégie de désherbage chimique s’avère être la plus onéreuse en raison essentiellement du prix des herbicides. Par contre, la main-d’œuvre et les consommations de carburants nécessaires à la mise en œuvre des traitements sont faibles. Les applications peuvent être décalées de quelques jours voire d’une semaine sans que cela ait d’incidence majeure sur le contrôle ultérieur de la flore. Cette souplesse de mise en œuvre permet aujourd’hui d’optimiser l’organisation des nombreux autres travaux sur les propriétés du début avril à la fin juin. La stratégie du désherbage alternatif est moins coûteuse mais nécessite un investissement en temps plus important pour pouvoir réaliser les interventions au moment opportun.

L’application d’herbicide en début de printemps permet de décaler le premier passage de lames interceps tard en saison pour qu’il n’ait pas d’incidence agronomique sur le cycle de la vigne (chlorose ferrique). Par contre, le premier passage des lames (en général début juin juste avant la période des relevages) doit être effectué avant que les herbes ne soient trop développées pour que son efficacité soit optimisée. Le fait de passer une heure de plus par hectare pour maintenir le dessous des ceps propres ne risque-t-il pas de poser des problèmes d’organisation à certaines propriétés. On peut imaginer que non car l’utilisation des interceps peut être effectuée en même temps que d’autres travaux comme le travail du sol des interlignes, la tonte ou un rognage. Dans ces conditions, cela ne génère pas de surcharge de travail significative. D’un point de vue économique, la modalité du tout mécanique avec la réalisation de trois passages de lames interceps dans l’année est l’approche la plus intéressante mais elle n’a permis de contrôler la flore d’herbes.

La réalisation d’un, de deux et peut-être de trois passages supplémentaires pour obtenir une efficacité correcte nécessiterait un investissement en temps beaucoup trop important. Les disponibilités en main-d’œuvre très limitées de beaucoup de propriétés ne permettent pas d’envisager un retour au tout mécanique

L’intérêt et les limites de l’association désherbage chimique-travail du sol

A l’issue de cette première année d’expérimentation très intéressante vu la climatologie, quelques conclusions peuvent déjà être dégagées. La première concerne la difficulté à envisager un retour à des itinéraires 100 % mécaniques car, dans une majorité de situations, l’accès aux parcelles de la mi-mars à la fin mai est souvent difficile compte tenu de la fréquence des pluies à cette période de l’année dans notre région. Il ressort aussi de ce travail que le désherbage chimique reste indispensable pendant la période clé d’avril à fin mai mais que, par la suite, il est possible d’aborder l’entretien des sols avec d’autres moyens. L’intérêt du désherbage alternatif réside justement dans le maintien d’une application d’herbicides foliaires au printemps associé ensuite à 2 ou 3 passages de lames interceps au cours de l’été.

Cette méthode d’entretien des sols a donné pleinement satisfaction sur le site de Gimeux en présence d’une flore d’adventices normale. L’efficacité de cette stratégie à partir de début juin est directement liée aux conditions d’utilisation des lames interceps. Il ne faut pas se laisser déborder par une flore trop développée devenant difficile à détruire avec des moyens mécaniques superficiels. Les lames interceps sont pleinement efficaces sur des herbes jeunes ne dépassant pas 5 à 6 cm de hauteur, mais pas sur des plantes bien racinées ayant des tiges ligneuses. C’est aussi un moyen de limiter le développement des vivaces et les phénomènes d’inversion de flore liée à de trop fréquentes applications d’herbicides. L’utilisation des outils interceps peut être envisagée de façon combinée avec d’autres travaux, ce qui contribue à faciliter leur mise en œuvre. Ces équipements nécessitent une certaine surveillance de la part des chauffeurs dans les situations de dévers et en conditions de sols sèches. Leur utilisation est beaucoup plus facile sur des terres légères que sur des terres lourdes, et leur efficacité sera limitée dans des terrains très durs (pas cultivés depuis longtemps). Comme tous les outils de travail du sol, la qualité du travail est directement liée à l’état du terrain dans lequel ils évoluent. La réussite des interventions mécaniques est aussi fortement liée au climat des jours suivant l’intervention. Suivi de trois jours de chaleur, les herbes meurent rapidement alors qu’après de la pluie, leur reprise est assurée. Une utilisation judicieuse de lames interceps doit être gérée en tenant compte à la fois du stade des herbes (de préférence sur des plantules), de l’état du sol et du climat dans les 2 à 3 jours suivant le travail.

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